Fleur de Nave Vinaigrette (San-Antonio)

Pour moi, pas de bonnes vacances sans un bon San-Antonio. Car quitte à se délasser les neurones, autant le faire dans la gaudriole intelligente. Intelligente, oui, j’insiste pour ceux qui ne verrait dans San-Antonio qu’une sorte de littérature de gare vulgaire et écrite avec le cul. Je confesse ici que j’ai longtemps eu cet a priori.  Et puis, je ne sais un jour quelle mouche m’a piqué  mais je me suis mis à en lire un. Je me souviens encore du titre : Faut être logique. Effectivement, quitte à dire du mal d’un auteur, autant commencer par le lire, faut être logique. Et là, je n’ai pas mis longtemps à m’apercevoir de ma bévue. Drôlissime et terriblement inventive, la prose dardienne ne tarda pas à faire de moi, au bout des 250 pages qui composent le volume (la norme pour un San-Antonio), un accroc aux exploits physiques et langagiers de ce commissaire viril à côté duquel OSS 117 fait penser à l’inspecteur Clouzot.

Prose inventive, mais aussi virtuose, surtout lorsque Dard a commencé à donner plus d’importance à l’invention verbale au détriment de l’intrigue. Il faut être franc, on ne lit pas un San-Antonio pour se triturer les méninges comme dans un Agatha Christie. Reste que les San-Antonio des années 50 et 60 trouvent un compromis intéressant entre intrigue et virtuosité langagière. En tout cas, c’est un équilibre qui me touche plus que les derniers romans, parfois un peu soulants du fait de l’ébriété verbale dont semble être saisi à chaque paragraphe San-Antonio.

Fleur de Nave Vinaigrette, écrit en 1962, appartient aux romans où l’invention verbale reste encore maîtrisée. Elle claque à coups de néologismes, d’expressions argotiques, de tiraillement de la syntaxe et de mauvais jeux de mots, mais permet  encore à l’intrigue de respirer. Elle n’est pourtant pas bien complexe et a parfois des allures de jeu de l’oie. Mais cela suffit à suivre plaisamment les pérégrinations bien tordues de San-Antonio et de Bérurier (son adjoint, sorte de version trash du sergent Garcia ) au Japon.

Quelle vision Frédéric Dard offre-t-il au lecteur de ce pays Ô combien cher à mon cœur et à mon esprit ? Autant vous le dire franco :

C’EST LE NÉANT ABSOLU !

Et vous savez quoi ?

ON S’EN TAMPONNE !

Admirateurs de Nicolas Bouvier réfractaires aux plus vils calembours, passez votre chemin ! Car voici ce qui vous attend :

San-Antonio (dit San-A, Tonio, Antoine pour les intimes) est inquiet : son cousin Hector (dit Totor), aux dernières nouvelles associé avec Pinaud (dit Pinuche, le Vioque, le Débris, le Fossile…) pour monter une agence de détectives privés (la Pinaudière Agency Limited, yeah !), a mystérieusement disparu de la circulation. Ajoutons à cela que le cadavre d’une jeune Japonaise a été retrouvé à deux pas de l’immeuble où crèche Bérurier (dit l’Horrible, le Maousse, l’Enflure, le Gros, le Gravos… ).

Dans l’avion qui les mène au Japon pour poursuivre l’enquête, avion piloté par le Commandant Lahoyapadmoto, un passager japonais se fait harakiri :

Il se nomme Fouzy Houtusé et il habite : Accent circonflexe-chapeau pointu-carré barré-ombrelle-hameçon et deux accents circonflexes superposés, à Kawasaki.

Quant à l’hôtesse de l’air qui s’occupe des deux flics, elle est « Japonaise à ne plus en pouvoir. Elle a le visage rond et jaune, un sourir énigmatique et des yeux en coups de canif. »

–         Au fait, quel est votre nom ?

–         Yo !

–         Ravissant, et ça signifie ?

–         Hirondelle qui passe dans un lointain tout nimbé de soleil.

–         Je comprends que vous vous soyez faite hôtesse de l’air avec un blaze commak.

