Izumi Wakakuza est une ancienne actrice bien loin de ses glorieux succès. Vieillissante et le visage ravagé par une maladie de peau, elle trouve au moins un peu de réconfort dans l’éducation de Sakura, sa ravissante petite fille qu’elle a eue un jour lors d’une passade avec un inconnu. Mère poule quasi obsessionnelle, elle veille à ce que l’enfant n’ait pas le moindre problème de santé. Sakura s’écorche-t-elle le visage en tombant lors d’un jeu avec des camarades de classe que la mère devient aussitôt enragée ! En fait, la raison de ce comportement est à chercher ailleurs que dans le simple amour maternel. Son but est d’élever Sakura jusqu’à ce que sa boite crânienne soit suffisamment grande pour y virer le cerveau de sa fille, y transplanter le sien, et connaitre une nouvelle vie avec une beauté juvénile prometteuse pour plus tard. Au moment où commence Baptism, la taille du crâne de Sakura est presque à point…
Cela faisait bien longtemps que je m’étais pas plongé dans un manga de Kazuo Umezu. Le dernier – et d’ailleurs le seul – était l’Ecole emportée qui m’avait moi aussi emporté malgré un graphisme que je découvrais et avais trouvé déroutant. Ces visages shojo, ces bouches ouvertes marquées par des des trous noirs au bas du visage, ce dynamisme fait de raideur, tout cela ne m’avait guère incliné à penser qu’Umezu était un maître de dessin. Et pourtant, associé à ses atmosphères horrifiques, le trait faisait merveille et c’est de nouveau le cas avec ce Baptism. Car il faut parfois avoir le cœur bien accroché pour suivre d’abord le quotidien de Sakura puis celui de sa mère après l’opération chirurgicale (ce n’est pas vraiment un spoil, le changement de corps arrive dès le premier tome). Plongé dans ma lecture, je me suis rappelé de celle d’Anatomie de l’horreur, de Stephen King, notamment ce passage où il théorise les différences entre terreur (effrayer le lecteur en faisant appel à son imagination), horreur (l’effrayer en révélant ce qui cause la terreur) et révulsion (choquer en montrant des actes horribles). Umezu jongle parfaitement avec ces trois notions.
On sera clairement révulsé devant la scène de l’ouverture de crâne, de l’exctraction de son cerveau et du geste ahurissant que le chirurgien fou avec celui-ci.
On sera horrifié lors de cette scène durant laquelle Izumi – dont on sait alors quel est le sombre dessein – course dans la rue sa fille terrorisée et appelant à l’aide alors que les passants haussent les épaules, la prenant pour une folle. A cet instant, la lourde silhouette grotesque de sa mère, poursuivant sa fille comme une dératée, à tout de celle d’Annie Wilkes dans Misery.
Enfin on sera terrifié dans ces scènes de huis clos, que ce soit dans la première demeure d’Izumi ou dans sa deuxième (lorsqu’elle habitera le corps de sa fille, elle aura pour projet d’habiter auprès d’un homme qu’elle révère…). Maître dans l’art de composer des planches et des cases montrant la solitude et la fragilité d’un personnage perdu dans un lieu dont on sait que la menace peut jaillir de n’importe où et à chaque instant, Umezu excelle à faire cogiter le lecteur ce sur quoi il peut subitement tomber dans ce geste anodin qui consiste à tourner une page, mais qui s’avère en fait aussi dangereux que celui d’ouvrir une porte, pour les personnages.
Bref, on l’aura compris, avec Baptism on a son comptant d’émotions fortes, le coup de génie étant d’associer la menace à un personnage d’adorable fillette. On songe ici à la Mauvaise Graine (1956) de Mervyn LeRoy, à la différence qu’ici le lecteur sait de quoi il en retourne alors que le film joue durant tout un moment sur le doute. Dans Baptism, le lecteur a plusieurs longueurs d’avance sur les proche d’Izumi/Sakura car il sait ce qu’il y a dans la caboche de la fillette. Et ce n’est pas un inconvénient car cela ne sera pas sans distiller dans l’esprit du lecteur, après la révulsion, l’horreur et la terreur, une quatrime émotion : la rage impuissante, celle de voir que les proches tombent tous dans le panneau et ne prennent même pas au sérieux les éventuels esprits sagaces qui auraient compris que quelque chose chez cette petite fille pas comme les autres ou du moins plus comme auparavant.
En quatre tomes très resserrés, Baptism livre une histoire horrifique qu’il faut absolument se procurer si l’on est amateur du genre. A placer dans sa mangathèque juste à côté d’une œuvre de Junji Ito, par exemple Tomie, grande sœur de Sakura dont la beauté cache aussi des abîmes de noirceur.