Le Barbare et la Geisha (John Huston – 1958)

Poster - Barbarian and the Geisha, The_02

Réfractaires à John Wayne, attendez avant de passer votre chemin sans prendre la peine de découvrir de quoi il s’agit ! Car après plusieurs films universitaires intéressants mais un peu prises de tête, j’ai décidé de m’aérer les neurones avec du bon vieux cinemascope made in Hollywood. Et mon dévolu ne s’est pas porté sur n’importe quel film puisqu’il s’agit du plus japonais des films hollywoodien, je veux parler de l’excellent Barbare et la Geisha de John Huston (1958). Vas-y gamin, raconte-leur, moi j’ai ma séance d’épilation qui m’attend.

Certes, ce n’est pas le meilleur film de Huston et certes, ce n’est pas le meilleur rôle de John Wayne mais peu importe, un film qui réuni deux monstres sacrés ne peut pas être totalement mauvais. Et de fait, le spectacle est de qualité et a le mérite d’offrir une représentation du Japon de l’ère Edo extrêmement plaisante. Véritablement, c’est un bonheur pour les yeux, et même le plus tatillon des amateurs du Japon aura bien du mal à bouder son plaisir devant ces scènes de bon odori, ces petites gens qui défilent dans de modestes rues ou encore ces scènes de cour. À l’origine, c’est Anthony Mann qui aurait dû réaliser le film. Connaissant le goût du bonhomme pour les grandes fresques (le Cid, la Chute de l’Empire Romain), on se demande ce que cela aurait pu donner. Mais n’ayons pas trop de regrets, car la solution choisie par les producteurs pour reconstituer le Japon du XIXè siècle fut radicale en terme de qualité. Plutôt que de recréer le Japon à peu de frais dans un pays d’Europe, comme ce fut le cas pour la Chute de l’Empire Romain (1), le film fut tourné au Japon, en collaboration avec la Toho. Le résultat ? Ça :

Ça :

Et ça (vous le dites quand vous en avez marre) :

Ou encore ça :

Qualité des décors, qualités des costumes, y’a pas, on a l’impression d’y être. Il y a bien parfois un peu d’abus dans la « couleur locale », Huston y allant à pleines louches de fleurs de cerisier mais ce n’est pas le spectateur qui s’en plaindra. On pourrait pinailler, il y a sûrement des erreurs dans cette reconstitution du Japon mais franchement, on ne peut que s’incliner devant ce travail tant il parvient à restituer l’esprit d’une époque.

En fait d’erreur, j’ai surtout gaulé celle-ci : le Duke quitte son navire pour aller claquer du diplomate japonais un peu chiant sur les bords. Pas de bol : ses rameurs sont de fieffés branques puisque quelques secondes après le premier plan, ils ont réussi le tour de force de… se rapprocher du navire !

Autre atout permettant de consolider cette représentation de l’ère Edo : l’histoire. Pas de vrilles liées à l’imagination débordante d’un scénariste puisque nous sommes dans du 100% historique. Le film raconte en effet les aventures du diplomate américain Townsend Harris (joué par Wayne) envoyé au Japon dans les années 1850 par Franklin Pierce afin d’y occuper pour la première fois le poste de consul des États-Unis. Pas vraiment une sinécure cette charge, puisque Harris se retrouva rapidement devant l’hostilité des Japonais en général, et des huiles en particulier. Heureusement, qui dit Japon dit bijins, et Harris put se consoler de ses déroutes diplomatiques avec des biroutes priapiques en compagnie d’Okichi, jeune geisha de 17 ans.

Jouée par la délicieuse Eiko Ando

En gros (en très gros hein !), voilà le scénar’ habilement résumé. On s’en doute, notre Duke arrivera peu à peu à gagner la sympathie de ses adversaires et le film se terminera sur un succès diplomatique.

Faut dire que j’ai mis le paquet niveau frusques.

