Revolution+1
Masao Adachi – 2022
Biopic semi-fictif sur Tetsuya Yamagami, l’homme qui assassiné Shinzo Abe le 8 juillet 2022, avec un fusil artisanal.
Certains tempéraments ne s’assagissent pas forcément avec l’âge. Prenez Masao Adachi qui, à 80 ans, juste après la mort d’Abe, s’empresse de réunir les fonds pour réaliser en huit jour ce Revolution +1 et, plus fort, parvient à faire diffuser dans une poignée de cinémas une première mouture de 50 minutes, le jour même des funérailles nationales du premier ministre, le 27 septembre. Manière de dire qu’à ses yeux, si Abe méritait un sentiment à sa mort, c’était davantage le mépris que la considération.
Et, au-delà du mépris, la rage, la haine, comme c’est le cas de Yamagami. Il faut dire qu’il avait ses raisons : ayant perdu son père dans son enfance, il s’est vu vivoter, en compagnie d’une sœur et d’un frère devenu borgne à cause d’un cancer, à cause d’une mère qui a cru bon de faire don de l’héritage paternelle à l’Église de l’Unification (alias la secte Moon). Des années à crever de faim, à subir des brimades et, après le lycée, à faire une croix sur des études supérieures pour trouver un travail valable. Du coup, sa rancœur n’a eu de cesse de croître, à la fois tournée vers les dirigeants de la secte et vers Shinzo Abe, coupable à ses yeux d’être déjà le petit-fils de Nobosuke Kishi, homme politique qui avait favorisé l’implantation de la secte au Japon, et d’avoir participé à la dangereuse prospérité de l’organisme, avec les conséquences désastreuses pour lui et sa famille. Et ce n’est pas qu’une vue de l’esprit puisqu’Abe avait reçu par des avocats de sérieuses mises en garde à propos de la secte, et ce dès 2007…
Le spectateur est donc plongé dans la psyché rageuse d’un homme pour lequel il serait bien difficile de ne pas se sentir un peu d’empathie. Jusqu’à quel point Adachi s’est-il documenté sur la vie de cet homme ? Difficile à dire. Qu’il ait fait une tentative de suicide, c’est avéré. Mais, lors de son séjour à l’hôpital, a-t-il rencontré une jolie jeune femme, elle aussi meurtrie par la secte Moon, avec laquelle il a chantonné Mirai wa Bokura no te no naka, hymne punk du groupe Blue Hearts (que l’on entend d’ailleurs dans le générique de la première saison de l’anime Kaiji) ? Rien n’est moins sûr, tout comme la restitution des retrouvailles avec sa sœur. Mais ce n’est pas vraiment grave. Ce qui compte, c’est d’essayer de comprendre ce terrible passage à l’acte. C’est finalement la même démarche de Wakamatsu avec son United Red Army et ses révolutionnaire psychotiques. La différence étant que dans URA, les personnages sont pour ainsi dire bouffé par leur groupuscule révolutionnaire qui, si l’on considère les séances de lavages de cerveau à coup de sokatsu, a tout d’une secte. Là, c’est un homme qui a de sérieuses raisons d’être révolté vis-à-vis d’une secte et d’un monde politique qui permet à cette dernière d’exister.
En une heure et quart, Adachi parvient sans problème à intéresser sur le cas de cet individu avec ce physique d’homme sans histoire. Et associé à ce titre énigmatique, il donne à songer sur ce que devrait être une révolution aux yeux du vieux réalisateur qui a fait partie de l’Armée rouge japonaise et a passé plusieurs années en prison. Ce +1 appelle-t-il un +2 ? Combien le Japon couve-t-il en son sein des électrons libres comme Yamagami ? C’est en tout cas, dans un pays donnant toute sa place au fameux dicton qui veut qu’un clou qui dépasse doit être martelé pour rentrer dans le rang, une conséquence aussi logique que radicale.
7/10