Les lycéennes assassinées peuvent-elles monter au Ciel ?

Un jour, Yuzo Terada, trentenaire banal dont le boulot consiste à placer des mosaïques dans des vidéos pornos, est contacté par Satsuki Kurita, une étudiante qui décide d’interviewer des personnes qui ont connu autrefois sa sœur Mitsuki, disparue assassinée il y a dix-sept ans. Mais ce que Satsuki ne sait pas, c’est que sa sœur partage le quotidien de Yuzo sous la forme d’un fantôme bloqué sur la surface terrestre, incapable de rejoindre le Ciel. L’interview de Yuzo va lui permettre de découvrir cette incroyable situation…

Heaven Is Still Far Away
(天国はまだ遠い – Tengoku wa mada tôi)
Ryusuke hamaguchi – 2016

Assurément, ceux qui ont aimé Happy Hour et Asako I&II doivent absolument voir ce Heaven Is Still Far Away. Réalisé après le projet fleuve (5 heures) de Happy Hour, ce film apparaît d’abord comme un moyen pour Hamaguchi de tourner la page, de se retrouver sur un projet modeste avant de partir vers autre chose, c’est-à-dire cette perle formelle envoûtante que sera Asako I&II, aves pour point commun entre ces deux films la représentation d’un amour mâtiné de surnaturel. Dans Asako, on avait Baku, jeune homme qui disparaissait sans crier gare puis réapparaissait dans la vie d’Asako, subitement auréolé d’un irréel statut d’idol compliquant subitement la vie de son ancienne amante. Dans Heaven, c’est le personnage masculin qui voit sa vie finalement un peu gâchée par la présence à ses côtés de cette jeune femme de 34 ans bloquée dans le corps d’une lycéenne de 17.

Habilement, Hamaguchi plonge sans explications le spectateur dans l’étrangeté de ce couple. On est d’abord interloqué de voir ce type retoucher des vidéos pornos sans se soucier de la proximité de cette jeune femme. On ne comprend pas trop non plus quand on le voit se masturber sous la douche alors la fille attend posément à côté. Encore plus étrange, le rendez-vous de Satsuki dans un café au cours duquel la lycéenne ne dit pas un mot, se contentant parfois de se rapprocher de la jeune femme pour l’observer en mettant son visage à quelques centimètre du sien, sans que cette dernière ne montre le moindre signe de surprise, le moindre regard dans sa direction :

On ne comprend pas, mais on est fasciné, Hamaguchi proposant un minimalisme de mise en scène qui, associé à une direction d’acteurs impeccable (décidément un de ses points forts), nous fait assister interloqué mais intéressé à cette scène, à cette curieuse demande de Satsuki et à cette non moins curieuse réaction de la jeune fille ont on ne connait pas encore le nom.

Et puis, quand Yuzo retourne à son appartement avec la lycéenne et qu’ils commencent à discuter du rendez-vous, on comprend. Cette jeune fille est Mitsuki, la sœur disparue. Pourquoi ? Comment en est-elle arrivée dans cette situation ? Les questions importent peu et n’aurant de toute façon pas de réponse. Lové dans cet univers élégant qui prend son temps, on l’accepte et on se prépare à la première interview de Yuzo par Satsuki, interview à trois puisque bien sûr Mitsuki sera présente. Sur les 38 minutes de film, la scène en fait 25, soit les deux tiers du métrage. 25 minutes constituées essentiellement de trois types de plans, un montrant Mitsuki aux côtés de sa caméra, un montrant Yuzo de face, enfin un montrant Satsuki et Mitsuki à l’arrière-plan :

Mise en scène minimaliste comme on peut le voir et dont on pourrait craindre au début qu’elle pourrait être génératrice d’une certaine lassitude. Mais ce n’est pas le cas tant Hamaguchi excelle une nouvelle fois à optimiser des choix de mise en scène (cadrage, lumière, jeu des acteurs et manière de le magnifier) faisant oublier le temps qui passe. J’ai pourtant eu l’impression à un moment que cette durée de 38 minutes allait coincer un peu mais finalement, comme pour Asako,  l’envoûtement Hamaguchien a eu lieu, avec cette histoire d’amour fantastique mais qui ouvre aussi intelligemment la voie à une explication plus rationnelle, plus thérapeutique.

Bref une petite réussite. A voir comment Hamaguchi parviendra à se renouveler dans l’avenir. Mais pour l’instant il faut bien reconnaître qu’il a décidément le truc pour capter l’attention sur des portraits de femmes (et d’hommes, Yuzo étant parfaitement bien campé par Nao Okabe) aussi mystérieux qu’élégants.

7,5/10

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