Rififi à Tokyo (Jacques Deray – 1963)

RIFIFI A TOKYO2

À l’opposé d’un Stopover Tokyo qui va jouer la carte de l’exotisme stéréotypé, il y a sûrement ce Rififi à Tokyo, excellent film noir d’un Jacque Deray encore au début de sa carrière (1), énième film arborant dans son titre le terme rififi (2) et de ce fait quelque peu englué dans une certaine confidentialité. Heureusement, il y a Bulles de Japon qui va réparer céans cette cruelle injustice car franchement, ce rififi-là, y’a bon !

Miam !

Le film surprend d’emblée par son casting international. A tout seigneur tout honneur, citons d’abord le grand Charles Vanel :

Yo les kids !

… jouant dans ce film Van Hekken, un gangster désireux de faire un dernier casse avant de prendre sa retraite. Topos bien connu, déjà vu dans de grands films tels que the Killing (Kubrick), Mélodie en sous-sol (Verneuil) ou Touchez pas au grisbi (Becker). On sait d’emblée que ça finira mal et de fait, ça finira mal. Qu’importe, l’intérêt pour le spectateur est de savoir quel va être le grain de sable qui enrayera la belle mécanique et amènera la catastrophe. Nous ne sommes pas devant un énième épisode vide à souhait d’Ocean eleven : dans ces vieux films de casse, il n’y a pas toujours une grande cohésion dans les malfrats, ou tout du moins il y a parmi eux un canard boiteux avec un talon d’Achille qui va tout faire capoter.

Bref, il y a Vanel et, sans être l’égal d’un Gabin, il y a toujours un certain plaisir à voir cette gueule de demi-mondain un peu trouble proférer un « on n’augmente jamais celui qui garde l’argent des autres. Précaution : de peur qu’il se mette à aimer l’argent lui aussi ». Une gueule, une classe naturelle, on n’en demande pas plus dans un film de genre pour rendre attrayant un chef de malfrats.

Pour son plan qui consiste à pénétrer dans la banque du Japon pour mettre la main sur un diamant mahousse, Van Hekke fait appel à Mérigné, un ingénieur français en électronique, joué par l’acteur franco-ukrainien Michel Vitold :

Vitold est de ces acteurs tout terrain qui, du théâtre au cinéma en passant par les séries télévisées, ont montré leur bobine et leur talent à travers une pléthore d’œuvres, qu’elles soit populaires (les Brigades du Tigre) ou plus « littéraires » (Huis Clos). De ces acteurs qui donnaient l’impression au spectateur d’une immédiate familiarité.

Ce Mérigné  que l’on sent un peu fragile n’arrive pas au Japon qu’avec sa grosse tronche et ses appareils ultra sophistiqués capables de dissociation moléculaire sur les portes blindées. Monsieur est accompagné, et pas de n’importe qui :

de sa femme, Françoise.

Vous aurez bien évidemment reconnu l’actrice polonaise Barbara Lass. Bon, il faut le reconnaître, cette jolie jeune femme n’a pas eu de grands coups d’éclats dans sa carrière. Le fait qu’elle fut à un moment l’épouse de Polanski aurait pu lui donner un coup de pouce mais non, Roman préféra « tâter » Sharon (minable ce calembour)

Bon, Roman, tu avoueras que c’est quand même mieux qu’une ado shootée sur le bord d’une piscine, non ?

Évidemment, dans un film noir, comme dans la vraie vie, qui dit femme dit bordel potentiel. Sans que ce soit totalement vrai, il y a un peu de ça puisque son personnage, Françoise, arrive alors que ce n’était pas prévue, n’est évidemment pas tenu au courant des activités de son mari et s’éprend par dessus le marché d’un autre membre (façon de parler) de l’équipe  : Carl Mersen, joué par l’autrichien Karl-Heinz Böhm (3).

