My Man (Kazuyoshi Kumakiri – 2014)

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Hana, petite fille de 10 ans devenue orpheline après un tsunami, est recueillie par Jungo, un homme de 26 ans ayant un lien de parenté avec elle (lien en vérité assez éloigné). Alors qu’elle grandit, une relation trouble s’installe entre les deux, jusqu’à ce qu’ils deviennent purement et simplement deux amants…

Mettez-moi de la neige dans un film japonais et normalement il y a de fortes chances pour que ça se passe bien. Ça doit venir de février 2005, date à laquelle, sur le point d’épouser madame, nous nous trouvions à Sapporo pour le Yuki matsuri. Sortir du de la couette douillette, regarder à la fenêtre pour voir ça :

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… et s’apprêter à sortir pour une longue promenade faite d’un froid vivifiant, d’un doucereux soleil, de sculptures de glace et de nourriture qui réchauffe glanée dans les multiples échoppes du matsuri, tout cela a constitué un programme dont je ne me suis jamais vraiment remis. C’est dire si je me suis frotté les mains à l’idée de voir Watashi no Otoko, à nouveau une histoire d’amour compliquée de Kumakiri et liée à un écart d’âge important entre les deux protagonistes. Déjà dans Hole in the Sky, avec un Susumu Terajima bien plus vieux que la jeunette Rinko Kikuchi, mais encore dans le récent Natsu no owari, où cette fois-ci c’est le personnage féminin marié qui s’éprend d’un jeune homme. Et donc ce magnifique Watashi no Otoko. Magnifique et glacé. Il y fait en effet un putain de froid puisque l’intrigue se passe dans une petite ville côtière d’Hokkaido.

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Bon présage pour moi sauf que là, pas d’éléments calorifiques pour réchauffer le cœur et les membres engourdis. L’univers des protagonistes, fait de neige, d’icebergs et d’une froide lumière d’hiver, semble avoir tout contaminé, y compris les sentiments des personnages. Au début du film, Jungo est encore dans sa liaison avec Komachi, séduisante jeune femme qui semble l’aimer sincèrement. Malgré cela, la scène dans laquelle il font l’amour, conjuguée à la musique de Jim O’Rourke qui exprime déjà comme un sentiment de désenchantement, donne déjà l’impression d’être en face de personnages confus qui ne savent pas vraiment où ils en sont.

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La belle Komachi peut s’agripper à la chemise de son amant après avoir fait l’amour : le petite Hana ne va pas tarder à la supplanter.

C’est évidemment très sensible pour Jungo joué par un Tadanobu Asano sobre possible et en cela assez marquant. J’ai pu lire ici et là que le film sonnait comme une version moderne de Lolita. Rien de plus stupide tant dans le roman de Nabokov le personnage d’Humbert vibrait, était rempli intérieurement de l’image de sa lolita. On ne saurait dire qu’il en va de même pour Jungo, personnage vide qui a juste voulu être père mais qui, à l’image d’un iceberg qui sera la cause d’une tragédie dans le film, ne cessera de partir à la dérive dans le n’importe quoi.

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Début de n’importe quoi.

En fait, la fascination est plus à associer à Hana (interprétée par une sublime Fumi Nikaido) dont la jalousie latente et le désir de possession exclusif de « son homme » réchauffent l’atmosphère polaire de Watshi no Otoko. My man 13

Froid et chaud. Le personnage du côté du chaud est celui qui est le plus froid intérieurement.

Reste que si Hana a trouvé comment remplir son vide intérieur, elle n’en apparaît pas moins comme un personnage foncièrement déréglé et ce dès les premières scènes.

Il y a évidemment la catastrophe du tsunami qui a effectivement de quoi déglinguer une enfant, mais il y a aussi ce curieux geste qu’elle fait à la morgue devant le cadavre d’un proche (son père ? Sa mère ? difficile de dire), ce coup de pied donné à la tête. Geste qui suscitera d’emblée le malaise, et qui sera suivi d’autres, le point culminant étant atteint lorsque Shugo et Hana feront l’amour sous une pluie de sang surréaliste.

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La pluie soulignera le tabou de leur situation mais sera aussi le prélude à des inconvénients qui vont amener la mort de fâcheux témoins. Dès cet instant l’iceberg de leur relation (on n’ose parler d’amour) va achever de partir à la dérive. Se voyant obligé de quitter leur ville devenue trop dangereuse pour eux, il vont échouer à Tokyo où leur liaison va pourrir petit à petit.

