Confessions (Tetsuya Nakashima – 2010)

Une enseignante au collège, Yoko Moriguchi, annonce à ses élèves lors du dernier cours avant les vacances de printemps, qu’elle va démissionner. Mais l’hilarité joyeuse de se classe – qui apparaît au passage comme un joli ramassis de médiocrités en tous genres – est de courte durée car elle confesse son secret : pour se venger de la récente mort par noyade de sa petite fille dont elle sait qu’elle est le fruit des agissements de deux élèves présents dans la classe (qu’elle nomme Assassin A et Assassin B), elle explique qu’elle a injecté, dans les briques de lait qui leur étaient destinées pour la pause, du sang contaminé par le VIH. Sera-ce suffisant pour qu’il incube dans leur organisme ? Ils auront tout les vacances de printemps pour patienter avant les résultats de leur analyse de sang et réfléchir à leurs actes…

On le voit, Confessions, ça décape dès le début. La confession inaugurale de Moriguchi, débutée dans un brouhaha insupportable, prend peu à peu de la hauteur et finit par s’imposer dans la consternation générale des élèves et la fascination du spectateur qui comprend qu’il est parti dans un voyage au cœur du mal qui va pas mal cogner sur cette jeunesse japonaise élevée dans une insouciance cotonneuse, par des parents plus ou moins démissionnaires. Ce sera sans doute parfois éprouvant, mais cela promet aussi d’être beau. En trente minutes, Nakashima love le spectateur dans une beauté visuelle et sonore parfaitement dosée, très loin de la surcharge esthétique de The World of Kanako. L’atmosphère est vénéneuse mais avec sa photographie bleutée et rythmée par ce que l’on pourrait appeler un curieux exemple de « lenteur dynamique » tant Nakashima excelle lors de cette première demi-heure à étirer cette première confession tout en la rendant absolument captivante, avec des magnifiques effets de ralenti incrustés dans un montage parfois nerveux mais sans toucher à une frénésie lassante (comme c’était le cas pour The World of Kanako), difficile en effet de ne pas être envoûté. Avec en plus une musique alternant ambiance ado guillerette, airs sombres du groupe de rock progressif Boris et chansons mélancoliques (magnifique utilisation de Last Flowers, de Radiohead), musique qui achève de magnifier cette jeunesse dorée tout en lui conférant ce je ne sais quoi d’inquiétant qui fait que n’importe quel élément de cette jeunesse peut se transformer en une petite monstruosité peu ragoûtante. D’un côté on est dans l’exaltation du jeune âge propre à certains dramas et une foultitude de mangas, de l’autre on tire un coin de cette toile un peu trop parfaite pour constater combien cette jeunesse bruyante et joyeuse constitue un joli petit panier de scorpions.

Les fleurs sont uniquement celles que l’on voit sur les branches des cerisiers.

Bref, après cette somptueuse première demi-heure donc, le spectateur est sur les rails pour suivre les effets de la vengeance de Moriguchi. On comprend très vite qu’il n’y avait pas de sang contaminé dans les briques de lait. Il s’agissait juste d’une étape pour les effrayer, le véritable but étant moins de les tuer que de créer un cataclysme dans leur quotidien, cataclysme qui transformera leur vie en enfer. Ils seront ainsi très vite mis à l’écart, persécutés par leurs congénères qui, en dépit d’une bassesse et d’une médiocrité désolantes, ont beau jeu de jouer les justiciers persécuteurs. L’un des deux meurtriers, Naoki, deviendra un hikokomori forcené et commettra un jour l’irréparable. Pour le second, Shuya, la vengeance sera plus longue et tortueuse. Soucieux de retrouver et plaire à une mère qui a abandonné sa famille pour une carrière scientifique, l’adolescent s’est échiné à essayer d’attirer l’attention de sa mère par le biais d’un blog où il présente des inventions de son crû. Profondément orgueilleux et cynique, il est une sorte de Raskolnikov de bazar pour lequel certaines vies par leur inintérêt peuvent être supprimées, mais sans qu’il y ait chez lui la moindre once de remords et de recherche de rédemption. Il trouve à un moment du film sa Sonia mais l’influence de cette dernière n’aura malheureusement pas les effets escomptés. Malgré tout, le spectateur se demandera lors de l’ultime quart d’heure à quelle sauce il sera mangé par  Moriguchi. Va-t-il connaître un enfer qui va le brûler jusqu’à la fin de sa vie ? Ou bien son ancienne prof va-t-elle faire preuve à l’ultime instant d’une magnanimité qui, comme dans une bonne pièce de Corneille, va stupéfier ce cerveau malade et enfin parvenir à le remettre sur la voie du bien ? Tout se jouera habilement dans les deux dernières phrases prononcées par Moriguchi, avec différents manières de les interpréter (spoils à venir).

