Une Fantine d’Okinawa

A Far Shore (遠いところ)

Masaaki Kudô – 2023

À Okinawa, Aoi, pas encore majeure, doit vivoter en cherchant à s’occuper de son fils en bas âge, Kengo, qu’elle a eu avec Masaya, bon à rien parasite qui la taxe volontiers pour s’enivrer le soir. Pour cela, elle fait l’hôtesse dans un club jusqu’au jour où une descente de police lui fait comprendre que cette solution n’est plus possible et qu’elle va devoir trouver autre chose…

Masaaki Kudô ne vous dit peut-être rien, et c’est bien normal. A Far Shore n’est que son troisième film, et les deux précédents ne sont pas connus. À signaler aussi qu’il a été en 2021 assistant réalisateur auprès de Sono pour son vain et pénible Prisoners of the Ghostland, avec Nicolas Cage. Heureusement, il semble avoir survécu à cette expérience car son A Far Shore est loin d’être un vilain film.

Alors oui, on est dans le film social à la Dardenne avec le portrait d’une jeune femme qui se débat dans une spirale de la lose. Pour les désagréments, on est servi : le métier d’hôtesse pas toujours facile, le gentil gosse à nourrir, le bon à rien de petit ami, les coups dans la gueule distribués par ce même petit ami, le poids du jugement moral des autres (ici symbolisé par la grand-mère d’Aoi), les services de protection de l’enfance qui débarquent, la drogue et enfin, le recours à la prostitution pour tenter de joindre les deux bouts. C’est donc un peu dark, un vrai épisode d’Ushijima mais pas non plus au point d’en être déprimant, d’être l’absolue antithèse d’un des derniers films de Kore-eda dans lesquels le réalisateur se fait le chantre des familles recomposées.

Car ici, le nœud de l’affaire est sans doute le lien qui unit une mère tapineuse avec son bambin. L’éternelle histoire de Fantine et Cosette sauf que cette fois-ci, Fantine ne meurt pas et reste agrippée à son gosse, refusant de le voir embarqué par les services sociaux. À quoi bon ? Pourrait-on se dire. Vu son état, elle ferait mieux de le lâcher. Oui, sauf que dans cette existence pesante, Kengo incarne sans doute la promesse un ailleurs autant temporel que spatial, un « far shore », un « rivage lointain » ou un « espace éloigné » pour reprendre la traduction exacte du titre japonais (Toi tokoro). C’est tout le propos de l’ultime scène du film dont l’ambivalence fait hésiter le spectateur entre une interprétation tragique, radicale, et une autre, plus optimiste à défaut d’être lumineuse.

Ma seule réserve viendrait du personnage d’Aoi (au passage joliment interprété par Kotone Hanase).  Qu’elle soit attachée à son gosse, pas de problème. Ce que l’on accepte plus difficilement, c’est son incapacité à couper définitivement les liens avec son petit ami qui n’en fout pas une rame, qui la vole et qui la bat alors que dans le premier quart d’heure, Aoi nous est présentée comme une jeune femme qui n’a rien de soumise. On arguera qu’elle s’attache à lui dans l’espérance qu’il y ait enfin une prise de conscience et qu’il se mette à bosser mais franchement, après la scène du méchant passage à tabac, ça semble plus qu’hasardeux.

Cette réserve mise à part, le film est plutôt une belle découverte qui donne envie de suivre la carrière de Kudô. Sinon j’ai évoqué les Dardenne, pas d’inquiétude si vous détestez le style : A Far Shore ne reprend pas les gimmicks de leur style documentaire.

7,5/10

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