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La scène finale s’achève sur un geste étonnant qui fait écho à celui donné au début. Au coup de pied donné à la tête du cadavre répond un geste fait aussi avec le pied. Geste inquiétant qui montrera que, malgré son désir de se ranger, Hana a conservé son dérèglement intérieur mais aussi une force qui l’amène à dominer le mâle, ou plutôt « ses hommes ».

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Pour apprécier My Man, il faut donc aimer ce genre de thématique avec des relents incestueux. Ça a tout pour déranger mais si l’on surmonte sa répulsion et surtout que l’on est en phase avec l’esthétique glacée et poétique de Kumakiri, esthétique rythmée par un Jim O’Rourke qui montre une nouvelle fois ses talents de compositeur de musique de film, My Man a alors tout pour fasciner. Minimaliste (pas une scène de trop) et élégant dans ce qu’il veut faire comprendre dans les relations entre les personnages et leur caractérisation, le film défile comme un rêve mi-cotonneux mi-acide. On pourra reprocher que ce froid généralisé empêche toute empathie avec les personnages. Mais par rapport aux récentes tentatives survitaminées d’un Sono et surtout de l’épouvantable Nakashima avec son totalement vain World of Kanako (j’en remets une couche pour quelqu’un ^^), le travail de Kamakiri apparaît comme une tentative salvatrice de proposer un cinéma tout à l’opposé, fait de calme et d’épure desquels sortiront des sentiments qui n’auront pas besoin d’être hystériques pour laisser leur empreinte dans l’esprit du spectateur.

8,5/10

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12 Commentaires

  1. Bravo belle réactivité, dans le même genre d’ambiance de personnes tourmentées par leurs sentiments familiaux ce film m’a rappelé Isabella (2006) de Edmond PANG Ho-Cheung.
    Dans My Man l’ambiance est vraiment glaciale, à l’extérieur et à l’intérieur, sauf près des poils.
    Dans tous les cas je préfère voir Asano dans ce genre de film que dans TOR, quelle mauvaise idée.
    « il a eu bien tort sur celui-là ».

  2. Pas vu Isabella mais je le note. Moi, l’ambiance sombre sous la neige m’a fait penser au récent Black Coal, Thin Ice.
    Je n’ai pas vu Asano dans Thor. Mais dans le style rôle de guerrier, je l’avais trouvé pas mauvais dans Mongol.

  3. En parlant de « Black Coal », c’est vu. Et c’est franchement pas mal. De toutes petites longueurs mais dans l’ensemble l’ambiance (glaçante), l’histoire (classique sans l’être), les perso’ (ambigus), le jeu des acteurs et j’en passe donnent bien. Thriller policier sympa. Et cette scène finale… le genre de chose que j’apprécie alors qu’on pourrait qualifier cela hors propos.

    Sans ça, « My Man », c’est l’un des films récents japonais qui me fait de l’œil. Asano, Nikaido puis le pitch. Après le réal’, connais pas trop mais en lisant ta chro’, ça continue à me botter.

  4. « Et cette scène finale »
    Pareil que toi. Le genre de scène qui te revient immédiatement à l’esprit dès que tu penses à un film. Les scènes de patinoire m’ont aussi marqué.

    Assez branché Kumakiri en ce moment. Je l’avais un peu oublié mais en me plongeant dans sa filmo je m’aperçois que dans l’ensemble c’est solide.

  5. Hé hé, je n’avais pas vu la dédicace discrète.

    Bon, je l’ajoute à ma liste.

  6. Vas-y à fond et laisse un feed-back sur BKR. M’intéresserait d’ailleurs d’y lire le tiens sur Kanako.

    • Pour « Kanako », je comptais le revoir lors de sa sortie blu-ray uk, mais le label Third Window Films lâche l’affaire faute de thunes (ça sent la crise pour eux).

      Ce sera pour une autre fois.

      « My Man », je l’ai récupéré, ça viendra.

  7. Bon bah, c’est un film dérangeant, souvent troublant. Et la p’tite Fumi Nikaido, du moins son personnage (et par extension son jeu) en est pour beaucoup. La dernière scène et puis ce plan face caméra sur son visage nous fait prendre conscience combien elle est dangereuse, et incroyablement complexe.

    Sinon, je comprends à quoi fait référence pasabre lorsqu’il évoque les « personnes tourmentées par leurs sentiments familiaux ». Y a un peu de ça, ouais, bien qu’on soit dans un contexte différent, cela va de soi.

  8. Cool que tu l’aies vu. Cela mérite bien une récompense, Fumi Nikaido style :
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