Dousei Jidai, Lorsque nous vivions ensemble, de Kazuo Kamimura

        Attention chef d’œuvre ! A l’heure où les éditeurs français semblent s’être donnés le mot pour inonder le marché de shôjo mangas pour jeunes pucelles en mal d’émotion, Kana tire magnifiquement son épingle du jeu en proposant une sublime histoire d’amour. Et lorsque l’on sait que le créateur de cette histoire n’est autre que Kazuo Kamimura (l’auteur de Lady Snowblood, entre autres), on peut se douter que ce ne sera pas une bluette fade mais une histoire d’amour teintée d’érotisme à destination d’un public plutôt adulte.

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    De fait, Dousei Jidai s’attarde sur l’histoire de deux jeunes gens, Jirô et Kyokô. Ils ne sont pas mariés mais, choix courageux au regard des mentalités de l’époque, ont décidé de vivre ensemble dans un petit appartement. Il n’y a pas à proprement parler de fil conducteur dans leur histoire. Nous suivons en fait différents épisodes de leur vie, sans réels connections entre eux. Certains se suivent chronologiquement, mais d’autre forment un tout indépendant. Nous sommes en fait dans une chronique amoureuse, face à une liaison qui se tend et se distend. A tout moiment elle semble pouvoir se rompre.  Jalousie, doute succèdent régulièrement au plaisir et au bonheur de vivre ensemble.

     On pourrait penser que le manga tombe alors un peu dans la monotonie. C’est sans compter sans les talents de conteur de Kamimura. Pour donner de l’intérêt à l’histoire des deux protagonistes, l’auteur s’échine toujours à inventer une trame, à travers un troisième personnage (un jeune homme handicapé rencontré à la plage, la soeur de Kyokô, un collègue de travail, un prêtre…) qui permet de déboucher sur une leçon de vie.

     Autre atout majeur, et qui éclate à chaque planche, le style graphique de Kamimura. On a pu parler de style cinématographique. C’est vrai si l’on en juge de par la variété des plans dans le découpage. Mais sa virtuosité apparaît aussi par ses audaces graphiques, ses métaphores visuelles. Ainsi cet épisode dans lequel Kyôko, alors qu’elle se trouve dans un train bondé, se fait peloter par un inconnu. Tout le malaise, le côté sale, poisseux de la situation, est alors symbolisé sur les planches par la trace laissée par un escargot. C’est un exemple parmi d’autres. Pour faire court, disons simplement que Kamimura est passé maître dans le non-dit. Dousei Jikai n’est pas ce que l’on pourrait appeler un manga bavard. On parle peu car il n’y a pas forcément besoin de beaucoup parler pour se comprendre. Un enchaînement bien senti de cases est tout aussi clair qu’un dialogue explicite mais lourd. C’est aussi somme toute illustratif de cet amour à la japonaise (j’ai oublié le terme exact), cette façon de se communiquer son amour sans utiliser la parole.

     Enfin, terminons avec ce qui donne à mes yeux à ce manga un charme décisif : le fait que l’histoire se passe dans les années 70.  Si vous êtes un peu cinéphile, peut-être avez-vous vu des films japonais se passant à cette époque. Il y a je trouve toujours un charme particulier qui se dégage de cette époque. On retrouve celui-ci à chaque planche, que ce soit dans des détails graphiques (par exemple ceux liés aux vêtements) ou dans les détails liés aux mentaltés de l’époque. Un autre aspect qui renvoie vraiment à cette époque est l’érotisme, omniprésent, qui n’est pas sans faire rappeler les « pinku eiga » (les films érotiques), alors très en vogue. C’est un érotisme souvent léger, mais parfois étonnamment cru (ainsi cet épisode dans lequel une femme mourante décide de s’offrir aux plaisir SM de son mari).

     Pour finir (cette fois-ci pour de bon) ajoutons que ce manga fut en son temps un véritable phénomène de société : 3 millions d’exemplaires vendus, une adaptaion en long métrage, puis en une série télévisée. Les jeunes, éprouvant une certaine inquiétude au sujet de l’évenir, ne prenaient pas moins la vie avec une certaine légèreté et ont su se reconnaître dans ce magnifique couple formé par Jiro et Kyoko.

Kazuo Kamimura

Kazuo Kamimura

 

Pochette du 45tours de la chanson utilisée pour l'adaptation cinématographique

 

Lorsque nous vivons ensemble est donc édité chez Kana. La collection fera trois tomes. A noter que si le volume peut paraître cher pour un manga (18 euros), cela est largement compenser par le nombre de pages (700 !) et par la qualité de l’édition qui offre un format supérieur aux éditions habituelles de mangas.

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8 Commentaires

  1. je confirme : CHEF-D’OEUVRE
    on est surpris et emportés chaque tournant de page

  2. Je n’ai lu que des bonnes critiques sur ce manga. Pourtant, je me suis vraiment ennuyé a la lecture de Lorsque nous vivions ensemble. Il s’agît de fragments de quotidien anodins. Elle cuisine, se coupe les ongles, prépare le café, pleure. Il joue de la guitare, dessine, allume une clope, boit. Ils font l’amour, dorment, mangent, se promènent, prennent une douche. Le lecteur attend un évènement, une action, quelque chose mais au bout de 700 pages il ne s’est rien passé. L’intrigue consiste à savoir si les personnages vont ou pas se marier. Une platitude sauvée uniquement par la beauté des dessins.

    • C’est justement le fait que ce manga soit rempli d’actions banales qui le rend à mes yeuxc aptivant. L’adversité n’est pas incarnée par de conventionnels antagonistes mais par ce train train quotidien qui agit peu à peu comme un poison. On a l’impression au bout d’un moment que les personnages sont prisonniers de leur quotidien, qu’ils singent des gestes ordinaires en espérant que cela les détournera du fait que leur relation n’évolue pas. Mais je peux comprendre que l’on puisse être agacé par cette absence de rythme dans la narration.
      Merci en tout cas de ton avis.

  3. Pour ma part j’ai beaucoup aimée la poésie de ces mangas. Et le graphisme ; absolument superbe ! Vraiment très beau. Merci pour ce billet bien plus pointu que le mien !

    • Il n’y a pas de quoi.
      Je viens de voir sur ton blog qu’il s’agit de ton premier manga. C’est bien, tu aurais pu plus mal tomber mais tu as tout de suite tapé dans le haut du panier. Il commence à y avoir une quantité intéressante de titres de Kamamura édité en France. Si tu as aimé Dousei Jidai (et apparemment c’est le cas), tu devrais apprécier les autres. Attention cependant à Lady Snowblood qui est plus du côté « série B pour adultes ».

  4. Je n’ai pas l’habitude de poster des commentaires aux articles que je lis mais j’apprecie votre blog.

  5. Je suis en plein dedans. Je le trouve dur, une relation toxique.
    Par ailleurs quand ils rangent leur bibliothèque la traduction nous note quelques classiques de la littérature. Le Dôsei jidai m’a fait atterrir ici, Kamui et April fool ne me mènent pas plus loin. Est-ce simplement une blague ou ces livres existent ?

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