Getting Any ? (Takeshi Kitano – 1995)

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Dans Getting Any ?, cinquième film de Kitano, il sera question de merde. De beaucoup de merde. Du coup, vous comprendrez pourquoi au moment de prendre la plume j’ai quelques difficultés à me saisir de l’article. Par quel bout le prendre sans s’en mettre plein les pognes ? Et surtout quoi en dire ? J’imagine que c’est la question qu’a pu se poser le spectateur en 1994 lorsque, encore sous le charme du prodigieux Sonatine, il paya son ticket pour aller voir ce 5ème film de Kitano. Spectateur non japonais s’entend car le Japonais, lui, habitué des facéties télévisuelles de Beat, n’a pas dû être déstabilisé plus que cela.

Mais pour le spectateur hors Japon, l’expérience a dû être une incroyable déconvenue. En France nous avons été au moins préservés : le film est sorti en 2001, après Hana Bi, l’Été de Kikujiro et Aniki mon Frère. Du coup lorsqu’il est sorti, ce film, avec le poids des ans, a pu apparaître comme une erreur de jeunesse sur laquelle il ne valait mieux pas trop s’attarder. Ouais, sauf que le film n’est en rien une erreur de jeunesse. On le répète, Getting Any ? est le 5ème film de Kitano et il est pris en sandwich entre Sonatine et Kids Return. Et là, difficile de ne pas se poser la question : qu’est-ce qui a bien pu se passer dans la cafetière de Takeshi pour commettre un pareil étron ?

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Une envie de pousser au suicide certains de ses acteurs ?

Avant d’aller plus loin pour trouver un élément de réponse, il faut quand même rappeler de quoi parle Getting Any ? Le titre original est en fait Minna Yatteruka !, soit « tout le monde le fait ! ». Vous l’aurez compris, il ne s’agit pas ici d’une allusion au popo mais bien eu trempage de biscuit dans une certaine tasse. « Tout le monde le fait ! », C’est ce qu’a bien vissé dans le crâne Asao, jeune loser qui n’a qu’une idée en tête : choper une fille pour baiser. Tout le film va relater ses tentatives pour parvenir à ses fins. Ça commence par le visionnage d’un mauvais drama où il découvre cette scène :

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Un homme besogne une fille dans sa porsche. (warning : article riche en gifs animés débiles ! Ne faites pas la fine gueule, je sais que vous en êtes friands)

Du coup, idée géniale ! il décide lui aussi de s’acheter une voiture pour pratiquer le « car sex ». Ça foirera, car demander à une fille « vous voulez monter dans ma voiture pour baiser ?» fonctionne rarement dans la vraie vie.

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Asao va même fusqu’à faire une séance de frotti-frotta contre une employée d’un concessionnaire pour vérifier que la voiture qu’il veut acheter est confortable pour pouvoir le faire !

Puis, il s’imagine que dans les compagnies aériennes les services à bord sont d’un genre particulier :

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Clique gentiment sur l’oreille droite de l’hôtesse pour voir de quoi il s’agit.

Il décide donc de se faire un max de blé pour pouvoir se payer un voyage. Pour cela il braquera des banques (ça foirera), deviendra acteur (parce qu’il imagine qu’un acteur célèbre dans un avion, c’est forcément l’assurance de passer du bon temps avec une groupie ; son passage sur les plateaux sera bien sûr un échec) ou cherchera de l’or dans des mines (itou !).

C’est alors que lui vient une autre idée géniale : sans aller jusqu’à se ruiner pour s’offrir un billet dans un avion de ligne, il peut au moins se payer un avion en Cessna où, c’est sûr, les hôtesses doivent elles aussi offrir un service particulier :

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Cette fois-ci c’est sur l’oreille gauche

Malheureusement, ce sera le commandant de bord qui l’offrira, le service :

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Si le cœur t’en dis, clique sur l’image. Perso, j’ai ri à cette scène.

Ensuite tout s’enchaîne : il sera pris pour Joe Shishido, le tueur légendaire, sera embringué par des yakuzas pour se venger d’un autre clan, puis sera embauché par un savant fou –joué par Kitano pour le transformer en homme invisible qui pourra aller tripoter des filles dans des onsens ou sur les plateaux de tournage de films pornos. Enfin, il sera transformé en homme mouche qui mourra étouffé au milieu d’un gigantesque gâteau de merde. Arrivé ici, vous pouvez aller vous en griller une et vous enquiller un verre de cointreau pour reprendre vos esprits. La suite de l’article sera plus calme.

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Tenez, un petit numéro pas prise de tête pour faire baisser la tension.