Y’a pas, on nage en plein exotisme. Normal lorsque l’on sait aussi bien que Bérurier où se situe géographiquement le Japon :

–         Allô ! Ninette ? C’est Benoît-Alexandre ! Bonjour… Comment ? De Tokyo ! (plus fort il reprend : ) De Tokyo (et il épelle : ) T.O.Q.U.I.O. Mais non c’est pas dans l’Ardèche ! C’est au Japon. Oui : le Japon. Vous voyez Madagascar ? Eh bien, c’est à gauche.

Et la poursuite de l’enquête à Tokyo est tout aussi désinvolte. On fonce dans l’intrigue poignée dans le coin et à coups  de Nepakokuquiveuh, grand journal du soir de Tokyo, de statue d’Hokilépabo, de Professeur Yamamotokétolabo et autre monsieur Padecarburohamamoto.

Quant au passage obligé des acrobaties intimes, il sera évidemment l’occasion de faire intervenir les geisha qui comme chacun sait ne sont évidemment pas des artistes raffinées mais des prostitués de luxe :

Elle s’appelle monkusulakomodo, ce qui en français veut dire Lulu. Elle est en première année. Elle doit passer son morbac en Juin et, si elle est reçue, elle entre en siphilo l’année prochaine. Elle compte se spécialiser plus tard dans les langues fourrées orientales et elle pioche dur son Kamasoûtra afin de décocher son premier prix (en l’occurrence, une nuit d’amour avec un eunuque).

Histoire de vous achever, dois-je évoquer la famille Boku-Hokury ? Non, ça ira ? Comme vous voulez.

Cela peut paraître étrange d’évoquer sur ce blog un roman où le narrateur met en place un Japon de carton pâte fait  de stéréotype et de mauvais calembours. Et habituellement, Dieu sait si les blagues « nipponnes ni mauvaises » visant ce pays me font frémir. Mais on aurait tort de s’en offusquer. C’est du Dard dans le texte, c’est-à-dire une grosse louche d’almach Vermot, une cuillérée de Cheyney, une autre de Rabelais et une pincée de Céline passées au mixeur de son imagination.  Et perso, je pardonne tout à un pareil cocktail, ou plutôt à une telle tarte à la crème, pour reprendre les mots de San-A dans le préambule :

Sachant que la plupart de mes contemporains sont d’un tempérament bilieux, je prends soin, chaque fois que je publie un nouveau chef-d’œuvre, d’informer le lecteur que mes personnages sont imaginaires, fictifs et tout. Cette fois, la précaution me paraît superflue : qui donc, quel crâne plat, quel cerveau ramolli, irait supposer que les héros de ce livre sont réels ?

De même ses aspects historiques et géographiques n’échappent pas à la fantaisie de ma remarquable imagination. Toute ressemblance avec des personnes (fût-ce des empereurs) existantes ou ayant existé ne serait pas une coïncidence mais un miracle.

« Fleur de Nave vinaigrette » n’est qu’une immense tarte à la crème que je vous balance à la frite pour rigoler.

J’espère que vous trouverez la crème assez fraîche et que vous comprenez la plaisanterie.

Votre Vieux :

S.-A.

À vous de voir si vous serez friands de cette crème mais c’est une expérience qui vaut largement la peine d’être essayée. Quant à ceux qui sont déjà familiers avec le commissaire, je ne précise pas que vous pouvez foncer…


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2 Commentaires

  1. Ca c’est de la littérature ! De la vraie, de la grande. San Antonio, c’est génial. J’ai découvert les aventures de ce dernier et de son acolyte Béru au lycée, un pote qui m’avait fait tourner un bouquin. Ce con (mon pote) faisait des broc’ pour se fournir (à quoi sert ce que je viens d’écrire ? Aucune idée). C’était bien cool. Un moment que je n’ai plus lu de ses histoires à l’autre.

    J’ai aussi apprit que le fiston Dard avait reprit l’entreprise familiale. Pas lu ce que ça donnait…

    Bref. C’est juste jouissif !

  2. Les brocantes sont un bon plan pour se fournir en San-A puisqu’on peut y trouver les éditions Fleuve Noir avec les belles couvertures de Michel Gourdon.

    Concernant Patrice Dard, j’ignore totalement ce que donnent ses romans. J’imagine que ce doit être de bonne facture après, est-ce que le fils égale le père ? rien n’est moins sûr…

    Ce qui est en revanche sûr, c’est que ce type manque terriblement.

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