Cars 2 VS Rémi sans famille

Dans ce sympathique article foutraque, nous allons parler de Cars 2, de John Lasseter, de Tokyo, de Perfume, d’Osamu Dezaki, de Stevenson et d’Hector Malot. Pas besoin d’attacher votre ceinture, c’est une promenade en calèche que je vous propose puisque la France du XIXème siècle va largement l’emporter sur le Tokyo du XXIème.

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Ne tergiversons pas voulez-vous ? Cars 2 a beau se dérouler en partie au Japon, Cars 2 pue. La vidange, la rouille, le mauvais gazole, tout ce que vous voulez, mais il pue, un comble pour un film dont le thème est les énergies propres. A la base, moi, je marche une fois sur deux avec les productions PIXAR. La dernière fois c’était avec Toys Story 3 qui m’avait plutôt fait passer un bon moment. Aussi était-ce un peu résigné que j’allai au cinoche hier en compagnie d’Olrik Jr pour voir le nouvel opus du studio américain, persuadé que j’allais devoir me farcir cette fois-ci un mauvais cru. Ça n’a pas raté, ce film est sans doute le pire de toute la filmo de PIXAR. La faute à deux personnes : John Lasseter et le malodorant Martin. Ce dernier n’a évidemment aucun rapport avec le rédacteur en chef d’Eigagogo (bien moins rouillé lui), en fait, je veux bien sûr parler de cette chose :

Martin, la « sympathique » dépanneuse débile amie de Flash Mc Queen. Il y avait déjà eu un précédent, souvenez-vous du désarmant Jar Jar Pine dans la Menace Fantôme. Soi-disant porteur d’une caution humoristique et familiale pour la nouvelle trilogie de Lucas, cette truffe avait eut tôt fait de donner au film un verni de médiocrité. Il ne faut cependant pas enlever à big Georges une chose : il a au moins compris la leçon, lui, et n’a pas réitéré la carte humoristique aussi foireuse qu’une gros pet lors d’un enterrement. Je n’aime pas les deux autres films, mais je reconnais bien volontiers qu’ils ont une autre tenue.

Avec Cars 2, c’est l’inverse. Lucas avait pourtant amicalement fait la leçon à Lasseter après le premier Cars, malheureusement :

« Enlève ta sale patte de mon épaule connard ! »

Eh oui, notre quinquagénaire n’en a fait qu’à sa tête et a décidé de faire de Martin non pas un personnage secondaire mais, puisqu’il plaît aux gosses, le personnages principal. Sortez les camisoles : il faut en effet être soit trisomique soit venir d’Alpha du Centaure pour comprendre les assertions, les contre-assertions, les coq-à-l’âne et autres monologues incompréhensible de ce red neck sur roulettes. Ses paroles débitées à 10 mots/seconde sont aussi limpides que celles d’un Gainsbourg invité à Apostrophes. Mais peu importe pour Lasseter, Martin est un personnage drôle, il est la coqueluche des enfants, il va donc les attirer au cinéma.

Le problème est que Cars 2 propose une histoire mine de rien assez complexe pour des mômes. Deux intrigues sont entremêlées : l’une concerne un championnat de course se déroulant dans trois lieux différents : le Japon, l’Italie et l’Angleterre. L’autre se veut un pastiche du film d’espionnage à la James Bond. On suit les aventures de Finn Mc Missile, déclinaison de la fameuse Aston Martin de Sean Connery, tout occupé à déjouer un complot des trusts pétroliers envers les énergies propres. En soit, l’idée n’est pas mauvaise. Mais elle demande assurément une démarche parfois explicative, appelant une certaine lenteur pour que tout le monde puisse entraver. Or, prendre son temps, Lassiter n’en a cure. Manifestement, les tutures en métal façon Dinky Toy, ça l’a marqué quand il était gamin :

« VROUM ! VROUM ! TU-TUT ! VROOOAARR ! »

Pour Lassiter, le syllogisme est tout trouvé :

Les bolides sont des voitures qui vont vite.

Mon film parle de bolides.

Donc mon film doit aller vite.

