Germain et Nous… et moi. Moi, le petit écolier d’alors, qui n’était pas encore lycéen mais qui, chaque mercredi sur le chemin du retour, alors qu’il tenait dans les mains le dernier Spirou acheté fébrilement à sa maison de la presse, parcourait en diagonale – avant de les lire plus confortablement à la maison – les suites des épisodes précédents ainsi que les séries humoristiques en une planche. Parmi elles, l’incomparable Germain et Nous de Jannin, souvent située à la quatrième de couverture du magazine, comme un pied de nez malicieux au contenu parfois plus enfantin. Car Germain et Nous ne parle pas d’aviateurs américains pilotant de rutilants Tigres Volants, ni d’un groom affrontant un dictateur en Palombie et encore moins de détectives affrontant un génie du mal au visage caché par un heaume. Non, les personnages de Germain et Nous sont des ados, et pas n’importe lesquels, ceux de cette « Bof génération » de ce tournant des 80’s. Aucune envie, rien ne trouve grâce à leurs yeux, tout est « con », « nul », « stupide »…
… à commencer par leurs parents qui d’ailleurs, du père beau passionné de foot aux parents new age adeptes de macrobio, sont bien en peine d’avoir un semblant de complicité avec leur progéniture. En phase avec son époque, Jannin en fait la chronique en évoquant l’arrivée des premiers fast food, l’émergence de l’informatique, le home vidéo, etc. Nous ne dirons pas que rien n’échappe à son regard mais plutôt qu’à travers une poignée de micro événements il a assez bien su restituer l’esprit et l’évolution d’une époque. Le tout avec ce ce trait foutraque mais immédiatement reconnaissable et surtout infailliblement sympathique. Car derrière le ragard critique se cache une grande affection pour ses créatures et son époque. Impossible de les détester ces jeunes lymphatiques qui n’aiment rien d’autre qu’eux-mêmes et leurs petites préoccupations de post ados (pour résumer : nanas, mecs, sorties resto, concerts, cinoche mais surtout se retrouver pour glander). On les aime car derrière leur mollesse pétrie de contradictions (la télé est conne mais qu’est-ce qu’on la regarde !) il y a une insolence qui n’est ni bête ni grossière. A l’opposé d’un Titeuf imbécile qui caresse le lardon dans le sens du poil en flattant bassement son goût pour la tache de pisse et la crotte de nez, les personnages de Germain, cette fois-ci à l’instar d’un Gotlib sévissant chez Pilote avec les Rubriques-à-Brac, tirent le jeune lecteur vers le haut, fasciné par ce miroir critique et rigolo de son propre monde , et par ces jeunes qui sont à l’entrée de l’âge adulte. On sort des « con », des « merde! » et l’on va même parfois à faire des bras d’honneur, mais il ne s’agit pas ici d’utiliser la vulgarité pour la vulgarité, juste de restituer la langage de jeune zazous qui, tout passifs qu’ils soient, n’en demeurent pas moins confrontés au problème de leur quête d’indépendance, que celle-ci soit étonnamment facile (beaucoup de personnages -Calorine, Luc Luc – semblent vivre dans un chez soi dénué de toute présence parentale) ou plus problématique (le blondinet ami de Germain et son père fan de foot).
Sans être taxée de BD réaliste, Germain et Nous n’est pas sans avoir une certaine honnêteté vis-à-vis du lecteur avec cette restitution d’une époque, d’une mentalité, qui contraste évidemment fortement avec la famille Boule et Bill ou le village des schtroumpfs. Lire Germain et Nous lorsque l’on était encore en culotte courte, c’était comme faire partie d’une petite contrebande qui, sans non plus sentir le souffre, donnait l’imrpession confuse mais délicieuse que l’on mûrissait un peu. Chose qui, durant ces 80’s, arrivait d’ailleurs assez souvent à la lecture de Spirou, il faut être juste. Lire les Histoire Alarmantes de Cosey ou S.O.S. Bonheur de Van Hamme quand on en est encore à apprendre ses tables de multiplication avait de quoi surprendre.