Getting Any ?, on le voit assez je crois, se veut donc un gigantesque délire trivial. Une énorme tarte à la crème balancée à la frite du spectateur qui hurlera de rire ou partira en maugréant contre l’incroyable bêtise de ce qu’on lui a montré. A vrai dire peu importe la réaction du spectateur, Kitano s’en fout, ce qui lui plaît c’est se tenir les côtes devant ses propres potacheries. Mais il y autre chose derrière ce but égoïste, chose que Kitano a expliquée un jour lors d’une interview :

L’idée était de faire voler en éclat mon propre cinéma. Je déteste ce qui est préétabli et je voulais invalider toute idée préconçue de ce que pouvait être un film de Takeshi Kitano. Il me semblait qu’avec Sonatine, la boucle était bouclée, que j’avais achevé une sorte de cycle et que je devais tout casser avant de me lancer dans une nouvelle direction. Résultat : Getting any ? est incontestatblement un beau ratage. C’est un travers de mon caractère. Si j’étais marathonien, j’attendrais le dernier kilomètre pour m’effondrer et laisser tout le monde me passer devant. J’ai un esprit d’auto-destruction extrême qui me surprend moi-même. Au lieu de tenter de se suicider à l’époque de Dodes’kaden, Kurosawa aurait mieux fait de réaliser un film complètement déconnant. C’est ce que j’ai fait avec Getting any ?  qui est un suicide symbolique. Quand à Kids Return, je le vois comme une renaissance et en même temps comme le début d’un nouveau cycle, plus autobiographique.

(Propos recueillis par Gérard Delorme, Léonard Haddad et Estelle Ruet pour le magazine HK.)

Avec ce film, Kitano va donc à la selle. Il lâche son caca afin de partir plus léger pour pondre cette fois-ci de vrais chefs-d’œuvre. Il y a comme le besoin de lâcher symboliquement tous les brimborions de Beat Takeshi pour que Takeshi Kitano puisse reprendre sa course vers les sommets du septième art. De fait, difficile de parler de mise en scène ici, rarement la patte Kitano n’aura été aussi peu présente. C’est bien la patte « Beat Takeshi » de la TV, celle qui construit des saynètes qui sont l’équivalent des strips en quatre cases. Sobre et efficace, c’est parfois nonsensique (j’ai plus d’une fois pensé aux Monty Pythons), parfois vulgaire, souvent inégal. Et cela pendant une heure quarante. Getting Any ? rejoint en fait ces films qui a l’origine constituait des série de vingt minutes. Je pense à Bean ou à Sacré Graal des Monty Pythons. Des comédies plutôt réussies (surtout Sacré Graal) mais qui ont tendance à s’épuiser au fil des minutes, l’enchaînement non stop des gags amenant à un certain ronronnement alors que le format des vingt minutes permettait un condensé assez jubilatoire. Autrement dit, ce qui est attrayant dans une séquence de quelques minutes pour la TV devient assez vite saoulant dans un long métrage. C’est un peu ce qui se passe dans Getting any ? et pour le coup, on a réellement l’impression d’être dans un Cessna, l’hôtesse à poil en moins. On passera parfois la tête au hublot pour être distrait par un paysage. On peut être amusé par exemple à repérer toutes les références d’une certaine pop culture que l’oncle takeshi s’amuse à passer à la moulinette de la satire : films de yakuzas, chambara, Ultraman, Denso ningen, Ghostbusters et j’en passe. On pourra aussi sourire au portrait gentiment moqueur que Kitano fait à travers son héros d’une jeunesse otakiste incapable de séparer fantasmes et réalité.

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Hein ? Comment ça ?

… mais on pourra aussi être tenté de passé en pilotage automatique pour piquer une ronflette. Le film parvient à amuser mais, même s’il faut lui reconnaître d’être assez unique en son genre, il est bien difficile de voir en lui une réussite.Il n’en reste pas moins un objet bizarre, une balle que le réalisateur s’est tiré volontairement dans les couilles et un doigt tendu à une critique qui, après Sonatine, allait forcément l’attendre au tournant. Vous m’attendez pour me régler mon compte ? Eh bien dozo, faites-vous plaisir, mangez :

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Après Getting any ?, Kitano réalisera Kids Return et Hana Bi. Comme quoi sa théorie du suicide artistique salvateur n’est pas totalement erronée.

