Bakuhatsu! Boso yugi (Teruo Ishii – 1976)

poster

Bakuhatsu! Boso yugi de Teruo Ishii vient d’inaugurer ma découverte d’un  genre particulier : le bosozuku eiga, le film de motard (précisons : le motard violent). Si j’ai commencé le visionnage sans grande conviction, j’ai assez vite compris que ce film allait être assez jubilatoire. Car dès le premier quart d’heure, un glorieux modèle vient immédiatement à l’esprit : West Side Story, de Robert Wise. Ici aussi, nous avons affaire à une histoire de rivalité entre deux bandes et ici aussi, une histoire d’amour entre deux personnages va accélérer l’escalade de la violence. Mais le rapprochement ne s’arrête pas là.

Le Rouge et le Noir selon Ishii

En deux mots, voici un bref résumé se l’histoire : deux bandes sont donc opposées : les Black Panthers (les gentils) et les Red Barons (les méchants). Les premiers sont des rockabilly pur jus. Vêtus de noirs, un de leur passe-temps favoris, est de se réunir… pour claquer des doigts (j’y reviendrai plus tard). Pas de compromis : ils sont rock’n’roll, vont vite sur leurs motos, et c’est tout. Les seconds sont vêtus de rouge, couleur qui suggère évidemment  le souffre. Eux, ils ne claquent pas des doigts mais préfèrent taper dans leurs mains. Un peu embourgeoisés, lorsqu’ils ne sont pas vêtus de leurs combinaisons rouges, ils aiment à porter des vêtements chics.

Black Panthers : on claque des doigts. Et ouais ! on est comme ça!

Red Barons : on tape dans les mains et on pète dans la soie. Et ouais! on est comme ça!

Autre différence : leur conception de la fête. Chez les Black Panthers, on claque des doigts donc, mais on aime aussi à se réunir sur la plage pour tortiller des hanches en levant les bras :

Carpe Diem 100% original et sponsorisé par Narta

Chez les Red Barons, nous avons affaire à une autre conception de la surprise-partie. Sheila aurait-elle apprécié ce style ? Pas sûr, mais ça l’aurait sûrement déniaisée :

Tiens donc ?

♫C’est ma première toutouze-partie, c’est ma première toutouze partie♫

Bon, le spectateur habitué d’Ishii regarde plutôt ces scènes d’un œil bienveillant. Mais le message est clair : les bad guys du film sont évidemment ces salopards partouzeurs de Red Barons. Autre élément de comparaison pour s’en convaincre : les héroïnes qui s’amourachent du pilote automobile Masami,

Masami, le bogosse de ces dames

… ancien membre repenti des Red Barons. La gentille d’abord (la Juliette, la sœur d’un des chefs de bande, et dont l’amour impossible pour ce Roméo va constituer un des ressorts dramatiques):

Plutôt mignon tout plein, non ?

Puis la méchante :

La méchante qui n’a rien de plus constructif  à faire que de discuter à poil sur un fauteuil Emmanuelle

Tout cela est bien basique, bien manichéen, et pourtant ça fonctionne à merveille. Ce qui tape tout d’abord dans l’œil du spectateur, c’est cette incroyable galerie de trognes. On utilise souvent une expression – pas toujours heureuse d’ailleurs – pour parler de certains films, simple dans leur construction et dans leur psychologie des personnages : on dit « c’est très B.D. ». Ici, on pourrait dire : « c’est très manga »… et c’est très réussi. On s’attache rapidement à cet univers dans lequel on voit à travers les personnages comme dans du cristal.

Moi, une trogne? Alors là je me marre!

Autre intérêt visuel, évidemment la mise en scène d’Ishii et son goût pour les expérimentations picturales. Jeu sur les couleurs, sur les contre-jours, effets de flashs, composition des images léchée, on est face à un univers aux variations sans cesse renouvelées, un pur régal :

Qui a dit que j’avais la même coupe qu’Enrico Macias ?

Habile utilisation de la règle des tiers. Shin, le personnage à droite, craque et se confronte à la marée rouge. La symétrie de départ (voir image plus haut) est rompue, l’affrontement n’est plus très loin.

Scène romantique automnale dans une couleur neutre, loin des échauffourées sur le bitume.

Enfin, le dernier aspect original se situe dans cette inspiration de West Side Story. Car l’évocation de ce film n’est pas gratuite : on peut, à la vue de ce film, réellement penser qu’Ishii a essayé de faire un équivalent tout personnel du film de Wise. Par deux fois, Ishii glisse des scènes (dont une relativement longue) purement musicales. Les personnages des deux bandes jouissent de la vie, les uns dans un endroit glauque pour claquer des doigts, les autres pour taper des mains et faire l’amour. Présenté comme cela, on se dit que c’est un peu ridicule et de fait, durant les premières secondes on n’est pas trop sûr qu’Ishii ait fait le bon choix. Et pourtant, devant ces scènes minimalistes et entêtantes, portées par une musique jazzy très punchy, on se sent gagné par la griserie qui habite les personnages et on se surprendrait presque à claquer des doigts, nous aussi. Nous ne sommes certes pas à Broadway, ici nulle trace de virtuosité, mais l’exaltation musicale de ces grands adolescents a un quelque chose de réjouissant.

Pour finir, j’évoquerai la violence. On s’en doute, elle se trouve surtout du côté des Red Barons. Le point culminant sera d’ailleurs une impressionnante scène de marquage au couteau :

« Rat d’égout » : difficile maintenant d’aller à la piscine et aux bains publics, hein Shin ?

Mais la scène finale, dans son exubérance grand-guignolesque, n’est pas mal non plus. Car on ne se contente pas de se cracher au visage d’impressionnant mollards :


Bon, tu fais comme tu le sens garçon mais moi, perso, ça ne m’aurait pas plu.

On s’aplatit rageusement les bras :

On fait sentir que l’on a terriblement mal en jouant comme un dieu :

Enfin, on pisse le sang par tous les trous :

Et là, devant un tel déchaînement de violence, on se dit qu’Ishii, plus que le Wise japonais, serait plutôt le Shakespeare du bitume. Et le meilleur dans tout ça, c’est que le drôle a réalisé deux autres chef-d’oeuvre remplis de rockabilly motorisés. Vous savez quoi ? Ne me parlez plus de l’Équipée Sauvage, merci.

Bakuhatsu! Boso Yugi est disponible en DVD chez Toei

Lien pour marque-pages : Permaliens.

2 Commentaires

  1. Totale découverte ! Et celle-ci a l’air suffisamment intéressante pour chercher à la dénicher dans mon bon vieux videoclub !

    Merci Olrik !

    Clarence, en rouge et noir

  2. Oui, tu peux y aller, c’est vraiment un bon petit film de série B. À montrer dans toutes les bonnes motos-écoles!

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