Bref, et le Japon dans tout ça ? me direz-vous. Eh bien, avec ce que je viens d’expliquer, il faut s’attendre ici à peu de choses.Ou plutôt, à une chose que vous voyez peut-être arriver, ceci :
Eh oui, nous sommes à l’époque de Goldorak, véritable électrochoc culturel, pain béni pour les petites blondes d’alors, pain maudit pour les parents ou les hordes de psycho-pédagogues qui levèrent comme un seul homme le bouclier de la protection infantil(isant)e). A l’affût, le père Jannin ne se fait pas prier pour saisir cette nouvelle imagerie d’épinal et l’intégrer à quelques planches ou Goldorak/Masbak sera associé à une certaine décérébration télévisuelle. C’est évidemment facile, réducteur, totalement dégueulasse envers Go Nagai (que le Très Haut le protège), mais finalement cohérent par rapport à cette bof génération pour laquelle tout est interchangeable car médiocre. Dès lors pourquoi Goldorak infirmerait-il la règle ? Et pourtant, au détour d’une planche on tombe sur ça :
Le binoclard est Luc-Luc, le fan de rock de la série, mais aussi le seul que l’on verra durant un nombre conséquent de planches avoir un petit boulot. Et pas n’importe où puisqu’il s’agit d’une vidéothèque, endroit où il s’avérera être un employé aussi faussement modèle que les deux bras cassés de Clerks (de Kevin Smith) mais nénmoins avec un enthousiasme certain pour le neuvième art. Enfin, pour une frange du Neuvième Art. Car Luc-Luc, c’est un peu le geek avant l’heure, un gars n’ayant pas de réelle culture classique mais qui connaît sûrement à fond ses gammes en matière de références à un certain art audiovisuel populaire. Qu’il aime « Masbak » n’a rien de surprenant, et on le croit sur parole lorsqu’il dit qu’il « les a tous vus » et que c’est « génial » (adjectif geekien par excellence). Bombardé d’images, Luc-Luc l’est comme ses congénères mais à la différence de ceux-ci, ce n’est pas pour les subir dans un état de zombification avancée mais pour s’y fondre dans une acceptation enthousiaste. Aussi n’est-il pas non plus surprenant de lire dans ce numéro « spécial Japon » :
… ce gag :
Au-delà de la représentation un rien réchauffée (mais ayant l’alibi du rêve) de l’animation japonaise, on ne s’étonne pas de découvrir à la fin que le personnage qui rêve ce gloubi boulga d’animation japonaise est Luc-Luc, jeune adulte passé dans la vie active mais vautré à l’intérieur dans l’univers cotonneux de sa geekerie. De tous les personnages de Germain et Nous, il est celui qui apparaît comme le plus voué à vivre dans ses multiples passions culturelles (à égalité peut-être avec le garçon – lui aussi binoclard – fan des Bowling Balls) loin de la drague, des minettes, des rendez-vous, des plans cul quoi !Il est aussi celui qui physiquement, il faut bien le reconnaître, ressemble le plus à rien. Quand on sait que Jannin a fait un excellent album sur les collectionneurs (1) et que certains gags nous montre un Luc-Luc pratiquant volontiers l’achat compulsif, nous ne sommes plus très loin de voir en lui le premier pré-otaku de l’histoire de la BD franco-belge. Si Luc-Luc existe, gageons qu’il est en ce moment à surfer sur Bulles de Japon ou Drink Cold. Bon, c’est pas le tout mais maintenant…
(1) fort oppurtunément intitulé « les Collectionneurs » :
BONUS ! Une planche de Jannin intitulée « Jannin et Nous » et que l’on trouve dans le numéro « spécial Japon » évoqué plus haut :
« Je suis toute ankylosée dans cette position nécessitée par l’économie d’animation ». Parce qu’après tout l’animation japonaise c’est aussi la production acharnée et hebdomadaire d’épisodes…
Merci en tous cas de cet article qui m’apprend un peu sur des choses que je n’ai pas eu l’occasion de lire, étant trop jeune à cette époque.
Note qu’il aurait pu écrire : « Je suis toute ankylosée dans cette position nécessité par la médiocrité de l’animation ». Au moins on a échappé à ce cliché rebattu jusqu’à la moelle par les pourfendeurs de l’animation japonaise de type série télévisée (et même parfois de type film d’animation).
« les Histoire Alarmantes de Cosey »
>> de Cossu
Le pire c’est que j’y ai consacré un article ailleurs :
https://leconvulsionnaire.wordpress.com/2015/08/28/histoires-alarmantes/