Destruction Babies (Tetsuya Mariko – 2016)

Taira et Shota sont deux frères orphelins vivant dans un petit port industriel. Un jour, Taira par sans crier gare. Son but : se castagner à des plus forts que lui au gré de ses déambulations. Il croisera sur son chemin Yuya, jeune lycéen soucieux de son apparence qui sera fasciné par cette violence inexpliquée et qui décidera de s’associer à lui pour une virée nocturne chaotique à souhait…

Il est amusant de retrouver Yuya Yagira dans le rôle de Taira. On se souvient qu’il avait joué le personnage du frère aîné dans Nobody Knows de Kore-eda. Dans Destruction Babies, c’est un peu comme si son personnage, qu’on avait laissé errant dans les entrailles urbaines de Tokyo, avait entre-temps péniblement survécu et entretenu une rage intérieure ne demandant qu’à exploser. Contre qui ? Contre quoi ? C’est là tout le problème, tant ses cibles paraissent parfois purement gratuites. Leur point commun semble être la difficulté qu’elles représentent pour être battues. Ainsi tel musicien attaqué dans la rue présente une silhouette bien plus imposante que celle de Taira. Parfois, il s’agira de s’en prendre à deux adversaires, voire trois en même temps. Et tant pis si ça se solde par une défaite avec un bon massage faciale à lui en faire perdre connaissance. Il y a un côté Terminator en Taira qui fait qu’on le voit encore et toujours revenir à la charge afin d’avoir le dernier mot – qu’il finit par obtenir.

Ce personnage n’est évidemment pas sans rappeler celui de Pornostar, de Toyoda. A la différence que dans ce film, le héros dirigeait son combat contre les yakuzas qu’il jugeait être inutiles. Dans Destruction Babies, Taira n’a rien d’un chevalier blanc. Il est juste une sorte de zombie qui erre dans la ville et qui va finir par contaminer d’autres quidams dans son délire de violence. D’abord Yuya, petit minet soucieux de plaire à la gent féminine et qui va se déchaîner en particulier contre… des femmes. Puis suivra l’hôtesse Nana qui n’a au départ rien demandé à personne (elle se fait tabasser puis enlever par le duo Taira/Yuya), mais qui finira par commettre deux meurtres, l’un involontaire, l’autre lors d’une agression à l’image de la sauvagerie de ses kidnappeurs. Lors des premières scènes, Nana nous est montrée comme une jeune femme peu avenante, égoïste et volant volontiers dans les magasins. Le ver était déjà dans le fruit et il ne demandera qu’à  par la suite qu’à le ronger encore plus, même si Nana sera le seul personnage des trois à revenir à une forme de sociabilité respectable mais forcément inquiétante de par la capacité de dissimulation du personnage.

Il n’en ira pas de même du zombi en chef Taira, sa dernière victime ne laissant pas d’inquiéter puisqu’il s’agira d’un flic certes armé d’un flingue, mais d’un flic quand même et surtout d’un flic faible, ne donnant guère l’impression d’être un Bunta Sugawara. Taira achève alors de se transformer en une crapule nuisible et criminelle. La violence, qui pouvait apparaître  au départ comme l’expression d’une soupape qu’on fait sauter afin d’exprimer la rage envers une condition oppressante, devient à la fin le simple signe d’une pathologie psychotique de la même eau que le tueur fou d’Akihabara (en 2005).

Tout cela contribue à faire de Destruction Babies un film pas inintéressant en soi, même si sa construction ne parvient pas toujours à faire ressentir un grand intérêt pour les personnages. Certes, enchaînement de scènes de castagne est surprenant lors de la première demi-heure et il arrive à maintenir l’intérêt en intégrant à chaque fois un ingrédient en plus par rapport à la précédente scène : adversaires jeunes, adversaires plus âgés, adversaires plus redoutables (le chef des scouts comme une sorte de « boss de fin de niveau), scène diurnes puis scènes nocturnes, etc.). Mais à côté de cela, on sent aussi une certaine lassitude liée au manque d’impact des scènes de violence. Le choix a été fait du réalisme, avec une caméra fixe nous mettant dans la peau d’un quidam qui serait le témoin d’une baston, ainsi que des coups sans ajouts de bruitages exagérés pour amplifier les impacts. L’idée est bonne mais dans un film où l’on enchaîne comme des perles des scènes de ce type, infailliblement on finit un peu par s’ennuyer.

Il y a aussi l’absence d’explications sur la folie destructrice de Taira, ou plutôt l’entre-deux explicatif qu’a choisi Tetsuya Mariko. D’un côté le film concept présentant un jeu de chaos sans explications, de l’autre il y a ce fil lié à Shota, le  jeune frère partant à la recherche de Taira et dont on nous révèle au fur et à mesure de sa quête des éléments sur sa vie et sur ce qui a pu contribuer au mal-être de Taira, donnant souvent lieu à des scènes sans grand relief, comme si Mariko, sans doute davantage intéressé par le récit de sa virée nocturne destructrice, avait tout de même ressenti le besoin de faire une contre-poids narratif pour ne pas lasser le spectateur et ne pas le laisser dans un état trop perplexe concernant les agissements de Taira. Il donne du coup l’impression d’y être allé à la truelle et à la va-vite, échouant à faire de Shota un personnage réellement pertinent.

On sauvra malgré tout l’ultime scène (spoil !) dans laquelle on voit Shota assister à un de ces matsuris où deux mikoshis s’affrontent. Vision d’une violence magnifiée par des rites inoffensifs, et en cela plus rassurante de la violence qui se prépare avec Taira et son pouvoir zombifiant ? Ou bien manière de signifier que l’on peut être choqué des agissements de Taira mais que cela ne doit pas empêcher de voir que de toute façon, la violence est un acte immémorial et fondateur ? Sur le coup la scène nous laisse un peu sur notre faim mais en y repensant, je trouve qu’elle rattrape un dernier tiers que j’ai trouvé fatigant.

« The most extreme 108 minutes in Japanese cinema history », dixit la formule publicitaire imagine par Third Window Films. N’exagérons rien. L’essai de faire un film coup de poing à la Pornostar a été tenté, mais il n’a clairement pas été transformé. A voir malgré tout si Tetsuya Mariko, âgé seulement de 35 ans, a encore assez de coffre pour réaliser un film qui tabassera le spectateur et le laissera aussi exangue que les victimes de Taira.

6/10

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