Arrietty ou le Studio Ghibli se met en abyme

Il y a toujours un truc que je redoute lorsque sort un nouveau film du studio Ghibli : le concert de bêlements des journalistes qui, alors qu’ils sont foncièrement ignares en matière d’animation japonaise, chantent infailliblement les louanges de Miyazaki. Ils seraient bien en peine de citer un autre nom mais celui-ci, pas de problème, ils l’ont bien ancré dans un coin de leur crâne. Double avantage : on donne l’image d’un critique ouvert d’esprit, qui ne dédaigne pas certains films colorés destinés aux enfants, et on ne se fatigue pas trop à approfondir sa critique, par exemple en établissant des points de comparaison avec d’autres réalisateurs puisque de toute façon, c’est entendu, au-delà de Miyazaki, point de salut.

Aussi, comme le dernier film Ghibli n’est pas estampillé Miyazaki, on pouvait espérer être tranquille niveau bêlements d’extase. Mais en fait non, pas tant que ça : souvenez-vous des Contes de Terremer, bien réalisé par un Miyazaki mais pas le bon, Goro au lieu d’Hayao. La critique fut alors bien mollassonne et y alla volontiers de son « tout de même, si ça avait été le père aux manettes, ça aurait été autre chose hein ! ». Et que ce film fût le tout premier du réalisateur importait peu. Le père, le père, seul le père comptait, le reste ne valait même pas la peine d’exister.

Le délit non pas de sale gueule mais de mauvaise gueule planait donc sur le travail de Hiromasa Yonebayashi. Heureusement pour lui, il me semble que les critiques ont été moins enclines à faire une comparaison qualitative systématique. Je vois à cela deux raisons :

D’abord, pour les Contes de Terremer, Miyazaki le père n’avait eu aucune prise dans la production du film. Ce qui n’est pas le cas d’Arrietty. Le maître apparaît dans le générique donc c’est de la bonne, c’est quand même, un peu, un film de Miyazaki, on va pas faire la fine bouche.

Ensuite, autant Terremer s’inscrivait relativement en rupture avec les productions précédentes, autant Arrietty, en jouant la carte de la sécurité,  peut se voir comme une sorte de condensé de tous les films Ghibli. C’est d’ailleurs une petite gymnastique amusante que de dénombrer toutes les citations, volontaires ou non, de ces films. Il y a tout d’abord le rapport avec Ponyo : comme la fille poisson, Arrietty est une fille appartenant à un autre monde et qui est tentée à l’idée d’explorer celui des humains. Mais il y a aussi Mononoke avec le personnage de Spiller dont les habits sont un clin d’œil à Ashitaka. Le discours que tient d’ailleurs Arrietty à Shô, discours dans lequel elle fustige l’attitude égoïste des hommes, n’est pas sans rappeler celui que tient San à Ashitaka. Un peu plus discret, le thème d’une nature malfaisante m’est apparu avec l’attaque totalement incongrue du gros corbeau sur le chat. Ce n’est certes pas du même tonneau que l’attaque du village au début de Mononoke par le sanglier maudit, mais cela donne une touche d’étrangeté à cette ouverture.

Pour Chihiro, je ne vois que le thème du déménagement, du nouveau départ : Shô va s’installer chez sa tante en attendant une opération et Arrietty quittera sa maison à la fin pour aller en trouver une autre ailleurs. D’ailleurs, comme Chihiro, elle découvrira l’amour, d’abord à travers Shô puis probablement plus tard avec Spiller comme cela est suggéré dans une courte scène lors du générique de fin.

L’inaltérable Totoro n’est pas en reste puisque l’on y retrouve le thème de l’emménagement, celui de la maison perdue dans la campagne et cachant un secret (les noiraudes pour Totoro, les chapardeurs pour Arrietty) ainsi que celui de la maladie qui suspend pour un temps le goût à la vie de différents protagonistes.