 

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5 Commentaires

  1. C’est dur de s’enquiller ça après Sonatine, hein ? Bon, moi les gags des braquages ratés me font beucoup rire, comme certains trucs avec les yakuzas ou la louche à merde de Zatoichi. Après, c’est sur que c’est super inégal.
    Sacré-Graal est un film hilarant et génial par contre ! Pas touche !!:)
    Par contre, t’es sûr de ton coup pour la musique ? Je n’ai vu mention de Hisaishi ni sur Imdb, ni sur son propre site (et je leur fais plus confiance qu’à Wiki ou Allociné). Apparemment c’est l’ingé-son habituel de Kitano qui est crédité (avec un autre type inconnu au bataillon), il a du lui bidouiller des musiques bien pourries en deux minutes, histoire d’être raccord. Le thème de Ghosbuster au bontempi est glorieux. Si Hisaishi est crédité comme « superviseur musical » au générique, j’imagine que c’est lui qui a été chercher les morceaux de j-pop qu’on entend dans le film. Ou alors c’est juste qu’il assume pas.;)
    L’interview de Kitano sur le DVD français (sorti dans les années 00, alors que Kitano avait déjà les cheveux gris/blond), est assez intéressante, même si c’est difficile de savoir si c’est du lard ou du cochon…

  2. Oui, il semblerait que tu aies raison pour Hisaishi. Au moment de vérifier, je me suis emporté sur mon clavier. J’AURAIS DÛ cliquer sur IMDB, au lieu de cela j’ai bifurqué sur Wikipedia qui balance apparemment la mauvaise info. Mais ta théorie d’un Hisaishi qui n’assume pas m’amuse. Et l’imaginer en train de « composer » sur du papier cul et une pince à linge sur le nez la reprise de Ghostbusters me faisait méchamment triper.
    J’ignorais sinon qu’il y avait eu une édition DVD. Et je ne suis pas près de me la procurer vu le prix prohibitif maintenant. Dommage, j’aurais bien aimé entendre l’explication herméneutique du père Kitano sur le symbolisme de la louche à merde (j’ai ri aussi, j’avoue).

    Et non, ça n’a pas été tellement dur de se le mater après Sonatine puisque j’avais pris soin de la voir AVANT. Sonatine, je l’ai revu hier et ça a été un sacré plaisir.

  3. Ah ouais, je ne savais pas que mon DVD de Getting Any ? valait si cher sur le marché aujourd’hui. Absurdité de l’offre et la demande.
    Dans l’interview (en 2003 donc), Kitano dit que c’est la première fois qu’on lui demande de parler de ce film, et que ça lui fait assez bizarre pour lui de revenir dessus. A propos de la merde, Kitano dit que le Japon étant à la base une société d’agriculteur, les Japonais ont un rapport particulier à la merde (l’engrais, tout ça, et les conditions précaires d’hygiènes de l’après-guerre aussi). Il se marre pas mal en en parlant d’ailleurs. Quand on lui demande quelles réactions à suscité le film au japon, il répond « Je pensais qu’on me dirait que c’est totalement nul et indigne, mais en fait il n’y a eu strictement aucune réaction, rien du tout ». L’interviewer lui demande « Mais le film est bien sorti ? », ce à quoi Kitano répond « Il paraît. » AUtant dire qu’il ménage l’humour pince-sans-rire. Il parle quand même assez clairement de ça démarche, qui était de se moquer de ses propres gags, de « donner un tour de vis supplémentaire » pour accèder à une sorte de non-gag qui serait le gag. Sauf que le spectateur n’y voit qu’un tour de vis en moins et donc un gag foireux. Un truc intéressant sur l’humour, il dit que si la satire de la société est en effet un moyen qu’il utilise, « l’humour pur ignore la satire, il n’est valable que pour lui-même », ce que je trouve assez juste. Il insiste aussi sur la nécessité de se moquer avant-tout de soi-même. Bref, on voit qu’il maîtrise quand même son sujet.
    Il dit aussi (sérieusement ou pas ?) que ses autres films sont tous contenus en celui-ci, avec son potentiel de violence et son immense tristesse (sur le fond, c’est vrai que c’est pathétique). Il parle aussi du côté un peu neuneu des Japonais de sa génération dès qu’il s’agit d’exprimer un désir.
    Enfin, à la question gag : « Quelle sorte de voiture utiliseriez-vous pour draguer ? », Kitano répond du tac-au-tac « Un corbillard surement, ça prête bien à rire un corbillard. » J’aime ce bohnomme.

  4. Sorry pour les typos honteuses !! Lendemain de nuit agitée !!

  5. No problem pour les fautes. A 1H46, tu es tout pardonné. J’étais moi-même au même moment à m’enquiller des liqueurs hongroises avec des amis, inutile de dire que la syntaxe n’était pas très fraîche non plus.
    Et merci pour toutes ces infos qui me font vraiment regretter de ne pas avoir ce bonus. A lire ton résumé il est clair que le père Kitano est bien plus qu’un simple bouffon télévisuel. « La nécessité de se moquer avant tout de soi-même ». On ne peut plus d’accord avec cela.

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