A ne pas confondre avec Karl-Heinz Rummenigge, Allemand et de plus sinistre mémoire celui-là

À l’époque, le visage de Böhm est bien connu pour avoir prêté ses traits au personnage de l’empereur dans la série des Sissi. Plus intéressant, il joua le rôle du voyeur solitaire dans Peeping Tom de Michael Powell. Dans Rififi, il incarne un rescapé de la guerre de Corée. Son personnage semble pétri de calme et d’élégance. En somme un élément rassurant, même si son enrôlement dans l’équipe vient dans des circonstances qui ne le sont pas : Van Hekken fait appel à ses services en remplacement de Riquet, aventurier français abattu par les hommes de Kan, yakuza veillant jalousement à ses intérêts, n’hésitant pas à malmener les concurrents qui par des activités peu discrètes risqueraient d’attirer l’attention des poulets sur les siennes. Mersen acceptera l’offre de Van Hekken en partie pour le venger.

On peut se demander de l’effet d’un Böhm, avec sa petite gueule de bogoss, dans le rôle d’un malfrat.

Evidemment, sur ce plan, ça a l’air un peu mal barré.

S’il n’y a pas le charisme, la beauté fauve d’un Delon jeune, sa présence fonctionne somme toute assez bien, tout comme les scènes où on le voit faire le coup de poing. Il aura de quoi faire car la bisbille avec le clan de quoi offre une intrigue secondaire qui ne contribue pas peu à faire grincer la machine imaginée par Van Hekken.

Terminons avec les acteurs Japonais. Dans le rôle de Kan on retrouve Masao Oda, acteur spécialisé dans les rôles secondaires et qui a joué entre autres chez Ozu, Kurosawa, Naruse et Yoshida :

Eh ouais ! La classe hein ?

Mais c’est surtout cette jeune femme qui nous intéressera :

Cadotch’ pour les collectionneurs d’images vintage du Japon. Clique dessus, les dimensions de l’image sont sympa.

Cette belle plante est Keiko Kishi, connue chez nous pour avoir joué chez nous dans Qui êtes-vous monsieur Sorge ?, Typhon sur Nagasaki et même un épisode de Tanguy et Laverdure dont je parlerai peut-être un jour. Côté Japon, elle a notamment joué chez Naruse et Ichikawa. Dans Rififi à Tokyo, elle tient le rôle d’Asami, hôtesse dans un bar dont la maîtrise du français fait d’elle une précieuse complice pour le casse, d’autant que son frère Itoshi, lui aussi complice, est employé dans la banque en question. Problème : Asami est la maîtresse de Mersen et ne tarde pas à savoir sa relation avec Françoise. Sa jalousie va évidemment compliquer les préparatifs…

Voilà pour l’histoire dans les grandes lignes. Simple mais efficace, portée en tout cas par ce savoir-faire indéniable du cinéma français « de papa » quand il est question de mettre en scène une histoire peuplée de truands (on peut remercier Becker et son Touchez pas au grisbi, véritable œuvre matricielle du genre).

Il n’y a certes pas la sophistication d’un Melville (le Doulos est sorti une année plus tôt) mais le film tient bigrement la route par sa façon d’entrelacer 3 lignes narratives : celles des préparatifs et de la réalisation du casse, celle de l’évolution des rolmances avec Françoise et Asami, et celle de la gestion de la situation avec le gang de Kan, situation qui ne tarde pas à dégénérer. Tout cela s’enchaîne adroitement, avec à chaque fois un fil conducteur : le Japon. Il est omniprésent et sans artifices. Pas question comme Stopover à Tokyo de le montrer sous un carton pâte de carte postale. Le film reprend cette caractéristique du polar qui s’attache à une représentation sociale empreinte de réalisme. Les personnages venus pour affaire n’ont cure du tourisme, aussi Tokyo est-il montré au gré de leurs activités, et ce n’est pas un Tokyo qui devait être évoqué dans le guide du routard de l’époque. Tout au plus quelques virées resto chicos ou cabaret pour se détendre, mais c’est tout. C’est le Japon des petites rues, des salles de go enfumées, des épiceries familiales et des restos populaires. On a réellement l’impression d’y être, impression accentuée par la quasi absence de musique au bénéfice des bruits de la rue. On y est mais nul sentiment d’inquiétude ou de perdition ; comme pour les gangsters, c’est un peu comme si l’on glissait sur cet environnement, tendus que nous sommes par le but que se proposent d’atteindre les personnages. Ceux-ci gèrent la situation. Pourquoi s’inquiéter ? Ils ont des autochtones en la personne d’Asami et de son frère, et Mersen, familier de la vie japonaise, pratique assez bien la langue.

