Des Japonais chez les Belges #2 : Tif et Tondu

Pour ce deuxième numéro des « japonais chez les Belges », évoquons aujourd’hui deux des plus grandes gloires de la BD franco-belge policière, je veux bien sûr parler de…

VIF et TENDU !

Euh… attendez, je me croyais sur Drink Cold, on la refait : évoquons donc aujourd’hui les fabuleux…

… et ce à travers leur unique aventure se passant au Japon, le Fantôme du samouraï. Histoire de 22 planches apparaissant dans le 34ème album (paru en 1986), elle fut en réalité réalisée en 1958, durant la période « Rosy ». Le dessinateur, Will (Willy Maltaite de son vrai nom),  a toujours délégué le scénario à des collègues de Spirou. On a coutume de considérer que la collaboration avec Tilleux (auteur de Gil Jourdan) est la meilleure, notamment grâce à quelques histoires à l’atmosphère policière tout à fait prenante. Mais cela ne doit rien enlever aux histoires de Rosy qui, conjuguées au graphisme alors un brin naïf de Will (mais déjà bien maîtrisé), possèdent une appréciable fraîcheur surannée. Enquêtes, méchants, bagarres, tiercé gagnant qui a largement fait ses preuves chez le lecteur de Spirou. En revanche, pour les personnages féminins, il faudra attendre la période Desberg.

Ah ! Les femmes altières de Will ! Profitez bien de cet exlibris, l’article sera assez sec en matière de bijins.

Le fantôme du Samouraï ne va pas faire exception au cahier des charges de Rosy. Avec cependant un petit plus pour nous : la représentation du Japon. Je ne vais pas dire qu’en 22 planche tous les stéréotypes y passent, mais c’est pas loin. Jugez plutôt :

Les paysages :


Pins parasols, tori, rizières, mont fuji à l’arrière-plan, petits ponts japonais, lanternes en pierre, le moins que l’on puisse dire est que Will n’a pas lésiné sur l’aspect couleur locale. Chaque route empruntée, même misérable, possède son petit cachet « carte postale ». C’est cliché mais on ne peut pas reprocher à l’excellent dessinateur de décors qu’était Will d’avoir ménagé ses efforts, même lorsqu’une ambiance nocturne lui en offrait la possibilité comme en témoigne cette jolie case :

Les intérieurs japonais :

Ikebana, tatamis, paravent, table basse, tasses pour boire le thé : là aussi, Will récite ses gammes dans un exotisme de carton pâte.

La politesse :

Qu’on se le dise, le Japonais est courtois.

Les arts martiaux :

Petit combo judo/Aïkido en trois cases.

Les vieilles légendes folkloriques :

Le samouraï, évidemment :

Le yakuza :

Les tremblements de terre :

Enfin, pure malice de ma part mais celle-ci me fait plaisir : le Japonais qui mate en plein boulot une revue de charme de type Heibon Punch :

Après un tel catalogue, on pourrait se dire que la lecture devient très vite insupportable. Mais ce serait oublier qu’elle s’adresse à des gamins des années 50 qui n’ont évidemment pas les moyens de voyager au-delà des plages françaises. D’où l’utilité de bandes dessinées qui offraient à pleines louches un exotisme de quatre sous mais qui faisaient voyager le lecteur. On est évidemment plus dans le voyage fantasmé que dans le récit de voyage, mais cela n’a aucune importance.

Par ailleurs, il faut reconnaître à Will un certain « sérieux » dans son approche. C’est cliché, oui, mais un cliché soigné qui évite la confusion avec d’autres pays asiatiques. Ses cases respirent le Japon, peut-être même parfois un peu trop, c’est tout le problème, mais on ne peut pas lui reprocher d’avoir abordé à la va vite le traitement graphique du cadre de l’histoire. Une case en particulier est assez révélatrice sur le sérieux du bonhomme :

La scène se passe juste après le tremblement de terre. Au premier plan, une jeune femme en kimono et arborant un chignon très geisha (autre stéréotype). À côté d’elle, une pancarte avec écrit, en japonais (colonne du milieu), « passage interdit ». Ça n’a l’air de rien, mais qu’un dessinateur de BD  (ou son scénariste d’ailleurs, j’avoue ne pas savoir qui est derrière ces kanji) s’enquiquine à l’époque à trouver les bons kanji pour créer une phrase que personne ne saura lire en dit long sur l’approche de Will finalement assez respectueuse envers son exotisme japonisant .

Le reste est en revanche beaucoup plus hasardeux :

On a bien des bribes de sens mais rien de bien cohérent. Japonais ? Chinois ? En fait une sorte de salmigondis des deux. Et quand on tombe sur cette case :

On se dit que Will en a peut-être eu  à un moment un peu ras la casquette de s’escrimer avec son dico français/chinois emprunté à la bibliothèque de son quartier. On ne lui en voudra pas. Cette histoire de trésor ancestral caché au fond du puits est somme toute agréable. Carton pâte, oui,  mais un carton pâte éminemment plus sympathique qu’un Tintin au Congo.

L’ultime case termine l’aventure avec classe : « lisez ce livre ». Comprenez : « lisez ce journal », « lisez Spirou » quoi !


Lien pour marque-pages : Permaliens.

7 Commentaires

  1. il n’y aurait pas 2 ou 3 détails, je serai presque tenté de croire que ça se passe en Chine.

    • Curieux, pour moi, aucune ambiguïté possible, on est au Japon. Mais eut-être est-ce parce que j’ai lu l’histoire dans son entier et que là, je n’ai livré que quelques images en exemple. Immergé dans l’histoire, j’ai bien u l’impression d’être dans le Japon des campagnes, un Japon lapidaire dans les détails, symbolique jusqu’à la caricature, mais un Japon tout de même.

  2. ce sont les premieres vignettes qui me font cet effet. Genre les rizieres. J’en ai vu à perte de vue dans la Chine profonde, un peu comme sur l’image, mais au Japon… de la riziere certes mais pas en étages (mais bon je n’ai pas non plus pris le temps de me perdre en campagne profonde). Ca me fait un peu le meme effet avec le coup du Yakuza, genre Chine du Sud Est, mais trop Japon.
    Par contre les intérieurs… rien à dire.
    (et je n’aime pas du tout le graphisme de Tif & Tondu, depuis toujours)

  3. Je comprends, c’est vrai que les rizières à étages peuvent davantage évoquer la Chine (même si cela existe au Japon, moins répandu mais ça se trouve). Et assez d’accord avec le yakuza, peut-être l’habillement… à ce sujet, Will n’a pas raté le Japonais habillé comme un salary man, pour les petites têtes blondes qui imagineraient qu’un Jap’ est forcément vêtu d’un kimono.
    Le graphisme peut être un obstacle rédhibitoire pour apprécier une BD. J’ai eu plus de chances que toi, et cela m’a permis de lire gamin des histoires parfois vraiment bien troussées.

  4. Je viens de lire Le Chien dans la Vallée de Chambara du Hughes Micol et c’est pas mal du tout. Je ne connaissais pas l’auteur, et je me réjouis de voir qu’il a déjà dessiné d’autres histoires sur le Japon.

  5. Hugues Micol plutôt

  6. Je ne connaissais pas du tout. Je viens de voir quelques planches sur le net et effectivement, ça a l’air original. Une référence que je garde pour plus tard, pour l’instant, je me concentre sur la BD franco-belge old school. Merci pour le tuyau en tout cas.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.