David Cronenberg au Japon

Cronenberg, je crois que j’ai arrêté à partir de A History of Violence. Bon film d’ailleurs quand j’y pense, mais loin des claques reçues lors de Chromosome 3, Videodrome, Faux-semblants et autre Crash, films présentant des thématiques communes, celles de la monstruosité, de l’organique se faisant bouffer par la technologie ou encore la descente dans la folie.

Je croyais ce Cronenberg-là à peu près perdu mais c’est alors qu’est arrivé cet étrange Consumés, première incursion du réalisateur dans l’écriture romanesque. Et très rapidement, on comprend qu’on a affaire à du Cronenberg première manière par le sujet et les obsessions qui animent les personnages.

consumés

Tout part d’un fait divers glauque à souhait : la police retrouve le corps mutilé de Célestine Arosteguy, ancienne professeure de philosophie à la Sorbonne. On suspecte son mari, Aristide, lui aussi importante figure intellectuelle, de l’avoir assassinée et d’avoir mangé des parties de son corps. Le fait divers attire l’attention d’un autre couple, Naomi Seberg et Nathan math, de jeunes photographes œuvrant avec un certain succès dans le photojournalismes à sensation. Naomi, après avoir mené l’enquête à Paris, décide de prendre l’avion pour Tokyo où terre Arostéguy. Nathan, lui, est à Budapest pour photographier le travail d’un chirurgien peu fréquentable, Zoltan Molnar, suspecté d’avoir pratiqué le trafic d’organes. Après avoir couché avec une de ses patientes, Nathan contracte une étrange maladie, la maladie de Roiphe…

Bon, présenté comme cela, vous vous dites que c’est peut-être un poil too much. Meurtre, cannibalisme, trafic d’organes, MST crapoteuse, n’en jetez plus ! Reste qu’à aucun moment on ne ressent le ridicule. On est finalement dans la continuité de Crash, film où il s’agissait tout de même de montrer des personnages prenant plaisir à avoir des accidents de voiture pour se retrouver ensuite à l’hôpital afin d’être rafistolés de partout. De quoi susciter des sourires bien narquois mais non, devant l’atmosphère très particulière de ce film, difficile de ne pas se laisser envahir par une étrange fascination par la nature et la froideur de ce que l’on voit. C’est un peu la même chose dans Consumés. Nathan et la patiente de Molnar peuvent discuter tranquillement des « nichons radioactifs » (lisez, vous comprendrez) de celle-ci, on ne sourira pas, anesthésiés par une étrange prose évoquant des sujets inattendus dans une ambiance clinique et malsaine.

Et l’arrivée de Naomi à Tokyo est totalement logique par rapport à tous ces sujets. Fatalement, avec cette histoire de cannibalisme on réveille le spectre d’Issei Sagawa, cet étudiant japonais qui en 1981 avait, à Paris, attiré chez lui, puis tué et dévoré une étudiante hollandaise. La mangeant par petits bouts durant plusieurs jours, il avait immortalisé son acte en la prenant en photo au fur et à mesure, clamant lors de son arrestation qu’il avait réalisé là un « acte artistique ». Reconnu fou et irresponsable de ses actes, il avait été renvoyé à son pays où, après un séjour relativement court en hôpital psychiatrique, il a pu reprendre une vie normale dès 1985. C’est depuis un homme tranquille que vous pouvez croiser dans les rues de Tokyo, qui a même pu participer à des pubs ou des films, et qui avoue que cette envie de manger de la chair humaine est quelque chose qui continue de le tarauder.

Bref welcome in Japanisthan, le pays où les fétichisme de tout poil peuvent trouver leur oasis et où un cannibal peut être perçu comme un personnage rigolo. Après, dans ces pages japonaises, Cronenberg n’en fera pas non plus des tonnes. N’attendez pas une complaisance dans le cradingue. Les distributeurs de culottes usagées de lycéennes seront évoqués, mais au détour d’une page nous avons aussi droit à une traduction du générique de Sailor Moon.  On est dans la restitution d’un terreau apte à recueillir la personnalité complexe d’Arosteguy mais Cronenberg ne mènera pas non plus son personnage dans les pires endroits. C’est avant tout par le langage de ces derniers qu’il suscite le malaise, et l’arrière-plan géographique évoqué par petites touches fonctionne comme un cadre qui suffit à alimenter cette impression de descente vers une folie qui s’auto-analyse.

Autre chose : le Japon est aussi le pays parfait en ce sens qu’il est aussi le pays de la fascination pour la technologie, sentiment souvent ressenti par les personnages mis en scènes par Cronenberg et tout particuièrement par Naomi, geek enragée et intoxiquée par les gadgets électroniques qui ne cessent d’épuiser son compte en banque. Consumés est truffés de passages techniques évoquant aussi bien la photographie que l’informatique et cet aspect ne contribue pas peu à l’étrange poésie qui se dégage du roman.

Bref Consumés est une curiosité dans l’œuvre de Cronenberg, curiosité réussie qui donne envie de lire d’autres romans écrits sous sa plus et encore plus d’en voir une adaptation au cinéma, rien que pour voir à quoi ressemblerait le Japon à travers ses caméras.

A noter qu’il s’était fendu d’un petit trailer pour la sortie du livre. Les amateurs de Stephen King peuvent tenter l’aventure, le roman est chaudement recommandé par le maître !

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