La solitude du porteur de mikoshi

L’été dernier n’a pas été des plus cléments à Miyazaki. Tantôt c’était un typhon qui passait au nord et nous aspergeait de flotte trois journées durant. Puis au moment où l’on pensait que les ballades sous le soleil allaient de nouveau être possible, c’était au tour d’un autre typhon de venir en provenance d’Okinawa et de nous frôler les moustaches avec les mêmes conséquences. Du coup, il fallait jouer serré avec la météo et avoir un bon timing si l’on voulait profiter des festivités alentours quitte à revenir avec la couenne un peu humide.

C’est ce qui s’est passé avec le matsuri de Tsuno, à 60/70 bornes au nord de Miyazaki. Alors que le ciel était plutôt clément, je décidai illico de m’y rendre en début d’après-midi en compagnie d’Olrik Jr. Devant ma proposition, le drôle fit montre d’un accueil bien tiédasse. Envie de jouer avec sa DS… d’être tranquille… à la rigueur d’aller voir son jichan à son élevage de poulets. Bon, moi, vous me connaissez, bonne pâte mais pas trop non plus : 

Nâââni ? Tu refuses de te promener avec pôpa ?

… à ses paroles de jocrisse qui sentait surtout l’envie de se scotcher à l’écran de sa nintendo, je ne fis ni une ni deux, et quelques coups de pieds au derche plus tard, et surtout après une heure et demie de route (oui, il faut ça au Japon pour faire 60 bornes), nous arrivâmes au matsuri devant lequel mon gamin dut bien admettre que ouais, c’était finalement cool d’être là.

En soit, le matsuri d’été de Tsuno n’a rien d’original : des hordes de jeunes gens remplis de biceps circulent dans le centre en portant de lourds mikoshi (sorte de sanctuaires portatifs) tout en gros rondins bien lourds et ici surmontés de plusieurs donzelles aux seins compressés par une bande de linge, tapant frénétiquement sur des taikos pendant que les messieurs en chient des ronds de chapeau. Du monde mais pas non plus la foule : quelques centaines de gens éparpillés dans les rues, vraisemblablement surtout des autochtones. Et pour les gaijins, je ne m’étend pas, j’étais le seul.

Bref a priori pas exceptionnel mais  finelement spectaculaire du fait que les mikoshis passent dans des rues qui laissent moins de deux mètres sur les bords pour circuler. Du coup, on la voit bien la procession, et on les voit bien les visages grimaçants des jeunes gens qui, pour certains, souffrent réellement leur mère. Au bord de la rupture, ils aimeraient bien tout lâcher mais voilà, impossible de le faire sous peine de créer une réaction en chaîne chez leurs collègues de martyr et un accident potentiellement mortel (aucune exagération de ma part, c’est le genre de chose qui est déjà arrivé). On comprend d’ailleurs très vite qu’il ne s’agit de bourdonner autour avec son reflex sans faire gaffe. Le mikoshi avançait rarement en ligne droite. C’était plutôt un zigzag plein d’inertie. Un mikoshi voulait-il virer à bâbord pour corriger une trajectoire qui filait en plein sur deux vieux, une mère de famille enceinte et une poussette, qu’O.K., il virait à tribord mais l’opération prenait tout de même plusieurs mètres avant d’être réalisée.

Cela faisait donc un moment riche en émotions et en difficultés à gérer. Prendre des photos en évitant les mikoshis, les quidams sur les bords, surveiller Olrik Jr que je voulais éviter de ramener à la maison à l’état de crêpe, et essayer de prendre des photos au plus près en évitant d’importuner les participants (malgré mes précautions j’ai souvenir de quelques regards noirs).

Du coup, la petite expérience qui s’avérait pas vraiment neuve s’avéra assez fabuleuse par l’intensité des efforts des participants et leur grande proximité. Pas mal de photos et de vidéos ont été prises mais comme tout cela est toujours encore un peu en jachère sur mon disque dur, j’en posterai plutôt de temps en temps plutôt que de tout balancer à la va-vite (les article style « vas-y que je décharge ma carte mémoire sans recul », je préfère éviter).  En voici une tout de même : 

La visite pris une heure et demie, le temps d’humer la simplicité et la bonne humeur ambiante du matsuri. Avant de partir, Olrir Jr résista difficilement à la tentation de se faire tirer le portrait sur l’un des mikoshi : 

