Pur est le coeur du poète (Tora-san 18)

Tora-san 18
C’est du d’être un homme : Pur est le coeur du poète (男はつらいよ 寅次郎純情詩集)
Yôji Yamada – 1976

 

Après dix-sept épisodes, forcément, on craint qu’un peu de lassitude ne se fasse sentir. Et l’on peut se demander si cette même lassitude n’a pas fini par apparaître dans le jeu des acteurs, y compris dans celui de Kiyoshi Atsumi. C’est ce que je me suis demandé au moment du générique, quand on voit Tora errer sur le bord de la rivière Edogawa, provoquant immanquablement une nouvelle gaffe. Durant la scène (il s’agit d’une bévue provoquée durant le tournage d’une scène par une équipe de cinéma), il m’a paru étrangement calme, un brin ahuri… un peu vieux. Et même chose lors des premiers échanges avec la famille Kuruma. Impression que Tora-san faisait du Tora-san, ou que le disque était devenu rayé et crachoteux. Autant dire que j’étais un peu circonspect sur la qualité de ce 18e opus, et que l’ennui a même commencé à s’installer.

Mais tout a changé à partir du moment où l’oncle, la tante et Sakura se mettent à le sermonner à propos de la jeune institutrice dont il est tombé amoureux. Je crois que c’est la première fois dans la série où l’on souligne autant le temps qui passe. Ce temps est bien sûr perceptible avec Mitsuo (qui est maintenant à l’école primaire), Sakura (moins accorte que lors des premiers épisodes) ou Hiroshi (avec un visage qui tend à devenir plus carré, épais), mais a toujours paru moins sensible avec Torajirô dont le visage semblait échapper au temps. Reste qu’il empile quand même les années et qu’au bout d’un moment se pose la question de la possibilité réelle de tomber amoureux d’une donzelle dont il pourrait être le père. C’est ce que lui dit sa famille et la remarque agit comme un gros coup de bambou sur le moral. Le temps… eh oui, plus que jamais, il serait temps de trouver une madone à son pied.

Heureusement, le hasard fait bien les choses. Alors que Sakura lui explique qu’elle ne lui ferait bien sûr pas de remontrances s’il courtisait plutôt la mère de l’institutrice, c’est justement cette même mère qui apparaît dans la boutique Kuruma ! Dans cet opus, une madone en cache une autre, et c’est avec Aya Yagyû (jouée Machiko Kyô, alors âgée de 52 ans ! – Kiyoshi Atsumi en a alors 48) que l’histoire sentimentale commence vraiment.

Et elle est bigrement intéressante. Ce n’était pourtant pas gagné au début : cette femme est un rien irritante avec sa manière artificielle, guindée, de s’exprimer. Elle n’est de plus pas forcément jolie. Mais on comprend au fur et à mesure qu’il y a en elle deux aspects qui font qu’elle a tout pour être LA madone, celle qui va enfin devenir l’épouse de Torajirô. D’abord, un côté inadapté, en marge. Touchée par une maladie, ayant dû passer un long séjour à l’hôpital, elle semble un vestige de l’ère Showa, mal assimilée à une période plus moderne, ce dont sa fille la taquine. Et le deuxième aspect découle du premier : ce côté guindé n’est là que pour camoufler une âme naïve, presque enfantine, ce qui est fait pour parfaitement s’accorder avec Tora.

Mais le mariage ne pourra avoir lieu puisqu’Aya, touchée par ce que l’on devine être un cancer, mourra à la fin. Et là aussi, c’est je crois une nouveauté dans la série. Il y avait bien eu la mort de la mère d’Hiroshi, mais cette mort touchait un personnage secondaire que l’on ne connaissait pas vraiment et pour lequel, étant donné le grand âge, il n’y avait rien à redire. Là, il s’agit non seulement d’une potentielle âme sœur, mais encore d’une femme pas si vieille.

Pour la première fois donc, le cours du temps et ce qui peut en découler de tragique fait son apparition et contribue à faire de cet opus un objet dramatique un peu curieux.

Et du coup, rétrospectivement, l’aspect fatigué de Kiyoshi Atsumi lors de l’ouverture prend tout son sens. Comme si Yamada avait demandé à son acteur d’être en accord avec la madone à venir, c’est-à-dire fatigué et crépusculaire.

7/10

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