On devine ici que le rôle est du taillé sur mesure pour Wayne. Pas besoin d’en faire des tonnes, il a juste à être là, la magie de sa gueule et de sa carrure au milieu des petits Japonais (2) fait le reste. C’est un énième numéro de vieux de la vieille qui sait encaisser les coups de la vie, mais qui sait encore mieux les rendre. Dur à l’extérieur, mais un vrai Jean Valjean à l’intérieur, et à chaque fois on (en tout cas c’est mon cas) en redemande. Qu’il balance des bourre-pif façon Rio Bravo à un samouraï deux fois plus gros que lui :

Juste avant de se prendre une raclée par un judoka deux fois plus petit.

Qu’il sauve des gens malgré eux en foutant le feu à leurs maisons afin de mettre fin à une épidémie de choléra :

Qu’il y aille de son discours édifiant en face de l’Empereur :

Qu’il conte gentiment fleurette à Okichi :

C’est moi où il ressemble à Chirac sur ce photogramme ?

Où qu’il danse la foumoilà lors d’une surprise partie :

Le Duke y va à fond. Pas de chichis, scènes tendres, comiques ou sérieuses, rien ne l’effraie, fidèle à ces paroles que John Ford lui lança un jour au début de sa carrière :

« Duke, tu vas tourner un tas de scène dans ta vie. Tu auras l’impression de radoter. Mais joue-les à fond quoi qu’il arrive. Tu t’en sortiras. Mais si tu commences à faire le beau, tu perdras ta consistance et la scène sera fichue. »

Wayne, c’est un peu le surhomme tellement humain, et c’est pour ça qu’on l’aime. Alors quand on le voit débarquer dans un pays où l’autochtone a l’habitude de cacher ses sentiments, forcément, il y a un double effet capital sympathie. Le gars Wayne marche sur du velours, et pour le spectateur c’est du nanan de suivre cette histoire de diplomate à la fois cool et empoté, aidé dans ses affres par une sublime geisha.

Oui, oui, sublime, je n’exagère pas.

On peut regretter d’ailleurs que la carrière d’Eiko Ando n’ait pas décollé après ce film. N’importe, sa présence lumineuse dans le film permet de constituer ce couple tout en contrastes évoqués dans le titre. Le duo fonctionne à merveilles, et les dialogues dans lesquels Okichi demande à Harris comment sont les geishas aux Etats-Unis sont rafraîchissants de candeur.

Bref, recommandable, ce Barbare et la Geisha l’est à plus d’un titre. Sans doute Hollywood a-t-il fait plus intéressant, plus épique, plus riche ou plus mythique dans le genre historique, mais ce film de John Huston, aussi bien pour l’amateur de films de l’âge d’or d’Hollywood que celui de curiosités japonisantes, y trouvera largement son compte.  Par contre, pour l’amateur de biroutes bien raides évoquées précédemment, il faudra se contenter…

… d’un canon prêt à cracher sa semence dans le dos de Wayne.

Pas grave, les larmes d’Okichi sont bien le plus beau liquide qui mérite d’être admiré dans ce film :

J’aime finir mes articles de manière élégante.

(1) Film tourné en Espagne. Mais ce qui était possible pour un peplum ne l’était pas forcément pour un pays à la géographie bien différente tel que le Japon.

 (2) Pour rappel, Wayne mesurait 1m93.

Et maintenant, en vrac :

 

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3 Commentaires

  1. Très bel article d’un film que j’ai eu la chance de voir il y a des lustres et qui me donne envi de le revoir.
    Merci.

  2. « que j’ai eu la chance de voir il y a des lustres »

    Effectivement, tu as de la chance car malgré le duo Wayne/Houston à l’affiche, je n’ai pas l’impression que c’est un film qui a été beaucoup rediffusé à la TV. Son visionnage n’a en tout cas pas réactivé chez moi des souvenirs de gamin.
    Dommage, car c’est vraiment un film plaisant.
    Le revoir ? J’ai omis de préciser qu’on le trouve en France dans un DVD avec une piste française, pour les inconditionnels de la voix de Raymond Loyer (Ah! le bon temps où les versions françaises avaient de la gueule !)

    Bonne soirée et merci pour ton passage.

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