Unchain (Toshiaki Toyoda – 2000)

 

unchain poster

Sorti entre Pornostar (1998) et Blue Spring (2000) Unchain apparaît a priori comme une exception dans la filmographie de Toyoda. La raison en est simple, Unchain est un documentaire qui se propose de suivre sur quelques années la carrière de quatre boxeurs d’Osaka. Mais on aurait tort de s’arrêter sur l’opposition réalité/fiction tant nous allons voir que le film confirme le film précédent et annonce ceux qui vont suivre.

L’autre contraste viendrait aussi de son aspect moins achevé. Avec son fatras de photos, d’images d’archives et de scènes de combats parfois un peu longues, Unchain donne d’abord l’impression d’un film boiteux, imparfait, assurément le plus dispensable de la filmo du réalisateur. Ça sent la déglingue, se dit-on. Mais c’est aussi bien la limite (d’ailleurs pas si vraie que cela) que l’intérêt de ce film qui va suivre les pas d’êtres tout aussi déglingués, quatre losers à côté desquels Jake la Motta apparaît comme le Bill Gates de la boxe. Prêts à respirer à pleins poumons des effluves de sueur rance et de bière tiède ? Alors on y go.

7 matchs : 6 défaites, un nul. Tel est le fabuleux bilan de Kaji « unchain » Toshiro. Né en 1969 à Osaka, élevé par son oncle, il décide lors de ses 20 ans de pratiquer le noble art de la boxe. Tout partait sur de bonnes bases : une petite mèche sur le front, une envie d’en découdre et un surnom, « Unchain », emprunté à la chanson de Ray charles pour signifier sa volonté de rendre sa vie débridée, libre. Malheureusement, la dure réalité ne tardera pas à knockouter ses belles espérances. A la fin du septième match, une sale blessure à l’oeil est diagnostiquée et le contraint à abandonner la boxe.

 

On voit ici le lien que l’on pourrait faire avec un film comme Pornostar. A l’instar du héros de ce dernier, Kaji voit dans la violence – ici réglementée (« le seul sport où l’on peu tuer légalement » dixit Kaji) – un moyen d’expression pour donner un sens à une vie en butte à la société. Et ce sera le même motif dans Blue Spring qui relate une amitié entre deux lycéens, Kujo et Aoki, amitié qui se muera en haine lorsque les deux devront choisir à la fin du lycée une voie pour faire quelque chose de leur vie. Le premier, pourtant leader de leur bande, décidera d’abandonner la violence et d’entrer dans le moule, ou plutôt de jouer un minimum le jeu que lui propose le système éducatif. Le second refusera et préférera s’enterrer (au sens morbide du thème) dans une ttitude de voyou ultraviolent et antisocial.

Kujo et Aoki

Sur le sentier de la guerre, Aoki optera pour une coupe de cheveux bien particulière. Il en est de même pour Kaji, quoiqu’elle soit plus pacifique :

Son attitude dans la société sera cella d’un chien fou. Si Kurosawa n’avait pas déjà pris le titre de « Chien Enragé » pour l’un de ses films, nul doute qu’il aurait pu parfaitement faire l’affaire ici. Sans être aussi violent qu’Aoki, kaji apparaît comme un électron libre qui décide de faire ce qu’il veut et faisant foin des éventuelles contradictions. D’un côté on a le Kaji humaniste, prêt à aider le monde (il travaillera dans un centre pour enfants inadaptés), de l’autre s’acquittant de basses besognes parfois à la limite de la légalité pour vivre. Dans tous les cas, quoiqu’il fasse, ça pue la vrille. Une scène hallucinante nous le montre en train de faire le second sur le ring pour aider son pote Garuda. Assis sur les cordes, il gesticule, hurle, invective la foule, sa seule présence  apparaît comme une sorte de gigantesque doigt d’honneur à l’adversaire et au public. Une autre anecdote nous raconte que percuté un jour par un taxi qui ne s’était même pas arrêté pour voir s’il allait bien, il décida par la suite de poser systématiquement aux taximen la question de savoir si, dans le cas où ils renverseraient quelqu’un, ils s’arrêteraient ou poursuivraient leur route. Dans le cas où ils optaient pour la seconde, Kaji voyait rouge et labourait de coups à la fois le conducteur et sa caisse. Autre anecdote, moins grave mais tout aussi croustillante : lors d’un concert de punk, il crut bon de hurler : « le punk, ça pue ! ».

L’acmé de la déchéance de cet ange maudit étant une sombre histoire d’argent en rapport avec les yakuzas. En mode kamikaze, Kaji se recouvrit de peinture jaune, mit des armes de fortune dans un sac et sortit ainsi dans les rues, prêt à faire un raid meurtrier sans retour contre les mafieux. On a ici une thématique du point de non retour, point que choisissent allégrement certains personnages de Toyoda d’atteindre (le héros de Pornostar, Aoki dans Blue Spring, Kaneko dans 9 Souls) et que d’autres sont sur le point de franchir (la mère dans Kuchu Teien, lors de la scène du restaurant). Physiquement, il en sortira indemne. Psychologiquement, il sera mûr pour un séjour de plusieurs années dans un asile psychiatrique. Fin du premier acte.

