Angoulême 2019 (1/2) : opération Matsumoto !

Angoulême 2019 s’est achevé avec, une fois encore, comme un désir de rattraper des années et des années de célébration de la BD franco-belge au détriment de l’américaine de la japonaise (les trois grands axes de la BD mondiale, et je ne parle pas des BD d’autres horizons, un comble pour un festival qui se veut « international »). Aussi le festival est-il devenu, depuis l’arrivée à sa tête d’une nouvelle association en 2017 après les couacs de l’année précédente (sur fond de machisme et de fausse remise de prix), mais aussi du travail de Stéphane Beaujean, le directeur artistique du festival, aussi est-il devenu donc beaucoup plus ouvert sur le monde. Depuis dix ans cela avait été déjà amorcé un peu avec un rééquilibrage géographique parmi les lauréats du Grand Prix (voir la liste sur wikipédia, on comprend tout de suite), ouvrant ainsi la manne à de possibles consécrations pour des auteurs de mangas, type de BD au début purement ignoré (non pas que l’on connaissait son existence mais que l’on choisissait de l’ignorer, non, on ignorait simplement qu’il y avait des BD du côté du Soleil Levant), puis accepté mais perçu avec condescendance, enfin reconnu et consacré.

Premier d’une liste qui devrait s’allonger régulièrement : Otomo en 2015 (en 2013, Toriyama aurait dû être le premier mangaka à l’obtenir s’il n’y avait pas eu l’incompétence crasse de l’Académie chargée de choisir l’élu. En compensation Toriyama a obtenu un prix foireux, le « prix du quarantenaire »).

On est dans cette dernière phase et franchement, ça fait du bien. A tel point qu’il est probable que l’année prochaine je ne me contenterai pas d’une seule journée de visite tant le festival, devenu terriblement chronophage par la multitude de choses à voir et à faire, paraît compliqué à faire en une seule journée. Entre les belles expositions, les « bulles » des éditeurs, les activités pour les enfants (j’ai par exemple squeezé faute de temps les animations du 60ème anniversaire d’Astérix), ou encore, ma foi, les séances de dédicaces, impossible de tout faire convenablement. Petit récapitulatif du dimanche dernier, qui donnera une idée de la richesse mangaesque (et au-delà) du festival pour ceux qui n’y ont jamais mis les pieds et qui hésiteraient à s’y rendre.

9H20 : Arrivé au parking du musée de la BD alors que le festival ouvre ses portes à 10H. Il était temps cependant car on pouvait être sûrs que vingt minutes plus tard il aurait fallu galérer pour trouver ailleurs des places. Quand je dis « on », c’est ouam, Olrik jr, Olrik the 3rd ainsi qu’un vieil ami (appelons-le Applewood) et son fils du même âge qu’Olrik the 3rd).

Le temps de se procurer les bracelets permettant d’accéder aux différents endroits du festival, on arrive à l’entrée de l’espace Manga city, la grosse nouveauté du festival. En plus de la bulle du champ de Mars (consacrées aux éditeurs franco-belge traditionnels : Casterman, Dargaud, Dupuis etc.) et de la bulle de New-York (fanzines et éditeurs indépendants), il s’agit d’une nouvelle bulle entièrement dédiée donc aux mangas. D’une taille appréciable (le chapiteau a été installé sur un terrain de foot stabilisé), elle accueille les principaux éditeurs de mangas et permet d’organiser des conférences avec les mangakas qui ont été invités. Comparé aux précédentes tentatives pour mettre en avant le manga, le résultat est plutôt encourageant. Je me souviens d’une année où le festival avait voulu recréer un espace manga évoquant Shibuya (ou Shinjuku, je ne sais plus) à l’intérieur de l’espace Franquin, cela avait été irrespirable. Là, en décentrant dans un espace plus volumineux, tout de suite on apprécie un peu plus. Avec cependant un inconvénient : celui de devoir tâter dorénavant de la navette. Autrefois on naviguait surtout dans le centre-ville, gardant le Musée de la BD et ses expositions pour la fin. Là, il a fallu faire plusieurs allers et retours entre le musée et le centre ville à cause d’événement qu’il ne fallait pas rater. Après, comme le système de navettes est fonctionnel, ce n’est pas trop le cauchemar non plus.

Intérieur de la bulle Manga City. A noter que l’auteur de Blue Giant (excellent manga sur le jazz) était présent au festival et se fendait de quelques séances dédicaces… mais pas le dimanche. C’est là que j’ai pigé que venir à Angoulême juste pour cette journée allait s’avérer frustrant pour les prochaines années.

