Tag (Sion Sono – 2015)

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Voyage dans la psyché d’une jeune fille. Etudes, amitiés, mariage, entrée dans la vie adulte, confrontation avec les hommes, rien n’est simple décidément et tout semble propice à alimenter les névroses et à tracer un destin bien sombre. Malgré tout, il semble exister une solution…

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リアル鬼ごっこ (Riaru Onigokko)

Tag est le genre de film qui me fait comprendre pourquoi je continue de suivre avec attention la carrière inégale de Sion Sono. Stupéfait au bout de cinq minutes, envoûté après vingt, définitivement abasourdi à la fin par ce que je venais de voir, je retrouvais les sensations qui m’avaient transporté lors de ma découverte de Love Exposure ou de Guilty of Romance. Très loin de la déception Why don’t you play in hell ? ou de la demi-satisfaction de Tokyo Tribe, Tag me semble s’imposer comme une pure réussite et la preuve de la facilité du réalisateur à enquiller les projets en une année (pour rappel, sept pour l’année 2015 !) et à sortir malgré tout une œuvre marquante, riche, profonde, appelant des revisionnages et des passerelles avec ses autres films.

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Cette donzelle vous fait penser à un certain personnage de Love Exposure ? Ça me semble normal.

Impossible pour moi de continuer à dauber sur sa prolixité frôlant la démence. Ou plutôt, oui, posons pour établi que ce type est fou mais que sa folie débouche sur une création terriblement grisante pour le spectateur. On aura compris que l’article du jour sera dithyrambique même s’il sa gardera bien d’entrer à fond dans les détails pour essayer d’expliquer pourquoi je suis très enthousiaste. Ce serait un peu comme présenter à chaud et de manière approfondie des films comme Mulholland Drive ou Lost Highway. Il faut un peu de recul et je n’en ai guère concernant Tag (un deuxième visionnage va s’imposer dans les semaines à venir), et il y aurait de quoi tuer tout mystère et éventer le plaisir de la découverte. Car si vous pensiez en voyant la B-A que le film allait se limiter à une sorte de jeu de massacre à la Battle Royale :

… dites-vous bien qu’on est loin, très loin d’une histoire uniquement limitée à cela. Des lycéennes et des femmes vont effectivement se faire dézinguer. Le sang va couler encore plus fort que dans Why Don’t You ? Mais cette violence frénétique et très graphique n’est qu’un ingrédient du stupéfiant voyage que Sono nous concocte pour explorer les moindres recoins de l’inconscient de l’héroïne du film, tour à tour appelée Mitsuko, Keiko et Izumi.

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La sportive, la lycéenne et la mariée, trois rôles, un personnage.

On voit assez combien elle apparaît comme un condensé de l’héroïne sonoienne puisqu’il s’agit de prénoms de personnages aperçus dans d’autres de ses films. Keiko renvoie à Keiko desu kedo, Izumi à Guilty of Romance, Mitsuko à deux personnages présents dans GoR et Strange Circus. Autant de personnages féminins torturés et en butte à la solitude ou à une société masculine avide de sexe. Bref Tag n’apporte pas forcément quelque chose de nouveau si ce n’est une radicalité dans la représentation de ces angoisses intérieures féminines. Durant 90% du film, on ne verra ainsi que des actrices, les hommes n’apparaissant que durant une dizaine de minutes dans deux scènes cruciales et dont l’une évoque fortement par son esthétique l’univers clinquant et testostéroné de Tokyo Tribe.

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Néanmoins, mêmes absents les hommes sont présents à travers certains objets incongrus. Ici un matelas et deux oreillers en pleine forêt. Une scène à la fin réactivera la portée de ce détail en apparence anodin.

Dans l’univers mental de Keiko, l’homme n’est pour l’instant pas à envisager. Toute à l’écriture de poèmes dans le bus qui doit la mener avec ses amies à un voyage scolaire :

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Keiko double de Sono ? On rappelle que le réalisateur a publié des poèmes alors qu’il était lycéen. Prélude artistique qui, comme pour Keiko, va être suivi d’un déchaînement de visions sombres et dépressives.

