Parallèlement au succès des kaiju eiga à la fin des 50’s (et ça ne faisait que commencer), la Toho entreprit de diversifier son approche du fantastique (1) en lançant un nouveau genre, le kaijin eiga (littéralement, le « film d’êtres bizarres », en gros le film de mutant). Dans les quelques films qui ont alors été produits, on distingue quelques noms bien connus comme Ishirô Honda qui en réalisa quelques uns. Malgré leurs qualités, le succès commercial fut mitigé et c’est assez curieusement que déboula ce Denso Ningen (aka the Secret of the Telegian) dans un genre alors à bout de souffle.
Contribua-t-il à lui redonner quelques couleurs ? Pas vraiment, on a souvent coutume de présenter ce film comme nettement inférieur à ceux de Honda (je précise ici que je n’ai pas vu ces derniers mais que cela ne saurait tarder ; stay tuned…). Reste que si cela est vrai, alors les films de Honda doivent être de véritables petits chefs-d’oeuvre car ce Denso Ningen-là est tout sauf vilain, surtout pour ce qui constitue un deuxième film pour son réalisateur. On y trouve une fraîcheur, une patine qui n’est pas sans rappeler les films de genre que produisait alors à l’autre bout de la planète la Hammer en plein âge d’or. Violence, savants fous, stylisation baroque, jolies filles, j’ai ressenti face à cela le même style de plaisir délicieusement coupable, celui que l’on ressent quand on est gamin face à une oeuvre qui nous paraît « adulte », presque sulfureuse. Et puis, il y a les couleurs, pas celle du cinemascope mais du…
On se love alors avec délectation dans un univers chatoyant, irréel, beau jusque dans la laideur des scènes qu’il peut montrer. Du coup l’histoire importe peu même si mon âme d’enfant y a vu des détails qui ont su me séduire. Rapidement quand même, voici en quelques mots la fabuleuse histoire de :
Le film commence dans une attraction de fête foraine, le « Thriller Show » :
« KYAAAAAA! »
Problème, un des clients en sort avec un petit quelque chose planté dans le dos :
une baïonnette ; évidemment, ça fait un peu mal.
Commence alors une enquête où l’on découvre que le meurtrier n’est autre que ce bonhomme :
non pas Fantomas mais Goro Nakamoto
Ou plutôt le caporal Sudo, soldat défiguré et trahi par ses frères d’armes durant la seconde guerre mondiale et qui est bien décidé à se venger. Pour cela, il leur fait auparavant parvenir une plaque d’identité :
… qui sera pour eux l’avertissement qu’ils n’ont plus beaucoup de temps à vivre.
Sur l’avant-dernier screenshot, vous vous dites plutôt que notre caporal n’a pas l’air très frais et que c’est sans doute lui qui va jouer le rôle du mutant. Bingo ! En fait, Sudo n’a pas été la seule victime dans cette histoire de trahison, il ya aussi le professeur Niki :
Qui malgré son teint de fromage blanc n’est pas un mutant.
Car oui, que serait un film de mutant sans un savant fou hein ? je vous le demande. Sauf qu’ici, le savant est plutôt du côté du bien, il ne devine absolument pas la soif de vengeance de son protégé et encore moins l’usage diabolique qu’il va faire de son incroyable machine,
le claryotron
… mot compliqué qui désigne simplement un téléporteur. Aidé de cette invention, Sudo arrive facilement à approcher ses victimes et à les tuer de l’arme avec laquelle il avait été autrefois blessé, la baïonnette. Pour l’aarêter, il ne faudra rien moins que trois personnages :
le détective Onosaki, le journaliste Kirioka et l’inspecteur Kobayashi
Enfin, et là on s’en doute un peu, notre soldat va mal vivre ses téléportations à répétition. Sur le modèle du savant de The Fly, sorti deux ans plus tôt, il deviendra au fur et à mesure un personnage maléfique, démoniaque, en un mot olrikien.
Quand je dis « olrikien », nulle exagération de ma part : c’est une chose qui m’a frappé dès le premier quart d’heure. Je veux parler du côté Blake et Mortimer de l’histoire et de l’ambiance. Ces hommes qui se font dégommer un à un, après avoir reçu un mystérieux avertissement, par un adversaire insaisissable et invincible, tout cela m’a irristiblement fait penser à la Marque Jaune. Bon, certes, on n’a pas Big Ben et les bobbies, mais on retrouve une intrigue mi-policière, mi-SF, de cette SF grandiloquente faite de savants n’ayant pas conscience de la puissance de leur invention et toujours entouré par d’invraisemblables trucs, bidules et autres machins :
pas loin de ressembler à mon bureau en fait.
Côté enquêteurs, c’est ambiance feutrée à souhait :
Toujours sur leur 31, la coupe impeccable, jamais un mot plus haut que l’autre, ces mecs ont la classe, by jove ! Tout en efficacité, on sent que rien n’arrêtera ces gentlemen, et surtout pas les femmes :
La charmante Akiko Nakajo a beau apparaître en gros en compagnie du héros sur l’affiche, sa participation dans l’intrigue est finalement assez anecdotique. Tout comme chez Jacobs, l’enquête policière est avant tout…
une affaire de mâles.
D’un côté de l’intense réflexion :
avec le professeur Miura
De l’autre de l’action :
Avec une course-poursuite qui n’a pas été sans me rappeler, une nouvelle fois, la Marque Jaune et cette scène où l’on voit Olrik/Guinea Pig échapper magnifiquement à la police dans les docks londoniens.
Bon, il y a là-dedans beaucoup de rêverie personnelle, rêverie qui ne parlera pas beaucoup à celui qui ne connaît pas l’univers jacobsien. Mais pour ceux qui connaissent et qui aiment, cela peut vous donner une assez bonne idée de l’ambiance du film. Avec un petit plus qui ne gâche rien :
des décolletés, des gambettes, une nuisette et une danseuse sexy recouverte de peinture d’or.
Sensualité (érotisme serait un peu fort) qui vient égayer l’enquête bien sérieuse de ces hommes… très sérieux (2). Ils n’en profitent pas mais le lecteur, lui, sait gré à Fukuda de compléter agréablement ce que l’on devine être le cahier des charges de la Toho.
Ambiance policière agréable, machine infernale, mutant assoiffé de sang et armé d’une baïonette, petites pépés et effets spéciaux honorables, le tout servi par l’inquiétante partition de Sei Ikeno, il m’en faut bien moins pour me séduire. Malheureusement, il en fut tout autrement à l’époque. Le film n’eut guère de succès et contribué à éloigner Fukuda de ce style de film. Pire cela l’obligea à pratiquer un genre pour lequel il disait n’avoir aucun goût : le kaiju eiga. De fait, ses réalisations dans ce domaine ne semble pas avoir recueilli les suffrages des connaisseurs. Dommage, sans être l’égal d’un Honda, Fukuda avait des munitions pas sans intérêt.
(1) fantastique au sens large du terme, pas au sens littéraire.
(2) sauf en ce qui concerne les policiers secondaires, dépeints comme une joyeuse bande de bouffons.