Maîtres de demain ? #4 Kanata kara no tegami (Natsuki Seta – 2008)

Nouvelle variation sur le thème du mal de vivre urbain, Kanata kara no tegami (a Letter from Elsewhere), film de fin d’études de Natsuki Seta, a au moins le mérite d’avoir quelques petites originalités en magasin  pour rendre intéressant le dilemme de Yoshinaga, jeune agent immobilier apparemment sans soucis et pourtant en pleine crise existentielle.

Plutôt que de jouer dans le pathos dans la représentation de cette crise, Seta a opté pour une suggestion qui puise dans les moindres petits tracas du quotidien de Yoshinaga. Ça commence dès les premières minutes alors que le jeune homme sort d’une maison avec un couple à qui il vient de la faire visiter. Une balle de baseball, lancée maladroitement par un type qui jouait aux alentours, rebondit à côté de lui, manquant de le toucher. Ce n’est pas grand-chose, il y aurait survécu, mais dès cet instant la petite péripétie va entrer en résonance avec la suite du film, créant un effet boule de neige, une sorte de spirale de petits malheurs qui va peu à peu amplifier le dégoût de Yoshinaga pour sa vie. Des clients difficiles, des plombs qui sautent chez lui, un petit orteil qui heurte violemment le pied d’un meuble, un nez qui saigne, un vendeur de convini qui le fait poireauter à la caisse, ça ne va pas comme sur des roulettes pour notre héros alors que, normalement, ça devrait : après tout, il a un boulot, un toit, une charmante compagne et le couple projette de s’installer dans quelque chose de plus grand.

Pourtant, il y a comme une sorte d’emprisonnement dans cette vie calme et sans surprise, comme le signifie la présence de sa tortue domestique dans son aquarium :

Pataude avec sa maison sur le dos, libre de ses mouvements mais pas trop, et seule, finalement comme ses maîtres dont on se demande si la vie de couple n’est pas un accessoire que se doit avoir tout un chacun dans sa panoplie d’homme moderne. Quand son copain n’est pas à la maison, Eri mange :

Elle renversera d’ailleurs la ketchup dans son assiette, comme si elle était elle aussi contaminée par la spirale de malchance.

… se maquille :

Mais pour qui ? Pour elle-même puisqu’elle reste chez elle.

… ou glande avec son chat :


Jolie tortue qui n’a rien à faire de son existence. Il n’en va pas autrement pour Yoshinaga, à la différence que l’aquarium s’étend jusqu’à son lieu de travail. Aussi, alors qu’il est sur le point d’essuyer une nouvelle petite déconvenue (il manque de rater son bus), il décide d’envoyer pour la journée ses responsabilités en se faisant porter pâle. Il en profitera pour aller fumer une Lucky Strike près d’un canal, moment de liberté, ou plutôt ersatz de moment de liberté qui lui laissera un goût amer.

La tortue, toujours.

Le tournant de cette mauvaise passe viendra par l’irruption dans sa vie de Yuki, jeune fille mystérieuse qui était venue le voir à son agence pour aller visiter un appartement. C’est ici que se situe l’autre originalité de ce film, ce côté road movie onirique qui transformera des promenades urbaines en gentils défouloires ludiques propres à oublier les soucis. Tour de grande roue, partie d’Othello, chahut sur la plage, les deux personnages ne tardent pas à forger une certaine complicité et Yoshinaga donne peu à peu l’impression de s’éloigner définitivement d’Eri.

Arrive une scène matricielle où tout va basculer : la visite du fameux appartement qui intéresse tant Yuki.

Du plus pur 70’s comme je n’oserais en voir même dans mes pires cauchemars

C’est un endroit totalement hors du monde, irrationnel. Qu’importe, Yuki et Yoshinage ne se posent pas tant de questions, ils y trouvent leur compte dans cette nouvelle étape à leur envie de s’échapper. Mais il y a dans cette joie de l’artifice, à l’image de ces gros carrés colorés qui remplissent les murs. Ça se veut coloré, joyeux, mais ces amas de lignes droites étouffe toute impression de bien être. L’effet aquarium, sans doute. Ou plutôt aquarium inversé puisque les fenêtres donnent à voir…  des poissons en train de nager !

