Gazon béni

 

Alors voilà, au début j’étais parti pour vous faire un article sur Kazuo Watanabe, professeur d’université spécialiste en littérature française, humaniste traducteur de Rabelais et d’Erasme (exercice qui l’a occupé durant la Seconde Guerre Mondiale) et membre du collège de pataphysique avec le grade de satrape (excusez du peu) :

En bref, un mec bien (c’est le Monsieur au milieu)

Et puis voilà, une idée en amenant une autre, mes recherches iconographiques sur le ouèbe ont peu à peu dévié et je me suis tout à coup souvenu de cette personne :

?!

Non, ce n’est pas la fille ou l’un des étudiante du bon professeur Watanabe. En fait il n’y a aucun rapport puisqu’il s’agit de Nagisa Shirai, danseuse contemporaine appartenant à la troupe d’Angelin Preljocaj, chorégraphe franco-albanais officiant actuellement à Aix-en-Provence.

Mais il me vient tout à coup comme des remords. Avez-vous vraiment envie d’entendre parler de cette créature ? Ne souhaitez-vous pas plutôt que je vous cause de la vie trépidente de vieux universitaires en costume ? Non ? Vous êtes sûrs ? Alors je continue.

Pour expliquer la présence de la danse contemporaine ce soir en ces pages, il faut vous dire que si les tutus et les entrechats des ballets classiques m’ont toujours fait périr d’ennui, l’inventivité et les audaces de la danse contemporaine ont quant à elles toujours su capter ma curiosité. Je n’y connais rien mais il suffit à chaque fois que je tombe par hasard sur un programme de ce genre (au hasard, sur Arte) pour que je me le mate jusqu’au bout. Dépouillés des fanfreluches et des contraintes du ballet traditionnel, les danseurs donnent alors à leur corps une palette de sentiments qui me surprend toujours. C’est un peu le cliché qui consiste à dire que leur corps est leur instrument mais dans leur cas, ce serait un instrument auquel on aurait viré la sourdine. Il devient alors sur scène tout-puissant et on se prendrait presque à oublier la musique qui l’accompagne, quand il y en a.

Dans le cas de ce spectacle de 2001 que je vis un soir sur Arte et dans lequel dansait Shirai, difficile de passer à côté de la musique puisqu’il s’agissait du Sacre du Printemps. Le Sacre et son histoire de glorification du printemps s’achevant sur le sacrifice d’une vierge. D’une manière générale, cette version reprend ce thème mais en y ajoutant aussi pas mal de différences notamment sur la fin où la vierge ne meurt pas et parvient à affirmer sa féminité. Sinon, le spectacle se voit comme une sorte de rêverie sur la sexualité. A ce petit jeu, ce sont les dames qui tirent les premières. Lors de la scène inaugurale, on voit Shirai qui s’avance devant six mâles en chemises colorées façon West Side Story, s’arrête devant eux, le dos tourné, avant de baisser sa petite culotte.

Le ton est donné : la relation amoureuse, ce sera pas vraiment comme Roméo et Juliette façon Prokofiev. Comme des petites chattes en chaleur, les 5 autres danseuses suivent Shirai et font aussi tomber la culotte, provoquant ainsi le réveil des six hommes qui ne vont pas tarder à être en rut. Suit alors une dans de la séduction où l’on a de cesse d’allumer pour mieux repousser. Evidemment la pression monte et les soupapes finissent par lâcher. Les pulsions masculines, ivres de désirs, s’emparent alors de leurs proies pour les mener sur un bout de gazon faisant office de lit de fortune dans un simulacre de coït qui a tout du viol.

L’acte consommé, les victimes se relèvent, éplorées et, petit à petit se remettent de leurs émotions avant de retourner auprès de leurs mâles comme si ce dépucelage initiatique n’était finalement qu’un obstacle pas assez fort contre la violence de leurs pulsions. La danse du désir reprend, plus aguicheuse et obscène que jamais :

Mais si les histoires d’amour finissent mal, il n’en va pas autrement des histoires de cul puisque le personnage de Shirai, après une scène où l’on voit les couples marcher tels des zombis, comme déjà lassés de leurs relations, se voit devenir la cible du petit groupe qui voit en elle sûrement un objet sexuel propre à relancer l’intérêt de leur libido collective :

On retrouve ici le thème originel du rite et de sa victime qui va être sacrifiée sur l’autel du printemps. Seulement, le sacrifice sera ici synonyme de viol plutôt que de mort. Les vêtements arrachés, Nagisa Shirai livre alors son corps de liane à une danse névrotique qui semble justement de n’avoir d’autre but que d’expurger de son corps la névrose du traumatisme qu’elle vient de subir. Voir un corps nu lors d’un spectacle de danse contemporaine n’a rien d’exceptionnel, mais difficile ici de nier à celui de Shirai une puissance plastique et émotionnelle particulière. Les côtes sayantes, couverte de sueur, la danseuse exerce les mêmes mouvements saccadées et totalement hypnotiques pour le spectateur, comme une obscure incantation à un Dieu païen pour la délivrer de sa souffrance ou plutôt, pour l’aider à surmonter ce passage dans un nouvel âge de sa vie. Le spectateur assistera à l’écclosion de ce dernier tout à la fin :

Enfin immobile, Shirai regarde droit devant elle, comme victorieuse, affirmant avec sérénité sa féminité aux jours nouveaux qui l’attendent.

*****

Même si vous n’y connaissez rien, peut-être est-ce l’occasion de réveiller le Nijinsky qui sommeille en vous en passant quarante minutes de votre existence devant cette belle version du Sacre.

Pour le prochain article, après la danse contemporaine je devrais parler de l’art de la pêche à la truite dans la région de Shikoku. Stay tuned.

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3 Commentaires

  1. Je vais encore passer pour un drôle de détraqué, mais j’avoue être un peu déçu que tu ne nous en aies pas plus dit sur la vie trépidante de ces vieux universitaires en costume.

  2. Il est vrai qu’en matière de vie universitaire trépidante, tu as sûrement dû avoir ta part 😉 J’espère juste qu’elle n’était pas en plus « détraquée », manquerait plus que ça !

Répondre à David @ OgijimaAnnuler la réponse.

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