Monsters Club (Toshiaki Toyoda – 2011)

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On voit assez ce qui a pu intéresser Toyoda dans l’histoire de Ted Kaczynski, ce terroriste américain qui, pendant des années, a envoyé des colis piégés à des entreprises (industrielles, publicitaires, télévisuelles…) incarnant selon lui une société manipulatrice et aliénante. C’est que tous les personnages de Toyoda – ou presque – sont des ratés, des paumés, au mieux des inadaptés en bute à ce que leur propose le monde contemporain. Dans Unchain, c’est Kaji Toshiro, boxeur raté avec une petite tendance à l’auto-destruction. Dans Blue Spring, c’est Aoki qui bascule dans le chaos parce qu’il ne supporte pas que Kujo, meilleur ami et leader de leur bande, incarnation d’un certain esprit de liberté, finit insensiblement par rentrer dans le rang. Dans 9 Souls, ce sont évidemment les neuf prisonniers en cavale qui vont essayer de se refaire une vie avec ce que leur propose la société, c’est-à-dire moins que des miettes. Enfin, il y a évidemment Pornostar, sans doute le film avec lequel Monsters Club entretient le plus de points communs, Pornostar et son héros amateur de couteaux, qui fonce à travers la ville, prêt à planter le premier quidam qui ne lui revient pas.

Dans tous ces films, les personnages hésitent entre s’intégrer (mais c’est alors la société qui les rejettent) ou s’attaquer à un monde fait pour brimer leur liberté. Ce sont ces deux choix que Toyoda choisit à nouveau d’illustrer avec ce court Monsters Club (70 minutes) et son personnage principal, Ryoichi, qui envoie donc des colis piégés aux quatre coins du Japon à des industriels ou des politiques. Son manifeste, il le débite pour le spectateur dès les premières minutes. Pour lui pas de doute, il œuvre pour le bien de l’homme déchu de sa liberté. Du point de vue du spectateur, la démarche semble moins aller de soi tant la présentation de la vie de Ryoichi flirte avec le mauvais conte de fée. Installé dans une cabane en pleine forêt, sortant pour aller chasser ou couper son bois, le jeune homme vit dans un univers suranné, mystérieux, fait de bombes artisanales sur lesquelles il sculpte des lettres magiques (« MC » pour Monsters Club) et d’un vieux phonographe crachotant d’antiques 78 tours de classique. Ryoichi, c’est un peu un ogre moderne. Ce n’est pas un géant qui mange des enfants mais un beau jeune homme qui fabrique et envoie des bombes. Le problème, c’est que cette adaptation au monde moderne apparaît aussi hors du temps, totalement déconnectée du réel, vouée à l’échec. C’est ce que va peu à peu comprendre Ryoichi…

C’est cette prise de conscience progressive que Toyoda racontera tout le long du métrage, et ce par un biais original (ou plutôt logique si l’on reste dans cette optique du conte de fées), le surgissement inopiné de monstres dans la vie du personnage :

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C’est alors  qu’une nouvelle thématique apparaît, celle de la famille puisque ces monstres sont très vite associés à différents membres de la famille du jeune homme. Sans être aussi sombre que chez Sion Sono, la thématique de la famille n’a jusqu’à présent pas toujours été très positive dans l’œuvre de Toyoda, on pense notamment dans un film comme Kuchu Teien. Reste que la famille apparaissait malgré tout dans ce film comme un ciment nécessaire au bonheur de chacun. Dans la famille de Ryoichi, qui est d’abord évoquée par la venue inopinée de Mikana la petite sœur, on n’a pas affaire à une famille monstrueuse à la Sono, au contraire. Sur une photographie elle donne l’impression d’une famille soudée et aimante et des scènes ultérieures montreront qu’il ne s’agit pas que d’une impression. Mais des révélations sur ses différents membre nous feront comprendre pourquoi, aux yeux de Ryoichi, elle peut faire figure de famille traumatique (en fait, tous ses membres, à l’exception de Ryoichi et de Mikana, sont décédés en un court lap de temps).

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Le surgissement du passé sera enclenchée par la venue de Mikana, curieuse de savoir ce que fait son grand frère et désireuse d’aller de l’avant, de trouver un travail, de fonder une famille dans cette société que Ryoichi abhorre. Pour elle aucun cas de conscience : elle est libre de ses propres choix. Devant une position aussi en contradiction avec son manifeste de petit révolutionnaire, Ryoichi va voir les apparitions des monstres s’intensifier puis se muer en conversations avec des membres disparus de sa famille : ses deux frères Kenta et Yuki. Goguenards, ironiques, un brin méprisants sur la volonté de Ryoichi de combattre la société en envoyant des bombes bricolées avec deux bouts de ficelle, ils incarnent les vieux démons de leur frère, les doutes qu’il a sans doute eu dès le début à propos du bien-fondé de sa démarche mais qu’il n’a eu de cesse de cacher au fond de lui.

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Dès lors le film fonctionne-t-il comme une sorte de maïeutique, de monologue intérieur à plusieurs voix au bout duquel Ryoichi trouvera une réponse douloureuse à ses doutes (dans un magnifique final qui évoquera fortement certaines scènes de Pornostar). Avec un film aussi sombre et porté sur l’exploration de la psychologie d’un personnage, autant dire que Toyoda l’a joué fine en se contentant d’un film d’une heure dix. Cette courte durée confère alors au film une certaine densité permettant de s’immerger totalement dans la psyché d’un terroriste en plein doute. Très loin des délires baroques de Sono, Toyoda livre un film faisant dans l’épure et visuellement inspiré. Une petite bombe.

8/10

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4 Commentaires

  1. La fin de « Monster’s Club » ne se déroule-t-elle pas à l’endroit exact où débute « Pornostar » (le center gai de Shibuya) ? Si oui, ce serait (j’ai l’impression) une manière de boucler la boucle.

  2. Si, il s’agit bien de Shibuya. Il faudrait que je revoie Pornostar. Je me souviens bien que l’on voit le héros au début marchant dans Shibuya mais j’ai un doute pour la fin. Dans tous les cas Monsters Club termine sur un fameux constat d’échec et c’est là que l’on peut dire qu’effectivement, la boucle est bouclée.

  3. J’avoue avoir été emballé par cette introspection intense et hallucinante. C’est à la fois fascinant et dérangeant. Ce mec est bon.

  4. Jusqu’à présent Toyoda ne m’a jamais déçu.

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