Du coup, le bonheur hors de toute vie sociale, dans un cocon criard et en compagnie d’une jolie fille n’est peut-être pas la bonne solution. D’autant qu’un mystérieux programme à la télévision ne manque pas de perturber davantage Yoshinaga :

Sur une vieille VHS, il se voit vivant tranquillement dans cet appartement, mais cette fois-ci pas en compagnie de Yuki mais d’Eri et d’un bébé. Leur bébé puisque le spectateur apprend durant l’escapade du jeune homme que sa femme est enceinte. Yoshinaga est littéralement scotché par ce qu’il voit, et on comprend que ce qui se passe dans cet appartement n’est que le miroir de ce qui se passe dans son crâne, à la fois tenté et terrifié par cette troisième voie : la vie familiale.

La vie de famille comme façon de dépasser son mal de vivre. Le message est somme toute bien conventionnel, mais Natsuki Seta échappe à rendre son film conventionnel par ces scènes alternant quotidien vidé de tout intérêt et ludisme vidé de tout rapport avec les responsabilités, qu’elles soient sociales ou familiale, mais aussi par ce personnage de Yuki, insaisissable jusqu’à la fin, toujours à contre-courant dans son rapport au réel. Elle fait du réel, mais c’est un réel qui tourne à vide, à l’image de cette cigarette qu’elle tient avec élégance mais qui n’est pas allumée :

Finalement, Yuki peut apparaître comme l’alter ego de la tortue. L’une est terrestre et sert de passeur à Yoshinage pour lui montrer le danger qui le guette dans la vie sans obstacles qui l’attend, l’autre est aérienne et utilise son rôle de passeur pour lui ouvrir les yeux sur le bonheur familiale. Rôle positif pour un personnage qui, à la fin du film, semble partager avec la tortue un terrible point commun, la solitude.

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4 Commentaires

  1. Point de lettres de sang….

    Je me suis dit « chouette, le bougre ne spoile pas. »

    By, Jove, je me suis fait eu….

    Mais bon, je le note quand même, puis, ça faisait un bail que je ne t’avais lu en entier….

  2. Ouais, décidément, j’ai l’impression que ne pas spoiler m’est aussi difficile que de ne pas sauter sur le premier cul qui frétille pour d’autres. Tiens d’ailleurs, puisqu’on en parle, je pense qu’il faudrait présenter à Domi ce monsieur :
    null
    Sans déconner, son ultime chance.

    Et puisque je parle de série TV (quelle virtuosité dans les transitions), que dire de GoT si ce n’est que c’est le pied absolu ? Viens de voir le 5ème, une petite perfection. Mon souhait pour les cinq derniers : voir à quoi ressemble le gros Drogo au combat, par Crom !

  3. Oh oui, Domi, aka Pimp Daddy, doit virer ses avocats et appeler Saul… Sans quoi, il n’aura plus qu’à aiguiser un couteau en plastique et se trancher la gorge…

    Pour Game of Thrones, je suis super à la bourre, mais je rectifie ce week-end en m’enquillant du 3 au 5… Je te dis ça en début de semaine prochaine….

    Tu me sembles bien épris du Khal, pourtant, je te l’ai dit, ne t’accroche à personne…

    A.rnaud, il a appelé Saul

  4. J’ai aussi appelé Saul, il s’en occupe juste après en avoir fini avec le cas d’un cinéaste danois un peu crétin qui vient de se faire virer de Cannes à coups de pompes dans le train.

    Pour Khal, disons que j’aimerais bien le voir s’occuper du cas de Viserys Targaryen, ce serait un spectacle plaisant je pense.
    En fait, j’apprécie surtout Tyrion Lannister. D’ailleurs, puisque l’on parle de Saul, ce serait bon qu’il intervienne dans le 6ème épisode pour le tirer de son procès.

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