Si on est d’humeur optimiste, on considérera en effet que Shuya n’est pas devenu le meurtrier de sa mère bien-aimée comme essaye de lui faire croire Moriguchi (pour rappel : on termine le film avec une sombre histoire de bombe installée par Shuya mais déplacée à son insu par Moriguchi dans le bureau universitaire où travaille sa mère). Il s’agissait juste de lui faire ressentir ce que c’est que de perdre un être cher. C’est tout le sens de la première phrase (« c’est ta première étape vers la rédemption ») et de la seconde lorsque Moriguchi lui dit, reprenant une phrase prononcée par le jeune homme plus tôt dans l’histoire : « je te fais marcher ». Il ne serait donc pas l’assassin de sa mère mais de par l’électrochoc émotionnel que lui a infligé Moriguché, il serait alors sur la voie de la rédemption.

Mais cette ultime phrase devient terriblement ambiguë dès que l’on considère qu’elle s’applique non pas à ce que veut lui faire croire Moriguchi, à savoir qu’il aurait tué malencontreusement sa mère mais à cette possibilité de rédemption. Dès lors le film s’achèverait par une note d’impitoyable ironie, exaltant une vengeance qui refuserait tout possibilité de magnanimité au profit d’une souffrance absolue, achevant de transformer une femme que l’on devine avant son drame personnel sensible et cultivée en un monstre froid qui n’est pas sans rappeler Médée ou d’autres héroïnes shakespeariennes. Cette incertitude à déceler ce que signifie réellement Moriguchi par ses dernières paroles est finalement à l’image de ces briques de lait dont on ne sait si elles ont été ou non contaminées. Ce « je te fais marcher » est-il le sérum qui va rendre Shuya meilleur ou au contraire le poison qui va accentuer encore plus le côté enfer sur terre que que va connaître dorénavant sa vie ?

Une chose est sûre, le film se termine sur une ultime touche de vice bien dans l’esprit de la représentation de cette société japonaise par Nakashima tout le long du film. Si la contamination du lait n’était par certaine, ce n’est pas le cas de cette société qui tue gratuitement des petites filles, qui protège aveuglément de pauvres enfants meurtriers ou encore qui fait justice elle-même en persécutant collectivement ceux qui ont fauté. Confessions présente évidemment une histoire un peu déprimante. Mais si l’on considère ce qui permet de la mettre en scène, à savoir ce rythme en même temps lénifiant et dynamique, cette photographie qui flatte très souvent la rétine et cette bande originale envoûtante, difficile de ne pas voir en Confessions le chef-d’œuvre à l’heure actuelle de Nakashima.

8,5/10

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2 Commentaires

  1. Un film qui n’a pas eu la chance de sortir en France…
    Même pas en dvd/bluray…
    Triste au vue de la qualité…
    Juste dispo en vosta chez nos bon amis Anglais de chez Third window…

    • Oui, j’avais guetté une éventuelle sortie à l’époque, en vain.
      Le blu ray de Third Window rend totalement justice à la beauté plastique du film.

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