Cry (Sakebigoe)
Hirobumi Watanabe – 2019
Pas forcément le film que je conseillerais pour découvrir la filmographie d’Hirobumi Watanabe. Jugez plutôt :
On suit le quotidien d’un éleveur de porcs (joué par Watanabe lui-même). Il se lève, se rend à pied à son travail, nourrit les bêtes, les abreuve, ramasse leurs excréments, fait une pause déjeuner, puis repart au travail avant de retourner chez lui. Là l’attend une vieille grand-mère mutique. Au monde des grognements porcins succède celui du silence.
Alors ceux qui ont aimé les expériences du type Jeanne Dielman apprécieront sans doute cette plongée dans un quotidien à la fois banal et monstrueux. Dans un noir et blanc plus contrasté que ses autres films, les images, associées aux cris assourdissants des porcs, ne cherchent en aucune façon à être aimables. Il y a un peu du Tetsuo de Tsukamoto. Pas de bitume et de câbles, mais de la terre, de la ferraille, des détritus. Et pas de machines, mais des êtres vivants qui hurlent leur humanité. Dans les deux cas, la moindre minute à un poids. Elle compte double, voire triple. Et ce qui est bon, c’est qu’une fois terminée la première journée, Watanabe enchaîne avec une deuxième, puis une troisième, etc. Et lorsque son personnage prend une pause bien méritée sur une esplanade à l’écart, on a cette fois-ci un insupportable bruit de vent claquant le micro de la caméra comme si l’esprit de cet éleveur, abruti par ses porcs, était devenu détraqué et amplifiait jusqu’à la nausée, comme une caisse de résonnance, les bruits de la nature qui, décidément, n’a rien d’édénique. Arrive le retour à la maison constitué à chaque fois de plans séquences où l’on voit Watanabe de dos, cette fois-ci accompagné par des notes de taikos rageurs avant que n’arrive le silence avec la vieille grand-mère (une habituée de la filmographie de Watanabe), silence qui, loin d’apaiser, donne surtout une effroyable impression de vide et d’absurde.
Donc vous êtes prévenus, voilà ce qui vous attend. J’ai regardé poliment la première journée, tout de même saisi par la rugosité de la photographie et de la bande son, mais pour ce qui est des autres journées, j’avoue avoir appuyé plusieurs fois sur une certaine touche de ma télécommande. Mais pour ceux qui auraient vu ce film sans cette possibilité, c’est-à-dire en salle obscure dans un festival, et qui auraient trouvé l’expérience incroyable, je veux bien les croire sur parole.
En fait, le film m’a donné l’impression d’être une réponse malicieuse à une scène lors du précédent film, Life Finds A Way, film semi-autobiographique (bien meilleure porte d’entrée pour découvrir Watanabe). Dans cette scène, le réalisateur découvre une lettre que lui envoie une spectatrice excédée, dégoûtée par ses films et qui lui conseille d’arrêter d’en faire, à moins qu’il ne parvienne à réaliser des films de la qualité… de ceux de Kore-eda ou de Miyazaki (rien que ça !). Le lettre est tellement conne qu’on se dit qu’elle sent le vécu, qu’il s’agit peut-être d’une véritable lettre que Watanabe aurait reçue. Dans tous les cas, Cry apparaît alors comme un vigoureux doigt d’honneur adressée à cette dame parce que là, la nature représentée n’est pas vraiment Miyazakesque.
Mais on pourrait aussi voir ce film comme la première partie d’un diptyque dont le deuxième film serait I’m Good, le lien étant une partie méta intervenant à la fin de Cry. S’échappant de sa porcherie et de son logis, l’éleveur se rend à un cinéma (là aussi, écho avec des scènes de Life Finds A Way) pour se changer les idées devant un film. Surprise, il s’agit de plans avec les enfants de I’m Good. Ce film aussi se veut la reconstitution d’un quotidien banal mais, comparé à celui de Cry, il n’aura rien de terrifiant puisqu’il s’agira de chanter la simplicité et l’innocence de l’enfance. À quoi pense l’éleveur quand il voit ces scènes qui ont tout d’un paradis perdu ? Il y a ici un discret discours social qui, en dépit de l’expérience exigeante (pour ne pas dire soûlante) que le film propose, donne envie de découvrir davantage cette filmographie décidément originale.
5/10