Bref, arrivent 10H, on entre dans la bulle Manga City. Très vite Olrik the 3rd et son copain ont compris qu’il y avait plein de choses à choper gratos : auto-collants promotionnels, affichettes de manga, cool ! Tout en regardant et en me prenant une affiche gratuite représentant la couv’ du tome 4 de Saltiness (du Olrik approved ce manga) sur le stand des éditions Akata, je me dis qu’il faut filer au stand Kana pour obtenir des informations sur ce qui peut devenir ZE événement pour moi : une séance de dédicaces de Taiyô Matsumoto ! Là, un vendeur m’explique qu’il faut d’abord participer à 13H30 à un tirage au sort. En cas de ticket gagnant, il faudra acheter un livre sur le stand qui donnera une preuve d’achat et permettra d’avoir sa dédicace. Il n’y en aura pas pour tout le monde : 50 tickets gagnants sur 100, soit une chance sur deux et même un peu plus car j’espérais bien faire participer mes deux clampins. Bref, ça me semblait jouable. En accord avec Applewood, nous décidâmes de quitter le Manga City pour rejoindre le centre.

11H : passage à la Bulle de New-York (enfin, la bulle du Nouveau Monde comme on l’appelle depuis pas mal d’années). Pas forcément la bulle qui m’intéresse le plus mais je sais qu’on y trouve les éditions Cornélius et surtout Le Lézard Noir qui fait venir à chaque fois un mangaka de son catalogue. Cette année c’est Mochizuki (Dragon Head, Maiwai, Tokyo Kaido…) qui faisait le déplacement. En cas d’absence de chance pour la dédicace Matsumoto, il pouvait offrir un joli plan B. Au stand, on m’explique qu’il fera vingt dédicaces à partir de 15H. Il y a là aussi un système de tickets : il faut juste arriver à partir de 14H pour acheter un livre et obtenir un ticket qui donnera droit à une dédicace. Premiers arrivés, premiers récompensés, c’est tout. Avec ces horaires proches du tirage au sort pour Matsumoto, je sens que ça va être chaud de concilier les deux. Je remercie en tout cas la vendeuse pour l’info et j’en profite au passage pour acheter ceci :

Angoulême, c’est souvent le moyen d’acheter en avant-première des livres qui ne sont pas encore sortis. Là, impossible de résister à ce Kamimura réputé pour être particulièrement corsé. J’ai commencé à le lire. De l’érotisme à la Kamimura mâtiné de fureur meurtrière à la Marquis de Sade. Âmes sensibles s’abstenir. Bref, après cela, nous poursuivîmes notre chemin avant de sortir de la bulle. Et là, erreur ! puisque dans mon empressement à me rendre au Lézard noir j’avais oublié de visiter le stand Cornélius, situé sur un petit espace central au milieu de deux embranchements. J’avais pris celui de droit alors qu’il fallait prendre celui de gauche. Sur le coup je me dis : pas grave ! j’en serai quitte pour revenir dans l’après-midi. Mais en fait non, les événements allaient tellement s’enchaîner que je n’allais pas y remettre les pieds. Il faut dire aussi qu’Angoulême le dimanche, c’est 10H-18H (au lieu de 10H-19H pour le jeudi et le vendredi, ainsi que 10H20H pour le samedi). Agaçant car là aussi, le festival aurait permis de mettre la main avec un peu d’avance sur ce précieux objet :

Le premier tome de l’intégrale de Yoshiharu Tsuge. Une première mondiale (ou du moins hors Japon, et encore c’est à voir).

11H30 : déjeuner au Quick Burger juste à côté. C’est le bon plan. On est au sec (ah ! bon temps de merde durant cette matinée, ça s’est amélioré ensuite), on a un plat chaud, et surtout la grande salle à l’entrée pratiquement rien que pour nous. Dès midi, c’est la cohue assurée. On commande, on s’installe, on bouffe puis on repart.

12H00 : arrêt à l’espace Franquin pour la belle expo Tsutomu Nihei, l’auteur de Blame ! (entre autres). On est accueilli à l’entrée par une jolie réplique (en partie fabriquée par l’auteur) d’un personnage d’un de ses mangas :

Il y a du monde et il est difficile de s’immerger dans les nombreuses planches originales. Mais l’expo a de la gueule, avec notamment des planches impressionnantes montrant de vertigineux décors. Olrik jr, dans sa troisième année de dessin BD et qui aimerait en faire son métier, apprécie et parle de s’acheter avec son argent de poche le premier volume de Blame ! dans sa nouvelle édition Deluxe. J’encourage cette initiative (qui me permettra de lire Blame ! gratos uh uh !).

12H40 : après un coup de navette on est revenus au Manga City because tirage au sort des tickets pour Matsumoto. Dans mon esprit il devait avoir lieu à 13H mais en fait non, il s’agissait de 13H30 ! Il y a déjà une trentaine de personnes qui fait la queue. Bon, courage ! Je prends la file et j’ouvre la fermeture de mon gilet pour laisser apparaître sur mon torse puissant le magnifique t-shirt Tekkon Kinkreet acheté il y a longtemps à un Uniqlo au Japon. Avec cette martingale ultime et l’aide de mes deux pirates, impossible de rater. Je devais, j’allais réussir !