De facto, ce à quoi on assiste est un miracle de vitesse, ce en quoi le premier Cars excellait déjà. Mais justement, c’était sa limite, préférant une virtuosité technique tape-à-l’œil à une intrigue ficelée et éventuellement porteuse d’émotion, de poésie comme Là-Haut (pas réalisé par Lasseter d’ailleurs) parvenait à le faire. Pas grave, Lasseter remet une louche d’hystérie animée dans la gueule de ses spectateurs. C’est bon, vous en avez assez ? Eh ben vous en reprendrez encore puisque le film dure un quart d’heure de plus que ses prédécesseurs ! Honnêtement, on se demande ce qui a bien pu se passer dans la cafetière de Lasseter. Complexe de supériorité ? Envie de montrer aux concurrents de PIXAR que c’est lui qui a la plus grosse ? Peut-être les deux. En tout cas, cette bouillie de séquences ultra-vitaminées, redoublée du baragouin envahissant de Martin au moment où des personnages tentent d’expliquer des choses pour capter les bases de l’intrigue, échoue à poser un film intéressant sur le plan narratif. Qu’importe puisque les mômes vont adorer ? Pas si sûr, la marmaille était étonnamment calme dans la salle où j’étais. Un coup d’œil à Olrik Jr me fit comprendre qu’il était totalement scotché, mais moins par un éventuel suspense lié à l’intrigue que par les coups de massue des images.

A fuir donc. Ou alors vous pouvez partir après une demi-heure, c’est-à-dire juste après la séquence sur Tokyo. Je ne vais pas ici bouder mon plaisir, cette partie est amusante. Très cliché, très carte postale de pacotille, mais passé à la moulinette de l’imagination PIXAR cela donne lieu à des détails qui m’ont fait sourire plus d’une fois.

Comme ces véhicules.

Washlets adaptées aux voitures, combats de sumos, voitures geishas, détails des inscriptions en néons qui tapissent les buildings, contrairement aux scène d’action on en redemande et on regrette que l’intrigue n’ait pas plus pris ses aises au Japon. Courses de voitures oblige, j’aurais bien volontiers apprécié de voir une ou deux race queens façon PIXAR. En guise de longues jambes, il a fallu que je me contente de fermer les yeux au moment où a retenti dans une scène, totalement inattendue, cette chanson :

Je ne dirais pas un moment de grâce mais une bonne surprise qui m’a un peu fait oublier l’épilepsie du montage.

John Lasseter, mon ami, vous êtes fatigué. Vous fûtes génial mais maintenant, peut-être est-il temps de passer le flambeau à d’autres. Aux dernières nouvelles, votre souhait le plus cher serait de redonner vie à des longs métrages old school à la Disney. C’est ambitieux mais je ne saurais que trop vous conseiller de prendre du lexomil avant de vous y mettre. Ou alors de vous replonger dans les créations de ce monsieur:

And now, here comes the boss !

Ce monsieur, c’est Osamu Dezaki dont je me suis aperçu récemment que le nom n’apparaissait pas une seule fois sur ce blog. Ahuri devant ce monumental oubli, je tenais à réparer cette erreur au plus vite d’autant que le maître nous a quitté au mois d’avril dernier et que je suis passé complétement à côté de l’événement.

Si je devais résumer la carrière de Dezaki par une seule série, ce serait très certainement celle-ci :

http://www.dailymotion.com/video/xzsh8j_space-adventure-cobra-op_shortfilms

Presque trente ans avant la nouvelle adaptation animée du manga mythique de Buichi Terazawa, celle de Dezaki apparaît toujours comme étonnamment jeune, une merveille de space opera à l’ambiance imparable. Mais Dezaki, c’est aussi ça :

Takarajima

J’ai revu récemment cette adaptation de l’Île au Trésor et j’ai été surpris de voir combien c’était bon. Comme pour Cobra, pas la mise en scène d’abord, par la musique de Kentarô Haneda (aussi compositeur de celle de Cobra) apte à créer une ambiance, mais aussi par les choix d’adaptation par rapport au roman de Stevenson. La série est à la fois d’une très grande fidélité et d’une non moins grande infidélité. Dezaki sacrifie par exemple à un fantastique pas franchement utile en nous faisant le coup, le temps d’un épisode, du vaisseau fantôme. Mais le plus grand écart s’avère être une trouvaille intéressante en ce qu’elle concerne LE personnage (bien plus que Jim Hawkins) : Long John silver bien sûr. Oubliée la face du forban qui, selon Stevenson, « ressemblait à un jambon ». Silver a ici une belle gueule d’aventurier à la parole rassurante à tel point que le jeune spectateur a du mal à déterminer jusqu’à la fin des 26 épisodes si ce grand gaillard à jambe de bois doit être admiré ou détesté. J’ai longtemps cru que Cobra restait le joyau de toutes les séries réalisées par Dezaki mais, après avoir revu celle-ci, je ne suis plus sûr de rien.