… Keiko semble être un personnage éthéré tout droit venu d’un de ces shojos mangas sirupeux. Si les scènes d’amitiés, de confessions entre lycéennes en soquettes blanches vous révulsent, vous allez peut-être morfler. Car des scènes de ce type, on en a, et pas qu’un peu ! Mais il serait dommage de s’en agacer sans s’apercevoir comment Sono joue de ces stéréotypes, les rend irréels en usant d’une certaine frénésie du jeu des actrices, en faisant virevolter autour d’elles une caméra montée sur un drone, en les accompagnant de la belle musique du groupe instrumental MONO, ou encore en livrant de magnifiques gros plans :

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… plans qui m’ont fait penser à l’ouverture de Blue Velvet, avec sa présentation d’un univers tellement « beau » et lisse qu’il en devient inquiétant, car cachant quelque chose de plus torturé. Tout semble rassurant pour Keiko, mais en même temps tout est désespérément plat, creux, car suivant des jalons sans surprises. Amitiés lycéennes :

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Mariage à l’église :

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Là aussi, impossible de ne pas penser à la « Maria » de Love Exposure.

Amitié et dépassement de soi par le sport (ou tout simplement la compétition qui va rythmer l’âge adulte) :

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C’est un « réel » de manga pour filles qui l’attend, un réel sans consistance et cette perspective va l’amener à sentir inconsciemment que cela ne va pas. La confrontation entre souhait stéréotypé et crainte d’une vie sans relief va être le point de départ du voyage initiatique au fin fond de sa psyché. Sa représentation apaisée va rapidement craquer, se fissurer puis exploser en une multitude de scènes choquantes que la B-A se garde bien de dévoiler intégralement.

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Mais pourquoi diable crie-t-elle ? Chut ! vous verrez bien.

Finis les fights virils de Tokyo Tribe, on va de nouveau avoir droit à des combats, mais cette fois-ci asséné par des mains plus féminines. Le résultats sera nettement plus terrifiant tant la femme est chez Sono le point névralgique de toutes les névroses.

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Ne vous fiez pas aux apparences, la scène va être peu avenante.

Après, malgré les horreurs montrées à l’écran et la vision déprimante de la condition féminine, le film n’est pas sans offrir une lueur d’espoir. Que cette lueur soit exprimée par Jun, la jeune fille au doigt d’honneur évoquant la Maria de Love Exposure – LE personnage lumineux de la filmographie sonïenne, celui offrant une rédemption totale au personnage de Yu – n’est pas un hasard. En gros, le film rejoint le message final de Battle Royale, à savoir « cours ! ». Keiko est souvent montrée en train de courir, mais c’est toujours pour fuir la réalité. En fait, ce qu’il faut selon Jun, c’est fuir ce pour quoi on nous prédestine (études, mariage, compétition…). Comment ? En piégeant la destinée, c’est-à-dire en agissant de manière imprévue, en totale contradiction avec sa propre personnalité.

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Jun donne d’ailleurs un bel exemple de « geste imprévu ». Une fois encore, Love Exposure spirit.

Le film se veut donc comme un éloge de l’action spontanée, seul moyen d’échapper à un sordide destin de femme vouée à assouvir les plaisirs de l’homme, véritable magister ludi (vous verrez pourquoi). Le message est positif donc, même si, même si… tout n’est au final pas si simple au visionnage des ultimes scènes qui effectuent un dernier renvoi à une autre oeuvre de la filmographie de Sono. On se gardera bien de révéler son titre pour ne pas décourager ceux qui se sentiraient ragaillardis par ce dernier paragraphe et qui auraient envie de tenter l’aventure de ce Tag. Après, dans cet univers constellé de symboles, on peut sans doute se permettre de ne pas interpréter littéralement ce qu’effectue l’héroïne. Sono restera en tout cas énigmatique sur le sujet en terminant son film avec un générique sur un fond blanc dont il est difficile de déterminer la portée optimiste ou ironique. Une chose est sûre : Sono à 53 balais est loin d’être artistiquement mort. Vivement la suite.

9/10

Lien pour marque-pages : Permaliens.

9 Commentaires

  1. Ça donne très envie tout ça !

    • J’espère que cette remarque ne concerne pas que le dernier screenshot !

      • Héhéhé, ça fait partie du tout !

        Sinon, enfin vu ce fameux Tag.