Olrik Jr, Luffy style (et, au moment de taper ces lignes, plutôt fier et mort de rire de se voir ainsi)

J’en profitai d’ailleurs pour mettre mon épaule sous l’un des rondins pour voir si le machin était aussi lourd qu’on le prétendait. Et oui, il peut être aussi comme ça votre cher Olrik, d’une naïveté presque désarmante. Evidemment, malgré mes qualités athlétiques qui me valurent dans ma folle jeunesse le titre de « Grand Commandeur du Bambou Turgescent » dans certains établissements de Kobe, le mikoshi ne moufta pas d’un millimètre. Paradoxe de ces mikoshi terriblement lourds mais dont le spectacle offert ne l’est pas, lui. Simple, coloré, joyeux, léger, presque aérien, à l’image de ces milliers de feuilles en papier qui surmontent les autels. L’image est belle : les mikoshi sont alors autant d’arbres en mouvement dont les racines à deux jambes triment, piochent dans leur énergie pour permettre à ces branches colorées d’êtres vues le temps de quelques heures. Ephémérité qui donne au matsuri de Tsuno des allures d’Hanami d’été. Evident que j’y retournerai la prochaine fois.

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5 Commentaires

  1. Très chouette post, et pour – attention, instant frime – en avoir porté un de Taikodai (oui petite correction, s’il y a des gens avec un ou des tambours dedans, c’est un Taikodai), je confirme, on souffre pas mal, mais on tient bon, on a pas le choix si on ne veut pas être responsable d’un accident qui peut être grave (et puis dans mon cas, il y avait mon honneur de gaijin en jeu aussi). Par contre, au bout d’un moment, l’adrénaline et la bière (ou saké) ingurgitée aident.

    Sinon le côté « on est a quelques centimètres de la procession et on essaie de ne pas se faire écraser » me rappelle que je n’ai toujours pas posté à propos du matsuri de Shodoshima d’octobre dernier, où je me la suis joué reporter de l’impossible, filmant les taikodais au plus près, plusieurs fois au risque de m’en recevoir un sur la gueule (mais sinon c’est pas marrant)

  2. Je suis toujours hésitant par rapport à ce genre d’expérience. Le faire un quart d’heure, O.K. Toute une après-midi, par contre… après, si la pichte vient à la rescousse, c’est une autre histoire, c’est sûr. Ou alors, auprès des charmantes donzelles en train de faire du taiko au-dessus tiens ! j’aimerais bien.
    « Taikodai », c’est bon, je le note pour de prochains articles, merci.

    • Oui, toute une après-midi, je ne suis pas trop sûr. Enfin, une fois bien intégré dans ma communauté, peut-être (mais alors je serai trop vieux pour le faire), mais là tout de suite, non.
      En l’occurrence, cela dura une heure environ, et ce fut une espèce d’invitation surprise impossible à refuser.
      Pour plus de détails: http://ogijima.fr/matsuri-sur-teshima/ 😉

      Pour « taikodai » vs « mikoshi », si j’ai bien tout saisi, le taikodai est donc le truc où il y a des gens dessus et un ou plusieurs tambours, le « mikoshi » est littéralement le sanctuaire portatif, il a d’ailleurs en général des faux-airs de mini kinkaku-ji (oui je sais, c’est un temple bouddhiste, j’ai dit des faux airs 😉 ). Il est aussi en général porté par des prêtres (ou des gens en costumes de prêtres), même si ce genre de truc change certainement d’un coin à l’autre. Le premier matsuri auquel j’avais assisté, à Tokyo, n’avait pas de taikodai, juste un gros mikoshi porté par tout le monde.

  3. Ouais, une heure, ça me plairait. Ou alors, après avoir zyeuté ta vidéo, je me dis qu’à la place d’un des petits vieux à l’arrière qui pilotent les mikoshis, ça m’irait aussi. Et si en plus il y a du saké, alors là, c’est pas loin du paradis.

    • Oui c’est ce que je me dis. D’ici à ce que je fasse partie à part entière d’un « groupe de matsuri » j’aurais certainement l’âge de ces petits vieux.
      Quoiqu’ils m’ont invité à les rejoindre l’an prochain (j’y suis retourné cette année, mais je suis resté en retrait, je voulais prendre des photos)

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