L’Apocalypse selon Saint Go

On a beau connaître Devilman – savoir un peu de quoi ça parle, quel genre de scène on va devoir se coltiner – entreprendre de le lire in extenso pour la première fois constitue en soi forcément une expérience marquante. Très loin des robots géants de Mazinger et Grendizer, ou des polissonneries de Harenchi Gakuen, ce manga coup de poing de Go Nagai plonge le lecteur dans les abysses de l’Apocalypse façon Blitzkrieg de démons. Il y a bien parfois des tentatives de détendre l’atmosphère, notamment avec le personnage de Miki, mais dans la l’ensemble, force est de constater que cela est noyé dans un climat de ténèbres et de violence qui peut surprendre le lecteur s’il n’est pas prévenu (au début je pensais mettre le manga entre les mains d’Olrik Jr, j’ai vite changé d’avis après quelques planches). Car ouais, pour lire Devilman, il faut tout de même avoir son brevet de lecteur enhardi et devenu momentanément féroce (comme dirait Lautréamont).

Grrr… Bijin droit devant !!

L’histoire ? Akira Fudo, lycéen faible et pas bien courageux, se voit un jour entraîne par son ami Ryo dans une étrange soirée aux allures d’orgie. Il s’agit en fait d’un sabbat visant à transformer les participants en démons. C’est que le temps presse. Ryo sait que le monde est sur le point d’être envahi par une armée de démons. Le moyen de contrecarrer cela serait de faire qu’Akira – dont il sent qu’il a, malgré les apparences, le potentiel pour affronter les démons – devienne lui-même un démon. Enfin, pas totalement, il s’agirait d’en avoir le corps mais de garder intact son esprit. Or, comme Akira a justement un cœur pur, Ryo pense qu’il serait capable de limiter sa métamorphose au physique. C’est bien vu : lors de ce sabbat, un puissant démon, Amon, prend possession du corps d’Akira mais ne va pas jusqu’à contrôler son esprit. Le timide Akira est dorénavant le terrible Devilman, et ça va méchamment chier pour les démons !

Scène de la vie ordinaire d’Akira/Devilman.

Lire Devilman, c’est l’assurance de s’en prendre plein les mirettes. « No limit » semble avoir été la devise de Go Nagai lors de la création du manga, et on le croit volontiers lorsqu’il affirme que créer la moindre planche de Devilman ait pu être un combat qui le laissait lessivé à chaque fois. Il se dégage en effet de la lecture une énergie sombre aussi dérangeante que fascinante. On n’ira pas jusqu’à dire que Devilman constitue ses 120 Journées de Sodome (possible que Violence Jack soit encore plus éprouvant), mais il faut bien reconnaître que de par l’accumulation de scènes graphiques, s’en dégage au fil du volume une impression de complaisance, voire de délectation dans l’art de représenter la souffrance, aussi bien physique que psychologique (planches assez marquantes avec le personnage de l’écolier persécutée par sa mère devenue démone).

Le mal est tapi partout et cela a toujours été. Quelques chapitres hallucinants nous montre Akira et Ryo remonter dans le temps pour rencontrer des figures historiques (Hitler, le général Custer…), figures dont les méfaits trouvent évidemment leur origine dans une possession maléfique. Mal passé, Mal présent, il ne reste plus qu’à espérer que le Mal ne constitue pas l’avenir de l’humanité. Mais lorsqu’on l’on voit de quelle manière Nagai dépeint dans les premiers volumes l’humanité, humanité qui n’a pas forcément besoin d’être possédée pour être abjecte et schizoïde, rien n’est moins sûr.

Enfin, outre sa violence et son imagination graphique, Devilman est à lire de par son statut d’œuvre matricielle. L’amitié (qui va se transformer en haine) entre Akira et Ryo annonce clairement Berserk et son duo de personnages antagonistes, Guts et Griffith. Quant au style parfois très barré des démons, impossible là aussi de ne pas penser à certaines créatures du manga de Miura. Et Hideaki Anno avouera lui-même avior été profondément marqué par ce manga culte, ce en quoi on le croira sans problème tant Evangelion et sa fin apocalyptique peuvent en effet évoquer Devilman.

Bref un must have que les éditions Black Box ont eu la bonne idée de traduire il y a quelques années dans une très correcte édition.

 

Pour marque-pages : Permaliens.

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