Les Belles Mortes de Kaoru Izima

Il faut avoir un certain courage pour exposer dans son salon les oeuvres de Kaoru Izima. Sa passion ? Photographier des top models fraîchement décédés dans un environnement ordinaire. Ce ne sont pas ici les Belles Endormies de Kawabata mais bien les Belles Mortes. Le procédé est à chaque fois le même : Izima place une jeune femme dans un décor, lui fait garder la pose, ajoute parfois une trace de maquillage (un filet de sang par exemple) puis la photographie à des angles et des distances différentes. Exemple :

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     Cette technique répétitive m’a fait penser à Warhol, notamment à l’une de ses plus fameuses oeuvres, Ten Lizes :

     Il y a cependant plusieurs différences. Chez Warhol il y a avant tout la volonté de jouer avec une icône du glamour hollywoodien. Liz Taylor est une « Star », à une époque où le mot n’a alors rien de galvaudé. Elle est à l’apogée de sa beauté et semble intouchable, vouée à l’immortalité. Cette image, Warhol la malmène en multipliant son image et en la détériorant : certains portaits lui donnent un aspect vraiment maladif, un peu « phase terminale », rappelant à l’observateur que derrière l’enveloppe se cache un crâne. La toile peut finalement faire penser à une vanité moderne, mais aussi à une représentation cruelle d’une personne qui peut être perçue comme un simple objet de consommation que l’on manipule à sa guise.

     Chez Izuma, la morbidité vient aussi du fait qu’il joue avec l’image de splendides jeunes femmes. Mais les moyens, et surtout les effets, sont différents. Tout d’abord, les sujets sont bel et bien des sujets décédés. Plus précisément : fraîchement décédés. Ici, pas de décomposition des corps, de détérioration liée à la mort. Pas de maquillage pour rendre les visages blafards non plus. S’il y a du maquillage, c’est celui que se sont appliqué les jeunes femmes pour s’embellir. Il y a du coup un troublant jeu qui s’opère avec la sensualité . Ces femmes magnifiques, qui étaient vivantes quelques minutes auparavant, sont maintenant mortes, mais leur mort paraît presque irréelle. Elles semblent encore vivantes, elles semblent « regarder » quelque chose (elles ont outes les yeux ouverts), parfois même regarder dans notre direction. Du coup, on ne sait pas trop quoi faire : les admirer ? mais cela n’est-il pas un peu malsain, déplacé ? Les plaindre ? Mais on sait bien que ce n’est qu’une pure mise en scène, la gravité de la situation étant comme désamorcée par l’atmosphère irréelle des photographies.

     Cette atmosphère particulière semble provenir de plusieurs facteurs. Tout d’abord, les sujets sont tous placés dans des décors de la vie quotidienne. Ici une salle de pachinko (les flippers japonais), là une salle d’embarquement, dans une autre série une rue quelconque. Ce qui est frappant, c’est qu’à chaque fois ce sont des décors absolument vides. Ce fait peut être saisissant dans le cas d’une salle de pachinko, lieu bien connu pour son atmosphère bruyante et « grouillante ». Par ailleurs, la composition est souvent très graphique, entendons par là qu’elle joue au maximum avec les possibilités offertes avec les formes géomtriques et les couleurs. Ce ne sont pas des scènes de crime ordinaires. On a l’impression que l’assassin (si l’on considère qu’elles ont été tuées. Un série montre d »ailleurs un modèle avec une flèche enfoncée dans sa poitrine) est un esthète qui aurait rendu hommage à sa victime en l’habillant, la maquillant puis en la plaçant dans un décor dans lequel elle serait la « touche finale ». La mort est dès lors sublimée, juste donnée à voir, ou plutôt à admirer, et la victime semble réduit à n’être qu’une forme géomtrique colorée savamment placée dans une composition.

     Pour ce qui est de la répétition des clichés, outre le fait que, contrairement à Warhol, Izima varie les angles et les distances, on peut sentir comme un mélange d’ironie et de voyeurisme. Le voyeurisme provient du fait que le photographe semble avoir « goûté » la scène morbide. La mort fait peur, mais ici elle attire car la victime est une sublime jeune femme. Comme le photographe donc, l’observateur prend son temps et apprécie la mise en scène insolite. Il se rapproche, tourne autour d’elle, stupéfait et fasciné. Quant à l’ironie, elle vient de l’absence totale de dynamisme, dynamisme qui est le lot quotidien des mannequins habitués à ces séances photos dans lequelles elles doivent faire vivre leur corps devant l’objectif du photographe professionnel qui les mitraille. Ici, la vie vient uniquement de l’objectif qui tournoie autour du corps, mais c’est pour mieux exacerber l’immobilité du corps. Le top model, dans les photographies d’Izima, devient finalement une sorte  » d’anti top model ».

     Enfin, terminons par les titres de ces oeuvres : Koike Eiko wears Gianni Versace, Tomosaka Rie wears MioMio, Tominaga Ai wears Prada, Hasegawa Kyoko wears Yves Saint Laurent, Kuroki Meisa wears Gucci, etc. Finalement, je viens d’écrire qu’il s’agissait d' »anti top-model » mais ce n’est pas vrai puisqu’elles font leur métier. On rejoint ici le motif de la consommation cher à Warhol. Ces jeunes femmes sont finalement des vitrines comemrciales pour des habits de luxe. Peu importe ce qui leur est arrivé, elles sont là pour attirer les regards et faire vendre. Et elles sont à l’image des modes : périssables.

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