Dans la file le monsieur moustachu derrière moi m’explique qu’il est membre des Amis du musée de la BD et qu’il travaille comme bénévole au festival. Comme nous sommes tout prêts d’atteindre le chiffre de cinquante personnes dans la file, il se demande si le stand Kana ne va pas en profiter pour se débarrasser des tickets gagnants plutôt que de s’embêter à avoir une file mahousse qui allait empêcher les gens de s’approcher de leur marchandise. Je sens le vieux loup de mer qui a dû vivre d’innombrables aventures dédicatoires et qui est prêt à tout pour obtenir ce qu’il veut. Il va même jusqu’à évoquer cette possibilité de donner vite fait les tickets au jeune homme qui avait l’air de diriger le stand. Celui-ci sursaute un peu quand il entend ça avant de rétorquer, un brin amusé, que sachant qu’ils avaient claironné que l’horaire du tirage au sort allait avoir lieu à 13H30, ce n’était pas pour ensuite mécontenter un tas de personnes qui allaient se retrouver cocus à cause de cette magouille. Il allait donc falloir attendre encore quarante minutes. Pendant ce temps, Applewood et son fils étaient partis voir du côté du musée de la BD. Moi, mon t-shirt Matsumoto et les kids, on attendait. Parfois, l’amateur de dédicaces derrière surgissait et discutait avec le type juste devant moi. J’écoutais et parfois intervenait gentiment dans la discussion, ça faisait passer le temps. A un moment, la discussion est tombée sur le présence avec moi d’Olrik Jr et Olrik the 3rd. J’arguai que tout de même, avec eux à mes côtés c’était bien le diable si je n’avais pas la chance d’avoir au moins un ticket gagnant. Le moustachu raconta alors une séance de dédicaces où il avait fait la même chose avec son fils, ce qui lui avait permis d’avoir un ticket gagnant au nez et à la barbe d’un passionné qui aurait tué père et mère pour avoir une dédicace de je ne sais plus quel auteur. Puis il a enchaîné recta avec une autre anecdote : une fois, il s’était mis d’accord avec une autre personne dans une file d’attente : il lui avait promis que si lui et son fils tiraient chacun un ticket gagnant, il lui en remettrait un bien volontiers, pour le cas où il n’aurait pas eu la même chance…

Une bien belle anecdote ma foi. Devais-je y voir un sens caché, une demande cryptée ? Je n’y pensai pas trop. Moi tout ce que je demandais, c’était d’obtenir un précieux sésame, juste un ! Pour cela j’encourageai mes clampins en mode Hyôdô sama.

Pour ceux qui ne connaissent pas, voici Hyôdô sama.

Ils avaient intérêt à avoir la main chaude, pour sûr ! car sinon ils pouvaient être assurés de faire le chemin du retour en auto-stop. Avec tout le fric que je dépensais pour les nourrir, il fallait bien un sérieux retour sur investissement, non mais ! Nous n’étions plus qu’à cinq mètres de l’endroit où se tenait le tirage au sort.

Ici, petite musique d’ambiance :

Plus que quatre mètres… trois… deux… un…. Nous y sommes.

C’est le sympathique jeune homme à lunettes qui s’occupe du sac à tickets et qui y plonge la main pour remettre un ticket. Olrik the 3rd est le premier à tendre la main. A ce moment j’entends au loin une sorte de « Zawa zawa !». Le jeune homme lui a posé un ticket la face contre sa frêle paume. De l’autre main il le prend, le retourne et…

La suite au prochain épisode.

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8 Commentaires

  1. Cette fin d’article avec la musique ! 😀
    La tension est maximum, mais je vois l’epic fail arriver.

    • En tant que principal (et unique) showrunner de ce site, je ne ferai aucun commentaire.
      Pour la musique, c’est un morceau de l’OST d’Akagi durant l’arc du Washizu Mahjong. Il s’agit là aussi de piocher quelque chose en serrant les fesses tant on a l’impression de jouer sa vie.

  2. Bon, promis, l’an prochain, je fais le déplacement et on ira s’en jeter quelques unes !

    A.rnaud. Justice rains from above

    • « on ira s’en jeter quelques unes ! »
      Si tu veux mais je te préviens, faudra rester lucides car ce sera cette fois-ci « opération Takahashi » pour chopper des dédicaces de la grande prêtresse du shônen ! (je ne veux pas croire qu’elle snobera le festival l’année prochaine)

  3. Argh! Quelle tension! 🙂
    Je plussoie sur « Saltiness ». Je verrais bien ça adapté en drama. Tadanobu Asano me vient à l’esprit pour le rôle de Takehiko. Ou Joe Odagiri… 🙂

    • Oui, ton idée de cast avec des acteurs nonchalants et un peu déglingos est cohérente. J’approuve. Un film réalisé par Hitoshi Matsumoto serait pas mal non plus.

      Cool en tout cas qu’un éditeur français publie ce titre.

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