Bijin de la semaine (11) : Peter

Ceux qui s’imaginent qu’il n’y aura que de la pulpeuse pin up à gros seins dans cette rubrique en seront aujourd’hui pour leurs frais. Car la belle Peter est plate comme une seiche ou, devrais-je plutôt dire, plate comme un homme. Car oui, Peter est gay. Pourquoi pas ? Bijin veut dire belle femme. Or Peter se considère comme une femme et est indéniablement une belle femme. Il y a bien un petit détail technique mais franchement, on ne va pas chipoter non plus.

Sa carrière est à rattacher surtout à un chef-doeuvre : la Parade Funéraire des Roses (1969), de Toshio Matsumoto, surprenante adaptation dans le milieu gay tokyoïte d’ Œdipe Roi, de Sophocle. C’est une version inversée. Ici, ce n’est pas un jeune homme qui couche avec sa mère et qui tue son père mais une jeune femme qui tue sa mère et couche avec son père. La jeune femme en question est, on l’aura deviné, un gay (incarné par Peter) dont le prénom, Eddie, évoque évidemment la prononciation japonaise d’Œdipe.

Peter aurait-il prêté ses cils à Malcolm Mac Dowell ?

Le film donne l’impression d’avoir été tourné à quatre mains par un Seijun Suzuki et un Stanley Kubrick sous acide. Il existe d’ailleurs une rumeur selon laquelle Kubrick se serait inspiré du film pour faire Orange Mécanique. Habituellement, je me méfie des rumeurs sur Kubrick mais là, en visionnant la Parade Funéraire, cette histoire d’influence m’est apparue avec la force de l’évidence.  Certaines scènes en accéléré, certains travellings arrières, le côté pop exacerbé, autant d’éléments qui ont tout de suite fait tilt dans mon esprit. Pour le côté Seijun Suzuki, on pense immédiatement à un film comme la Marque du Tueur, avec ses cassures de rythme stylisées. D’un point de vue formel, la Parade Funéraire est donc un petit joyau.

Séance d’insultes totalement Suzukesque entre Peter et sa rivale

Sur le fond, tout repose sur cette audacieuse transposition d’ Œdipe Roi sur fond de cinéma avant-gardiste contestataire. Conjuguée avec cette mise en scène inventive, elle fonctionne parfaitement. Ce qui ne pourrait être qu’une banale histoire de jalousie entre gays (Eddie a volé l’homme de Léna) est gangréné par des inserts qui donnent à penser que quelque chose ne va pas dans ce triangle amoureux. Un plan revient avec une certaine insistance : une photographie montrant une tête d’homme dont le visage semble avoir été brûlé à la cigarette.  Ce secret (qui est cet homme ?) fait son chemin dans l’esprit du spectateur qui succombe peu à peu au train train faussement ordinaire de cette Eddie qui court à sa perte.

Dans le film, Peter est remarquable. Nous ne sommes évidemment pas dans la Cage aux Folles. Le film nous montre des gays singeant des manières féminines mais il ne s’en dégage aucune vulgarité. Un certain grotesque peut-être, mais qui ne leur est pas exclusif (cf. la scène nous montrant des loubardes franchement ridicules). En tout cas, dans le royaume des gays tokyoïtes, Eddie en est certainement leur reine. La métamorphose est fascinante, totalement bluffante. N’étant pas Jean-Jacques Rousseau (1), je me suis totalement laissé prendre (façon de parler) lorsque j’ai découvert ce film pour la première fois à travers sa bande annonce :

La voix est ce qui trahi le plus Peter en dehors de son torse et de son sexe qu’elle peut toujours dissimuler. Mais ces éléments mis à part, la métamorphose est totale :

A la fin, Eddie se crève les yeux puisqu’elle n’a pas su voir la vérité : l’homme avec lequel elle couchait était son père. Mais on peut aussi voir autre chose dans ce geste : une volonté de se punir de son perpétuel narcissisme (les scènes de maquillage sont légion) en ajoutant une ultime étape à ses métamorphoses, celle qui la fait passer de rose à un monstre qui conclut cette parade funéraire dans la rue, hagarde et le couteau à la main.

Ce chef d’œuvre se trouve chez Eureka ! dans la collection Masters of Cinema (VO sous titrée anglais)

PS : plus anecdotique,  Peter a enregistré quelques chansons.

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Bulles de Japon reviendra la semaine prochaine avec un postérieur 100% féminin

(1)   Jean-Jacques, à qui on ne la fait pas, avait déclaré, après avoir lu les Lettres d’une Religieuse Portugaise (publié alors anonymement), un truc du genre : « Que dalle ! Je n’y crois pas ! Il est impossible que cela ait été écrit par une femme ! » (je cite de visu). Il avait raison.

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