La guerre des clubs n’aura pas lieu

Dans un lycée ordinaire, tout le train train quotidien s’effondre quand Kirishima, la star du club de volley, disparaît de la circulation sans laisser le moindre mot d’explication. Néanmoins, « tout s’effondre » à des degrés divers. Ainsi, les amis les plus proches et sa petite amie sont à cran mais cela n’empêche pas d’autres élèves, comme ceux du club cinéma, de poursuivre leurs activités comme avant…

Kirishima, Bukatsu Yamerutteyo
桐島、部活やめるってよ
Daihachi Yoshida – 2012

Pas facile de bien saisir ce qu’a voulu faire Yoshida avec ce film. Réalisé après l’énergique Funuke show some love you losers, The Kirishima Thing se focalise sur une brochette de lycéens sur un ton calme et réaliste, multipliant les points de vue narratifs quitte à faire vivre telle scène une deuxième fois au spectateur. La structure paraît donc très éclatée et il faut un petit moment d’adaptation avant de bien saisir la colonne vertébrale narrative du film.

En soi l’idée n’est pas mauvaise car le spectateur devient alors une sorte de témoin discret de la multitude de mini intrigues propres au microcosme d’une classe. Mais d’un autre côté il est bien difficile de ne pas se défaire d’une impression de confusion, d’absence d’efficacité dans le rendu psychologique de certains personnages. Là aussi, si l’on suit l’idée du spectateur témoin externe des événements, que l’on reste à la surface des choses est plutôt logique. Et cela peut même suffire à saisir ce qui se trame sous le crâne de certains spécimens. Ainsi on comprend rapidement pourquoi cette joueuse de saxophone s’obstine de répéter à des endroits inopportuns pour les membre du club cinéma. Néanmoins, comparé à des films comme Grains de sable, on est très loin derrière la subtilité du rendu psychologique et on a parfois l’impression d’avancer dans le brouillard.

En fait, peut-être que tout s’éclaire si l’on prend l’histoire à travers le prisme du club. Précisons ici que les clubs scolaires sont quelque chose d’infiniment plus répandus au Japon qu’en France. C’est une sorte de norme à laquelle il est bien difficile d’échapper. Comme si leur quotidien n’était pas assez rempli comme cela par leur emploi du temps, les lycéens ont la possibilité de s’inscrire à des clubs parfois très accaparants, et pour certains très prestigieux. Envie d’attirer les regards des plus jolies belettes du bahut ? Il faut alors montrer son corps d’athlète dans l’un des clubs sportifs du lycée. C’est à cette élite qu’appartient Kirishima dont la petite amie est loin d’être la plus vilaine de son lycée. A l’autre bout de l’échelle, on a par contre les clubs plus artistiques, et voire parfois un peu glauques, comme celui consacré cinéma, animé par une brochette de geeks boutonneux pas vraiment portés sur le sport. Animés par une passion sincère envers leur hobby (en tout cas c’est une chose certaine pour leur chef, le binoclard Maeda), ils n’en ont pas grand-chose à carrer, eux, de la disparition de Kirishima. Inversement, les autres élèves se moquent pas mal de leur club, se gaussant notamment du titre grotesque et impossible à retenir de leur court-métrage, mais surtout d’un côté « no life » que eux ne possèdent évidemment pas. Et pourtant, entre les élèves « normaux » et leurs petits psychodrames artificiels liés à la disparition d’un membre important du club de volleyball (le plus ridicule est sûrement le capitaine du club, en rage de ne pas maîtriser cette perte), et les « no life » du club de cinéma, ce sont peut-être ces derniers qui sont plus du côté de la vie.

Ainsi Maeda, dont la passion pour le cinéma donne pourtant l’impression qu’il passe à côté de la vie. Face à la belle Kasumi (Ai Hashimoto), il essaye bien de dragouiller mais il le fait maladroitement, en utilisant sa cinéphilie et en ne devinant pas que ce n’est sans doute pas la tasse de thé de la jeune fille (on découvrira de plus que les sentiments de cette dernière sont étouffés par le fait que Maeda appartienne au club des losers cinéphiles). Mais ce n’est pas pour autant qu’il est quelqu’un d’enfermé dans sa passion et dans son club. Dans son club justement, il refuse d’abord la tutelle d’un « senpai », ici le professeur qui oblige les membres du club à créer une histoire basée sur leur quotidien de lycéens (Maeda désobéira pour un projet de film de zombies). Il est le seul à évoquer ses parents à travers la caméra 16mm qui lui a confiée un jour son père. Quoique passionné par son nouveau projet de court métrage, il n’en oublie pas moins d’observer le monde alentour et d’être touché par lui, d’essayer d’aller à sa rencontre en obtenant les bonne grâces de Kasumi. Enfin, il reste lucide pour l’avenir. Bien qu’étant la figure de proue de son club, bien que les autres semblent persuadés que sa voie est toute tracée (c’est sûr, il sera un jour réalisateur), lui semble penser que son avenir ne sera pas du tout en rapport avec sa passion. Enfin, quand les membres du club de volley font tout un pataquès sur le toit du lycée, alors que Maeda et les siens sont en train de tourner, il n’hésite pas à demander à l’hystérique capitaine de s’excuser du dérangement, demande qui sonne comme un rappel aux plus élémentaires règles de courtoisie de la vie japonaise.

De tous les personnages, Maeda est le plus approfondi. S’il semble au début aussi lisse que les verres de ses lunettes ou la lentille de son objectif, ce n’est qu’une apparence. Il est en tout cas plus intéressant que les élèves « normaux » et plus riche que ce membre du club de troisième année qui s’entraîne comme un enragé, espérant sans doute en vain une entrée dans le monde pro. Le film s’achèvera sur une phrase de Kirishima semblant évoquer un pouvoir néfaste des clubs. Explicitation tardive dont on aurait aimé qu’elle soit plus clairement amenée en amont. Cet aspect brouillon n’est en tout cas pas sans donner envie de revoir un jour The Kirishima Thing pour en mieux saisir le propos.

6/10

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