Pourtant, les béquilles semblent bien frêles et il suffit d’un rien pour que l’édifice vacille dans cet environnement. Deux scènes distillent comme un malaise : celle où Van Hekken se fait accrocher malencontreusement par un véhicule alors qu’il traversait une rue. « Vous pouvez me dire ce que vous voulez en japonais, je ne comprends rien !  » dit-il furibard au policier venu voir s’il allait bien (4). Il s’en sort avec des politesses du conducteur et de l’agent, mais cela aurait pu se terminer au poste. L’autre scène concerne Mérigné qui, sous le coup d’un réglement de compte meurtrier entre les hommes de Kan et ceux de la bande à Van Hekken, erre au hasard, totalement perdu, happé, magnétisé par les rues surpeuplées. Lui, l’ingénieur expert en électronique supposé tout maitriser ne maîtrise plus rien. L’homme supposé ouvrir des portes blindées et rien que ça se met à jouer les filles de l’air dans un environnement labyrinthique dont il ne connaît pas les arcanes. Son retour aux bercailles sain et sauf aura tout du petit miracle.

Mais malgré les pertes, le casse aura bien lieu. Le nouveau labyrinthe qui s’ouvre devant les trois hommes offre un saisissant contraste avec ce qui précédait : aux rues sinueuses, bordéliques, truffées de signes répondent les corridors rectilignes aseptisés de la banque. Finalement, après qu’ils aient survécu à Tokyo et ses dangers, qu’ils soient sentimentaux ou liés à la pègre locale, on se dit que cette nouvelle épreuve devrait bien se passer. Mais on assiste alors à un retour ironique des choses. Mérigné fait véritablement merveille avec son armada d’appareils hi-tech. On croit la partie gagnée, et d’une certaine manière elle l’est puisque le diamant est en leur possession. Mais c’est alors que Van Hekken oublie un peu vite que la technologie n’est pas tant du côté de Mérigné mais de ce pays qu’il s’est acharné à ignorer tout le long de son jour, obnubilé qu’il était par son casse (« tu ne vois donc pas qu’il est fou! » dira Mérigné à Mersen en parlant de leur chef, décidé malgré des pertes humaines à poursuivre le casse coûte que coûte). Sans livrer les ultimes rebondissements, le piège se referme, souligné lors d’un plan par un effet d’ombres qui évoquent une toile d’araignée. Il y aura à la fin deux rescapés. L’un aura tout perdu. L’autre n’aura rien gagné mais sa déambulation dans un Tokyo aux aurores rappellera au spectateur que le piège tokyoïte n’a peut-être pas été totalement désamorcé…

Bonne nouvelle, cet excellent film noir est disponible en DVD dans nos contrées chez Opening, et ce pour une poignées d’euros. n’hésitez pas, Rififi à Tokyo est de ces films qui font regretter qu’il n’y ait pas eu plus de réalisateurs français qui se soient aventurés au japon.

(1) Rappelons quelques films de Deray : la Piscine, Borsalino, Flic Story.

(2) Mot inventé par l’écrivain Auguste Le Breton et largement utilisé dans les titres de ses romans. Les films dont il fut le scénariste ou le dialoguiste reprirent souvent le procédé notamment du rififi chez les hommes, chef d’oeuvre du genre de l’américain Jules Dassin. C’est aussi ici le cas puisque Le Breton a participé au film.