En creusant un peu, je pense que l’on pourrait trouver bien d’autres choses encore mais je vais m’arrêter là, l’intérêt étant de montrer combien on n’a pas du tout l’impression de se trouver dans une terra incognita en voyant Arrietty. Autant le dire, j’ai plutôt passé un bon moment durant l’heure et demie que dure ce film. Je me suis une nouvelle fois trouvé justement en terrain connu, et ce n’est jamais déplaisant lorsque le spectacle conserve l’incroyable savoir-faire de la maison Ghibli. D’autant que le studio a toujours l’art et la manière de distiller des petites nouveautés qui permettent toujours de donner cette impression que l’on est face à un film Ghibli malgré tout un peu différent des autres. Après le virevoltant Ponyo, on retombe ainsi dans un rythme beaucoup plus inhabituel chez Ghibli. Sans être non plus dans le contemplatif made in Makoto Shinkai, on ne peut pas dire que le film déborde d’action. La scène dans laquelle Arrietty accompagne pour la première fois son père afin d’explorer la maison des hommes est assez symbolique de ce fait. Il n’y a pas vraiment de dangers, tout est calme, tout le monde dort. Seule compte la découverte des lieux à travers le regard émerveillé d’arrietty. On n’a pas la chair de poule, mais un frisson de plaisir devant la succession de ces tableaux ultra détaillés qui nous mènent jusqu’à la cuisine de la maison.

Autre nouveauté : le jeu sur les échelles et là, il faut saluer les qualités techniques de  Yonebayashi. Habituellement, qui dit film Ghibli dit film d’exploration. Les personnages découvrent, explorent les grands espaces. Et même lorsque le héros est cloîtré (Chihiro dans les bains publics), il finit à un moment par explorer les grands espaces (la fabuleuse scène où Chihiro part en empruntant ce train roulant sur la mer). Arrietty réussit à la fois la gageure de conserver cet aspect du cahier des charges (Arrietty n’a de cesse d’explorer) et celle de faire en sorte que cela se passe à la même échelle que les insectes. On est pour ainsi dire dans les grands espaces minuscules et Yonebayashi arrive particulièrement bien à faire sentir ce jeu sur les dimensions à travers de multiples détails.

Enfin, n’oublions pas la musique de Cécil Corbel qui permet enfin d’entendre autre chose que du joe Hisaishi. Ce n’est pas que j’ai quelque chose contre le bonhomme, mais je commençais un peu à me lasser.

Le film est donc charmant, beau, bien foutu techniquement, un vrai film Ghibli quoi !

Et pourtant, quelques jours après l’avoir vu je ne peux m’empêcher de me dire que le film est à l’image de ces décors qui illustrent l’article. Somptueux mais un peu inhabité. Les clés du studio ont bien été remise à Yonebayashi mais malheureusement, le proprio des lieux n’a pas arrêté de faire des intrusions pour voir si le locataire n’avais pas bousculé la flamboyance de la demeure.Il y a un peu de la métaphore dans ce film. Yonebayashi et toutes les jeunes pousses du Studio Ghibli sont un peu comme ces chapardeurs : ils ont le droit d’explorer cette belle et vaste demeure qu’est le studio, celui de toucher un peu mais gare à eux s’ils ont l’outrecuidance de le bouleverser. Du coup, si l’on est logique, Miyazaki dans tout ça serait…

Haru ! (gasp)

Finalement, j’aurais préféré que ledit Miyazaki prenne sa retraite définitivement après Ponyo ou alors, qu’il reste mais pour s’occuper de ses propres films et non superviser ceux des autres. Malgré ses défauts, Terremer avait au moins le mérite de sortir des sentiers battus par Miyazaki le père. Et la scène de parricide à l’ouverture apparaît en comparaison des petites nouveautés d’Arrietty comme étant d’une grande originalité.

Espérons qu’Arrietty soit finalement un film charnière, celui d’un passage de témoin définitif afin de passer au Studio Ghibli 2.0. et que l’ultime scène, celle où l’on voit les chapardeurs filer vers une nouvelle vie, soit annonciatrice d’un nouveau départ. Peut-être la suite sera-t-elle moins bonne mais qu’un vent frais souffle sur le studio nom de Dieu ! Au fait… Ghibli ne signifie pas « vent » d’ailleurs ? Le vent commence à faiblir et à nous endormir les gars, il va être temps de passer à quelque chose de plus violent…

Jolie maison cherche réalisateur jeune, doué et inventif.

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10 Commentaires

  1. Ouais bah celui-là j’irai pas voir. Les prod’ des studios Ghibli me font gerber. Le seul potable en ce qui me concerne c’était Porco Rosso même si l’avoir vu en VF était une souffrance à l’époque parce que déjà Jean Reno, je pouvais pas le piffrer.