« Je t’aime princesse Masako. J’adorerais éjaculer sur ton visage. Si cela n’est pas respectueux envers l’Empereur, trouve-moi un autre pays. » Kaji, époque animateur d’émission de radio.

Durant cette première partie, des témoignages des trois potes de Kaji (Garuda, Nishibayashi et Nagaishi) livrent au spectateur des anecdotes sur Kaji, donnant l’impression que le film va être consacré exclusivement à cet être torturé. Et pourtant, il n’en sera rien puisque cette deuxième partie va s’attarder sur le sort de ces combattants pendant que leur copain moisira dans un asile. Et là, la réalité sera aussi douloureuse. Pas de frasques en dehors du ring, mais ce qui se passe à l’intérieur est moins séduisant. En ne montrant que des défaites, Toyoda souligne que la faillite de Kaji est relative. En fait, le monde semble rempli de losers potentiels. Seul Nagaishi, qui épouse l’ex de Kaji lorsque celui-ci va dans son asile, fait figure d’exception en montrant un verni de réussite. Il représente finalement le versant positif de la famille dans l’oeuvre de Toyoda. Dans celle-ci, la famille est bien souvent absente (Pornostar, certains personnages de Blue Spring) ou complètement vrille (celle de Kaneko dans 9 Souls et surtout celle de Kuchu Teien). Mais elle peut aussi avoir de bons côtés, être finalement une sorte de valeur sûre, de pis aller pour trouver un point d’appui dans l’existence. Ainsi la même famille dans Kuchu Teien qui se retrouvera après avoir explosé (à moins que la scène finale ne soit qu’un fantasme du personnage de la mère), et ainsi, donc, celle de Nagaishi.

Home Sweet Home

Arrive l’année 1995 (date à laquelle Toyoda a commencé à filmer pour ce film) et avec elle Kaji sortant frais comme un gardon de son asile :

C’est l’ultime partie du film. Comme Kaji ne peut plus utiliser la violence comme un moyen d’expression, un acte purificateur afin de sentir bien dans la société, il ne lui reste plus qu’à pointer dans les établissements de travail intérimaire pour essayer de se ranger. Kaji apparaît apaisé, totalement ordinaire. Il y a bien quelques pitreries dans un jardin d’enfant, mais rien de bien méchant. En fait, le personnage apparaît cassé, vidé de tout ce qui faisait sa rage, sa fantaisie et partant, sa raison d’être. L’évasion n’est plus possible. Son évasion et celle de son « âme ». Ce mot est cité deux fois lorsqu’il explique qu’ « âme » était auparavant une sorte de mot de passe qui résumait parfaitement sa manière de vivre à lui et ses potes autrefois. Il ajoute aussi que le frisson ressenti sur le ring lui apportait une sorte de « liberté de l’âme ». Difficile ici de ne pas faire le lien avec 9 Souls dont les neuf personnages s’évadent au sens premier du terme (ce sont des bagnards qui se font la malle) comme au sens figuré (leur fuite n’est qu’une longue évasion dans laquelle ils vont essayer individuellement de se libérer de leur état de prisonnier pour faire quelque chose de leur vie). Comme pour ces neuf personnages, l’ « évasion » de l’asile s’achèvera sur une faillite. Il ne reste plus qu’à Kaji de regarder son pote Garuda sur le ring lors d’un énième pitoyable baroud d’honneur, en pensant au brio échevelé de leur prestations d’antan, garuda en boxeur, lui en second fantasque :

Malgré quelques coups bien envoyés, Garuda en prend un peu plein la gueule. Toyoda n’ira pas jusqu’à la fin du match, laissant le spectateur douter un temps de l’issue du combat… avant que ne retentisse une voix d’outre-tombe, celle du Kaji malicieux fouteur de merde d’antan, qui balance à son ami un piquant « Garuda, pourquoi ne m’as-tu pas accompagné dans mon raid ? ».

Quitte à briller, quitte à être sous les feux des projecteurs, autant que cela soit en se balançant un pot de peinture jaune à la gueule pour aller casser du yak plutôt que d’aller chercher sur le ring des victoires qui n’arrivent pas. Le panache, brûler la chandelle par les deux bouts, voilà ce qui caractérisait Kaji et qui ne caractérisera jamais un Nigaishi. Toyoda ne prendra à vrai dire pas plus position pour l’un que pour l’autre. Demeure tout de même un sentiment, au terme de ce film faussement foutraque, que l’on retrouvera chez beaucoup de personnages de ses films à venir : la nostalgie, qu’elle ait à partie liée avec l’élan de la jeunesse ou d’un certain âge d’or de la famille. Unchain, c’est un peu la version boxe de Vingt Ans après ou du Vicomte de Bragelonne. On a 4 vieux mousquetaires qui autrefois faisaient feu de tout bois. Ne restent plus maintenant que les souvenirs et les vieilles casaques remisées au placard.

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2 Commentaires

  1. Un article qui me donne envie de voir ce film qui traîne depuis trop longtemps sur mon disque dur… J’aime énormément le cinéma de Toyoda et je serais curieux de connaître vos impressions sur « The Blood of Rebirth ». Pour un prochain article, peut-être.

  2. The Blood of Rebirth est le seul de Toyoda que je n’ai pas (encore) vu. L’aspect médiéval de la chose m’a moins intéressé, sans doute à tort, j’essaierai de me faire violence pour le voir.

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