Et puis, il y a Rémi sans famille sorti en 1978, une année avant l’Île au trésor. Je suis là aussi en train de la revoir et, une fois encore, j’ai été stupéfait par la qualité et la poésie de cette création. Dans mes souvenirs, je gardais de cet anime une image franchement sordide, à la limite du traumatisant pour les mômes avec ce récit d’apprentissage où ce gamin, après avoir appris qu’il est un enfant trouvé, se fait vendre à un artiste ambulant avant de voir ce dernier et tous les membres de sa troupe s’éteindre un à un, le laissant tout seul dans une campagne française peuplée de loups l’hiver et d’exploiteurs d’enfants l’été. Et le générique français, assez débile par le contresens total par rapport à l’histoire (« ma famille à moi, c’est celle que j’ai choisie », ben voyons ! ) n’aidait en rien à adoucir le propos. Dans la version originale, on n’a pas ce problème puisque les épisodes sont encadrés de ces deux génériques :

Chansons charmantes qui dédramatisent d’emblée et à la fin la noirceur de l’histoire. Celle-ci est toujours sombre, c’est entendu, on ne rigole pas dans Rittai anime ie naki ko Remi, on est dans du mélodrame et les affres infligées par dame Fortune sont légion. Mais à côté de cela, il y a comme une marche en avant qui refuse tout abattement et qui instille dans le cœur du héros et celui des jeunes spectateurs un peu d’espoir. Rémi ne s’arrête jamais, il marche le jour, et la nuit il se voit dans des rêves acides en mouvement. Tous ces épisodes (51 exactement) ne sont qu’un long mouvement en avant pour retrouver ce qui lui a été ôté au départ : une mère.

Mouvement dans l’histoire qui accumule les péripéties donc, mais aussi mouvement dans la mise en scène qui refuse tout statisme. « Qui refuse tout statisme »… ça ne vous rappelle rien ? Vous y êtes ? Mais oui voyons, Cars 2 ! Dans les deux cas on se trouve face à des oeuvres qui s’échinent à fuir l’absence de mouvement mais avec des moyens différents. On pourrait croire qu’avec la débauche de moyens du studio américain la comparaison n’a pas  grand intérêt et pourtant, j’en vois un : celui de montrer que l’économie de moyen confiée à un génie peut être préférable à un génie qui a droit à une débauche de moyens.

A ma droite des millions de dollars, des centaines de collaborateurs et le nec plus ultra en matière d’animation. Des milliers de plans surboostés aux amphets et durant trois secondes grand maximum. Le spectateur est emporté par une hystérie de sons et de couleurs, par une virtuosité qui n’a d’autre but que de se faire jouir, tant pis pour les émotions, la poésie et l’histoire.

A ma gauche, une modeste équipe de la TMS et ces bons vieux cellulos que Dezaki va utiliser en systématisant ces effets panoramiques qui donnent l’impression que le paysage est un personnage vivant à part entière :

Deux couches de cellulo pour le premier plan, une pour l’arrière, on anime le tout à des vitesses différentes et le tour est joué. On avance parmi le paysage. A moins que ce ne soit celui-ci qui ne bouge autour du personnage. Tout cela est bien peu naturel, tout comme ce plan :

L’instant d’avant, un plan fixe nous montre Vitalis et Rémi regarder par la fenêtre de leur chambre d’hôtel pour voir si l’ambiance sur la place de la ville allait permettre d’organiser un petit spectacle. On aurait pu attendre un plan subjectif du point de vue des deux personnages mais non, au lieu de cela on a un plan au ras du sol et en mouvement. Encore plus insolite que le précédent exemple le mouvement puisque là le premier et l’arrière plan semblent aller à la rencontre l’un vers l’autre, comme une tenaille ne donnant aucun espoir à Vitalis et Rémi.

C’est que, d’une certaine manière, la caméra n’est pas en dehors de Rémi mais dans le prisme de son esprit. Perpétuellement. Avec tout l’enjolivement, la distorsion positive ou négative qu’un enfant peut donner à ses perceptions. Et tout le dynamisme, la continuelle énergie, mouvements panoramiques mais aussi effets de zoom et parfois les deux en même temps. C’est toute la beauté de cet anime qui, au contraire d’un Cars 2, ne va pas chercher à abrutir le spectateur en le mettant dans un rollercoaster visuel mais plutôt à l’envelopper de mouvements, parfois pour le rassurer, parfois pour instiller de l’angoisse, toujours pour amplifier la plongée dans l’âme d’un enfant. C’est bien là tout ce qui manque à Cars 2 : de la poésie.

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