    Voilà le genre de dessin animés qui m’a toujours cassé les burnes. Merde. Qu’est-ce que j’ai ? Je suis vulgaire là. Ca c’est l’effet buvette « Be a bad ass ». Sorry la. Je me sens pousser des yo ta reum en short langage 90’s Benny B mon nom à moi tu l’as deviné. Sorry la à nouveau.

    Bref. Je n’ai jamais compris l’admiration que suscite un Hayao M. Alors un Goro M., t’imagines ? Et lorsque je vois Arietty, les dessins là… bah je préfère aller me saoûler à DC avant que je ne rende mes tek paf sur le comptoir.

    Marrant, je me lis et je me dis que j’ai alcool mauvais. 😉

    Sinon les Bijin ne m’ont jamais déçu 🙂

  2. « Le vent commence à faiblir et à nous endormir les gars, il va être temps de passer à quelque chose de plus violent… »

    tout à fait de ton avis, et de rajouter que je me suis copieusement ennuyé. Même discours moralisateur à se mettre trois doigts au fond de la bouche, même horrible musique « maman-poule incestueuse », je m’y attendais, passons.

    Mais, oubliées les plongées fantasmatiques de Chihiro, les bastons homériques de Mononoke, les loustics de Porco Rosso, etc…. bref, tout ce qui a fait le succès des précédents films. RIEN

  3. @ I.D. : Toi, ce sont les cat.III qui t’ont définitivement vrillé l’esprit. Mais je respecte ton avis, d’autant qu’il y eu un bel effort stylistique dans la grossièreté, j’aime. 🙂

    Pour les bijins, t’en fais pas, ça arrive bientôt, ce n’est qu’une question d’heures.

    Sinon, je plussoie pour Jean Réno. Ce type, je l’aurais plus vu porter le costume de Casimir qu’essayer de faire l’acteur dans des films.

    @ Bouffe-tout : tu cites Mononoke et Chihiro (Porco Rosso est à un moindre degré), les deux meilleurs films à mon sens de Miyazaki. D’un côté une plongée fantasmatique bourrée de symbolisme, de l’autre de l’épique bien plus intéressant que les bastons aériennes de Laputa. J’aimerais vraiment que le studio suivent à nouveau ces deux pistes.

  4. on reparle de Miyazaki ? je pensais qu’il était mort avec Chihiro, apres mis un point final à son discours emprunté depuis de Nausicaa ?
    On reparle de Ghibli ? je pensais que le studio était mort avec Chihiro, chant du cygne d’une inteligence de l’animation et du conte hérités de classiques tels que Nausicaa ?
    Ah non, on me signale que Ghibli existe toujours et aurait sorti quelques films depuis ce Mononoke truc….. ah oui ca me revient. Des films beaux, mais nuls, vides. Mais beaux. Mais nuls. Oui mais beaux… ah oui excusez moi Mr Télérama, c’est pile à cette époque que vous avez cru bon de ne plus cracher sur le mangasse au cinema. ALors ca ne m’etonne pas que vous ayez, vous et vos amis de la critique culturelle, un probleme de référentiel. Non Arrietty n’est pas bien. Il est quelconque, mais beau (oui, oui). Il mérite son succes, qui restera temporaire faut pas deconner.
    J’en suis sur, on me raconte des bobards. Ghibli est bien mort avec Chihiro ? non ?

  5. J’ai aussi beaucoup aimé le Château Ambulant, qui, avec Chihiro, ont ma préférence…..

    Sinon, l’idée que Haru pourrait représenter Miyasaki est surprenante mais intéressante !
    Si le studio se met en abîme, et comme il y a presque toujours un personnage inspirée de la mère de Miyazaki (comme dans le chateau ambulant), ca pourrait être la mère d’Arrietty. Physiquement en tout cas.
    Pour le caractère, elle est beaucoup moins équanime que d’habitude la daronne : pas le gout pour l’aventure, cède facilement à la panique, au bord de la crise de nerf, vit cloitrée dans son petit monde.
    Ce n’est qu’en plein déménagement, lors d’un bivouac inconfortable, qu’elle se montre étonnement sereine, vivante.

    Un nouveau départ bénéfique pour le studio Gibhli ? La mère d’Arrietty a quand même emporté quelques unes de ces belles casseroles qu’elle n’a pas eu le temps d’utiliser encore. Quelques unes seulement… son mari l’a prévenu…ca va être lourd à porter.