(3) Fils de Karl Böhm, le grand chef d’orchestre. Je reconnais qu’on s’en fout un peu mais comme il est l’interprète de la version d’Also Sprach Zarathoustra en ouverture de 2001 et que j’ai tendance à fétichiser ce film, difficile de me retenir.

(4) Détail important : l’absence systématique de sous-titres lors des passages en japonais. Le procédé est somme toute assez courant pour donner une touche d’exotisme. Mais là où Deray fait fort, c’est qu’il ne s’agit pas de deux-trois répliques. Il s’agit de scènes avec de véritables échanges et dont l’enjeu est soit crucial (Mersen qui va voir Kan à une salle de jeu de go pour lui faire comprendre que ce serait bien qu’il se calme), soit intimiste (scène matinal chez la famille d’Asami). Personnellement, j’ai eu la curiosité de voir ce film avec en parallèle des sous-titres anglais pour voir de quoi il en retournait. Mais j’imagine que sans eux, l’exotisme doit se teinter d’une impression d’être mis à l’écart, de se sentir définitivement étranger, un peu perdu, comme c’est le cas ici avec Van Hekken. Subsiste un doute : le film est-il réellement sorti à l’époque sans sous-titres ? J’ai un peu peine mais dans ce cas, comment expliquer qu’ils n’aient pas été brûlés sur la pellicule ?

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8 Commentaires

  1. Je crois bien n’avoir jamais entendu parler de ce film avant mais ça donne envie en tout cas… Mais petite question ; qu’en est il des réalisateurs Japonnais en France ? Où alors la question à déjà été abordée ?

    • Non, la question n’a pas vraiment été abordée, ou alors juste à travers ce film. Mais tu fais bien de la poser car pour le coup je m’interroge, je n’ai pas l’impression qu’il y ait pléthore de films japonais qui ont été tournés en France. Yuki & Nina, la dernière – dispensable – adaptation du drama Nodame Cantabile qui se déroule à Paris, à part ces deux-là j’avoue que je sèche. Piste à creuser en tout cas.
      Merci pour la suggestion et bienvenue dans ce capharnaüm de blog.

  2. En effet j’avais oublié Yuki et Nina (encore sur la pile des films à voir), il me semble me rappeler de quelques épisodes de « Lupin » à Paris… maigre récolte !

  3. L’animation a souvent utilisé Paris en tant que background pour des épisodes d’anime, avec souvent une bonne grosse de clichés. Je me rappelle d’un épisode de Yakitate qui faisait passer n’importe quel Français de base pour un pickpocket en herbe !
    Sinon, deux autres références me reviennent en tête : Les Liaisons Erotiques de ce bon vieux Wakamatsu :

    … et Kaseki de Masaki Kobayashi.

  4. Ce film est passé il y a presque 10 ans sur une chaîne satellitaire. Je me demande depuis s’il y a un lien entre son scénario et l’épisode similaire de la vie de feu Alfred Sirven…

  5. Bien vu ! Quand on voit les détails du fait divers, les coïncidences sont plus que troublantes: guerre de Corée, attaque de banque, équipe franco-japonaise, hôtesse japonaise. Ah ! le flic voyeur n’en est pas une mais j’aime bien son intervention qui donne lieu à un concours de circonstance où tout s’écroule comme dans tout bon film noir. Du vrai cinéma cette histoire.
    Merci pour ce judicieux rapprochement et bienvenue en ces pages.

  6. Merci pour le lien. Je ne connaissais du fait divers que la motivation féminine de Sirven, mais avec les détails que donne l’article, plus de doutes 😉

    Cordialement,

    A.

  7. Concernant l’absence de ST dans le film, c’est un choix totalement voulu et assumé par Deray qui souhaitait que le spectateur soit aussi désorienté que le personnage de Vanel.

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