Plaisir et prise de tête – 1ère partie : ne plus être un déchet

Qu’ont de commun Akagi, Kaiji (deux anime) et Liar Game (un drama) ? Ceci : si vous n’avez pas une agrégation de mathématiques (au bas mot), vous êtes sûr de ne rien (mais alors vraiment rien) paner. Et je sais de quoi je parle puisque, en fait d’agreg de maths, j’ai que dalle et je peux vous assurer que, durant le visionnage de tous les épisodes de ces séries, j’ai la plupart du temps nagé en eau trouble (surtout pendant Akagi). Je ne suis pourtant pas plus con qu’un autre. J’ai même parfois eu l’impression, lorsque je m’accrochais bien, les yeux tendus vers l’écran, mes petits poings serrés par une intense concentration, parfois en nage, que ça y était ! je comprenais enfin ce qu’un des personnages expliquait. Et puis, infailliblement, arrivait l’explication de trop, l’argutie incompréhensible qui me faisait perdre tous mes moyens cognitifs et qui me donnait l’impression de n’être qu’un médiocre.

Dès lors se pose une question : suis-je maso? Quel plaisir y a-t-il à suivre des séries uniquement compréhensibles par des Kasparov ou des Pierre-Louis Lions? En fait, poser cette question signifierait que l’on sous-estime totalement l’art de la mise en scène dans l’animation japonaise (Liar Game, à certains égards, peut être inclu dans cette catégorie (1)), qui supplée totalement à la cancritude de certains spectateurs qui n’ont jamais été capables dans leurs études de résoudre des équations, ne serait-ce qu’à une inconnue. On verra cela tranquillement, au coin du feu, lors de la seconde partie de cet article. Pour l’heure, je vais essayer de prendre le pouls de la société nippone en évoquant certains aspects de ces séries.

Commençons par Akagi :

Des trois , Akagi est celle dont le côté critique de la société est le plus discret. Le personnage principal, Akagi donc, explose des adversaires au mahjong et leur soutire un maximum d’argent. Un gentil bat des méchants, voilà. Pourtant, quelques détails permettent d’étoffer un peu la lecture. Le beau générique d’ouverture d’abord, qui montre un Akagi se promenant dans des quartiers populaires, attentifs à des petits détails, comme des gamins qui jouent. Loin de l’image du monstre froid qu’il donne dans la série, on a l’impression d’une sorte d’Ogami Itto version jeu de société.

Un monstre froid, moi ? Avec cette gueule je voudrais t’y voir, toi !

Plus tard, on découvre que ce type génial, qui pourrait gagner sa vie au jeu au point de devenir millionnaire, travaille modestement dans une fabrique de jouets. Dans le même épisode, il vient en aide à un de ses collègues de travail qui est la proie d’autres employés. Les battre au Mahjong n’est qu’une formalité pour Akagi, tout comme, d’ailleurs, balancer quelques poings dans la gueule de ces mauvais perdants.

Tu connais l’école nantokanare ?

Du coup, on a parfois l’impression que ce qui amène Akagi à se confronter à des bad guys, c’est, au-delà du plaisir de s’enrichir (très relatif en ce qui concerne Akagi) et de les humilier (Akagi maîtrise parfaitement le sourire sarcastique ou le ricanement), l’envie de venger le petit peuple du pouvoir de nuisance de ces malfrats. Sur ce point, la série finit en apothéose puisque durant à peu près dix épisodes (soient 250 minutes, 4H10 de confrontation mahjongesque ! ) Akagi se frotte à la pourriture ultime, Washizu Iwao, sorte de comte Dracula milliardaire qui a l’habitude de jouer à un mahjong dont les dominos sont transparents et où l’adversaire ne joue pas son argent mais son sang. Le riche suçant le sang du pauvre. Il y a un côté cliché pris au pied de la lettre. Mais on se suce pas le sang d’un gars comme Akagi impunément et cet arc final réserve un lot de rebondissements qui fait tout sauf bâiller d’ennui le spectateur.

Washizu Iwao, chef d’entreprise

And now,

Liar Game

Le principe de Liar Game est différent. Il s’agit ici d’un jeu clandestin, organisé par des (ou une, on n’en sait rien à vrai dire) personnes richissimes. Les victimes sont des personnes ordinaires qui reçoivent un beau jour un carton d’invitation dans leur boîte aux lettres. Le principal personnage féminin, Nao Kanzaki, est l’une de celles-ci. Malheureusement, Nao n’a rien pour

Nao Kanzaki, une miss cruche finalement bien mimi (Toda Erika)

gagner car elle est d’une honnêteté désespérante, du genre à rapporter au poste de police de son quartier les pièces de 100 yens qu’elle peut trouver par terre, un comble pour quelqu’un qui

doit participer à un jeu qui s’appelle Liar Game et dont le but est de participer à des jeux de stratégie au fonctionnement simplissime mais pouvant donner lieu à toutes les perfidies. Heureusement pour elle, sa route va croiser celle d’Akiyama, jeune escroc fraîchement sorti de prison et qui va participer lui aussi au jeu. « Escroc » mais j’aurais tout aussi bien pu écrire « génie », « fin mathématicien », « expert en psychologie ». Contrairement à Nao, il est taillé pour remporter le jeu, pour s’enrichir et pour se venger. Pas des autres concurrents, mais de ceux qui organisent le jeu. Akiyama les soupçonnent en effet d’avoir une part de responsabilité dans la mort de sa mère…

Dans l’univers des dramas cotonneux ou bien souvent, on nous montre un monde où « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil », Liar Game est réjouissant car, à travers les

L'horrible Fukanaga

« On fait équipe ensemble? »

personnages, il n’hésite pas à pointer du doigt le féroce individualisme de la société japonaise. Ils peuvent faire équipe pour vaincre, mais c’est souvent pour, à la fin, faire un ultime croc en jambe à son petit copain afin de remporter sa petite promotion. Alliances de génies du mal, trahisons, moqueries hystériques quand on est sûr de gagner, c’est une petite société assez laide

Ryo Katsuragi est interprétée par Rinko Kikuchi, que l’on voit ici dans une scène de Babel. Le rapport avec Liar Game ? Ben, y ‘en a pas, pourquoi ?