    Maintenant que j’y pense, t’as raison, c’est vraiment une histoire de succession, la maison de poupée bien proprette construite par le grand-père symbolisait le lègue en quelque sorte.

    Pas si mal ce film finalement.

  6. >Ghibli est bien mort avec Chihiro ?
    Je confesse très peu accrocher à Chihiro, rien à y faire, je le trouve assez lourd et démonstratif, et amorçant déjà un certain déclin/routine (pas taper!). J’ai vu aucun Ghibli depuis d’ailleurs (à part le Royaume des chats que je trouve assez sous-estimé). Laputa rules ’em all!

  7. ouais, on en avait rapidement discuté la derniere fois sur Paname. Je ne suis pas non plus un ardent défenseur de Chihiro, mais pour moi il clot la reflexion de Miyazaki sur non pas la dualité modernité / tradition qu’on pourrait accoler à Nausicaa et Mononoke (qui sont rappelons des visions miroir du meme probleme) mais sur l’acceptation et l’appropriation de cette dualité dans le cadre enfantin (grandir toussa… soit le coup de la barre fixe et son soleil en largement plus poétique). Ou un truc du genre.
    Désolé d’avoir dévié (et pas dévié comme on dévie sur DC).
    Arriety, c’est comme le chateau ambulant et Ponyo, c’est du Disney made in Japon, de l’animation talentueuse sans ame, de la poésie de comptoir.

  8. @ Bouffe-tout : oui, c’est vrai que le château ambulant était plaisant. Et bien vu pour ces casseroles « lourdes à porter ». J’avais balancé cette histoire de mise en abîme un peu en plaisantant mais plus j’y repense, plus je me dis que cela donne une grille de lecture pas si absurde. C’est ce qui fait que je continue de voir sans déplaisir les nouveaux Ghibli, il y a toujours un petit truc sur lequel s’accrocher.

    @ Martin : « Laputa rules ‘em all! »
    C’est marrant comme on a tous des préférences qui diffèrent dès qu’il s’agit de dire quel est son Ghibli préféré. Laputa est sympa mais il ne m’a jamais vraiment emballé. Comme quoi il doit y avoir quelque chose, quoiqu’en pense Guillaume, derrière cette apparente répétition des mêmes thèmes et qui fait que l’on se sent plus touché par un film qu’un autre.

    @Guillaume
    : « c’est du Disney made in Japon ».
    Encore faut-il savoir de quel Disney il s’agit. Le Disney plutôt Pinocchio (chef d’œuvre absolu) ou celui des Aristochats (beurk!) ? Parce que si en terme d’émerveillement on se rapproche du premier, ça me semble pas si mal, non ? Et j’ai l’impression que les films Ghibli parviennent, pas toujours mais parfois, à toucher à cette « magie Disney » malheureusement trop souvent assimilée à un truc négatif.

  9. >C’est marrant comme on a tous des préférences qui diffèrent dès qu’il s’agit de dire quel est son Ghibli préféré.

    oui, c’est assez frappant. Je place Laputa bien dessus du reste d’ailleurs (puis viennent Nausicaa, Cagliostro et Totoro), je dois être plus sensible à la fraicheur de ses débuts, là où depuis Mononoke c’est devenu bcp plus « lourd » (j’ai bcp aimé Mononoke, mais je l’ai jamais revu depuis sa sortie ciné). Et à ceux qui kiffe la scène du train de Chihiro, je les renvoit vers « Night on the galactic railroad », vraiment très bien!

    >mais pour moi il clot la reflexion de Miyazaki sur mais sur l’acceptation et l’appropriation de cette dualité dans le cadre enfantin

    Faudrait que je le revoie sous cet angle, dans un cycle thématique précis avec ses films précedents. Il y a un truc auquel j’accroche vraiment pas, l’impression d’un film sans émotions et enjeux, et qu’on aurait surboosté aux yokais et autres bestioles cinégeniques. Un peu l’impression de ressentir Miyazaki en mode calculateur qui remet le couvert sans grande envie.

  10. @Olrik> « Encore faut-il savoir de quel Disney il s’agit. »
    Les jeunes comme moi (!!) jugent Disney sur le post 80. Soit la soupe servie par un studio qui a concocté de vrais chefs d’oeuvres dans les décénnies passées (dans lesquels je ne rangerai pas Pinnochio, comme quoi !).

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