        J’ai trouvé le film très ennivrant sur ses deux tiers, mais au contraire d’autres avis, j’aurais apprécié que le délire ne soit pas justifié par cette idée d’univers parrallèle et de

        Spoiler Inside SelectShow

        Je trouve que justement, la puissante poésie et le système des trois filles fonctionnaient par eux-même, sans besoin de rajouter une couche de sens qui fait tâche à mon sens. Là où dans Love Exposure, pour ne citer que lui, c’est la poésie qui intervient dans un drame (ce qui est souvent la manière la plus utilisé), c’est ici un ersatz de drame qui se ramène avec ses gros doigts boudinés dans la poésie. Je pense que s’arrêter aux images symboliques (de l’homme par exemple avec la scène des loubards) aurait été pour le mieux.

        Sur le plan technique, je trouve qu’il y a un petit abus des plans aériens, même s’ils sont « personnifiés » (le vent) pour certains, d’autres, joints à la musique, me font penser à des clips de Linkin Park (je crois que je suis méchant).

        Mais mis à part ces bémols là, le film est vraiment très bien, et j’adore toujours comment Sion fait régler à ses personnages leurs problèmes existentiels. Le casting est toujours aussi parfait, et la mise en scène s’est nettement améliorée vis à vis des derniers films que j’avais pu voir de lui. J’aime beaucoup le propos, et j’aime quand Sono SIon écrit des personnages féminins.

        • Je crois que ma balise spoiler est complètement nulle. :/

          • J’ai rectifié la balise 😉

            sinon oui, c’est vrai que l’explication des mondes parallèles et du « bip » n’apporte pas grand chose.

            Spoiler Inside SelectShow

            Pour les mondes parallèles en revanche, je m’en suis très vite détaché. Je l’ai vu comme une bouée explicative à destination du pauvre ère qui serait perdu dans la forêt de symbole.

            Et oui, dès qu’il y a des personnages féminins, Sono s’en sort tout de suite mieux. Cela dit pas sûr qu’ils soient aussi fouillés dans sa version cinéma de Minna Esper dayo. Ce qui sera profond chez eux risque fort d’être surtout en rapport avec les vertigineux décolletés :

  2. Effectivement une bonne surprise… Pourtant, à la découverte de la bande-annonce, je n’avais pas parié sur celui-là parmi tous ses projets 2015.

    • Idem. La B-A apparaît du coup bien idiote et mensongère. Possible que ceux qui sont allés le voir la bave aux lèvres en espérant trouver un Battle Royale puissance 10 aient finalement trouvé le temps long. Pour moi c’est l’inverse, j’ai pas vu passer les 90 minutes. Film bien dosé d’ailleurs, au-delà c’était risquer la lassitude.

  3. Un film de filles avec jupette, mais ou les trouve-t-il ? avec une énergie débordante.
    J’en suis encore tout essoufflé, elles courent dans tous les sens.
    Une impression que tout par en roue libre au milieu, mais pas tant que ça pour finir.
    C’est vrai qu’il c’est lâché sur les plans aériens, cela renforce le côté rêve possible je trouve.
    Une blague à faire… Tu ne connais pas le cinéma japonais tiens regarde celui-là, rien que pour voir les réactions.
    N’empêche comme fumeur de moquette Sono s’impose haut la main, belle maitrise.

  4. « Une impression que tout par en roue libre au milieu »
    Pareil, j’ai eu un peu peur mais au bout du compte tout se tient.

    « C’est vrai qu’il s’est lâché sur les plans aériens »
    Là aussi, crainte que cela ne tourne au gimmick forcé mais je crois que passé le premier tiers avec les lycéennes, il ne l’utilise presque plus. Cohérent en tout cas par rapport à l’histoire et son contenu fantasmatique.

    « Un film de filles avec jupette »
    Si tu aimes le genre, je te conseille Prison School, un drama qui passe en ce moment au Japon. Pas réalisé par Sono mais franchement, ça aurait pu !
    https://www.youtube.com/watch?v=AIRCHBFTHcM

    « N’empêche comme fumeur de moquette Sono s’impose haut la main, belle maîtrise. »
    Indeed. Il y a encore deux ans j’étais parti pour l’enterrer mais là, énorme retour en force. Et ce que j’entends sur Love & Peace est plus que rassurant.

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