à laquelle nous convie cette série. Heureusement, Sainte Nao, cette petite mère du peuple criblé de dettes, veille. Elle se fait bien souvent

cracher au visage avec ses propositions d’alliance pour sauver tout le monde du jeu, mais tend à devenir une sorte de personnage fédérateur christique. Elle n’hésite pas à se sacrifier dans un élan de générosité pour sauver un joueur qui s’est pourtant comporté comme la pire des saloperies. Dans la deuxième saison, elle affronte son antithèse, la redoutable Ryo Katsuragi , ennemie intime d’Akiyama, qui considère que la gentillesse n’est que le masque de l’hypocrisie. Indéniablement, les épisodes de Liar Game ont parfois un côté rupificaldien (2).

On peut se demander toutefois si cette importance accrue de Nao n’enlève pas un peu de piment à la série. C’est un peu vrai mais d’un autre côté, le drama nous a tellement habitués à sonder la noirceur des personnages que l’on se dit que rien n’est joué. Même l’infaillible Akiyama, pourtant totalement dévoué à Nao dans la deuxième saison, semble parfois avoir un léger penchant vers des sentiments peu recommandables. La bande annonce du film qui normalement devrait conclure le drama montrer en tout cas que Nao va avoir fort à faire pour ramener dans son giron de nouvelles brebis égarées.

Et maintenant, la palme de la vision la plus noire de la société. Et le gagnant est:

KAIJI !

Là aussi, il s’agit de jeux organisés par une richissime pourriture. Là aussi, les joueurs sont des quidams criblés de dettes. Et là aussi, ils vont devoir vaincre dans des jeux retors en utilisant toutes les ressources de leur intelligence. Mais ici, l’écart entre riches et pauvres est exacerbé. Il est un mot, utilisé systématiquement tout le long des épisodes, qui résume bien la situation : « kuzu », c’est-à-dire « déchet ». C’est le gentil mot qu’utilisent les organisateurs pour qualifier les participants. Pour eux, ils n’existent pas, c’est à peine s’ils ont le droit de vivre. Ils ne sont que des parasites, qui ne font rien de leur vie, qui reportent toujours par paresse des décisions qui pourraient les faire aller de l’avant. Finalement, ils ne sont qu’une « chair à jeux » destinée à divertir la classe aisée.

Les épisodes les plus choquants sont ceux relatant « l’épreuve des poutres ». Kaiji, le héros et donc un des participants, doit avec sept concurrents traverser 25 mètres en marchant sur des poutres suspendues à dix mètres du sol. C’est évidemment une course de rapidité, seuls les premiers auront droit à leur récompense de plusieurs millions de yens (récompense qui s’avérera d’ailleurs être une arnaque, une de plus). Bien entendu, on ne prévient pas les joueurs que la poutre diminue de largeur au fur et à mesure, et on les prévient encore moins qu’ils ont parfaitement le droit de balancer les petits camarades qui leur boucheraient le passage. Cela, à eux de le découvrir sur le moment et de montrer finalement de quelle étoffe ils sont faits. Cerise sur le gâteau, les spectateurs sont des nouveaux riches en cravate qui gueulent, les traitent de déchets et trépignent de joie dès que l’un de ces tristes funambules se fracasse sur le sol. Un pauvre qui se fracture les deux jambes en faisant une chute de dix mètres… cocasse, non ?

Mais qu’est-ce que je fous dans cette série de merde, bordel!

Et ce n’est pas fini, on monte d’un cran dans l’ignominie lorsque les survivants passent à l’épreuve suivante : toujours des poutres mais cette fois-ci à une bonne centaine de mètres du sol.

Dé plous en plous difficile !

Bien d’accord avec vous mon général. D’autant que les poutres sont électrifiées, pour éviter que ces miséreux ne soient pas fair play en avançant bêtement à califourchon. Cela gâcherait le plaisir de ces riches savourant leur dîner et les chutes mortelles de ces « déchets ».

Oh ! Un de ces loqueteux vient de tomber ! – Délicieux !

Comble de la misère : les participants se traitent entre eux de déchets. La pauvreté ne permet pas le travail d’équipe, au contraire, elle renforce l’individualisme et les pires trahisons. Akagi en fera une traumatisante expérience lors du premier arc (un tournoi de pierre-ciseau- papier sur un paquebot appelé l’Espoir. Si ça c’est pas la classe, j’y connais rien).

Kaiji, je te le dis : on te soutiendra à mort !

Enfin, ultime subtilité qui ne manque pas de donner à cette série un certain piquant, voire une certaine profondeur : les discours sur la société japonaise et sur un certain éloge du travail, de la persévérance, sont légion. Mais, qu’ils soient énoncés par des crapules ou par la voix du narrateur, ils ont une telle conviction dans leur ton qu’on en vient à se demander quelle est la véritable pensée de l’auteur : dénonce-t-il ces parasites endettés jusqu’au cou, ou feint-il de les dénoncer ? Rien n’est clair et c’est sans doute ce qui permet à Kaiji d’avoir cette originalité de ton délicieusement dérangeante.

(1) Les trois séries sont d’ailleurs issues de manga. Kaiji et Akagi sont des mangas de Nobuyuki Fukumoto, Liar Game de Kaitani Shinobu. (2) Relatif à La Rochefoucauld eh !

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