Blue Light Kore-eda

Ryota Yokoyama doit se rendre auprès de sa famille afin de commémorer le décès accidentel de son frère aîné, Junpei. Tout le monde sera présent : sa mère, son père – un médesin retraité – mais aussi la famille de sa sœur intéressée à l’idée de s’installer un jour dans la maison familiale. Ryota ne vient pas seul puisqu’il débarque avec une épouse sortant de son veuvage, et son beau-fils…

Still Walking
Aruitemo, aruitemo (歩いても 歩いても)
Hirokazu Kore-eda – 2009)

 

Mieux vaut tard que jamais. Still walking est le seul film de Kore-eda qu’il me restait à découvrir. A chaque fois que je m’apprêtais à enfin le voir, s’insérait le visionnage d’un autre film, puis d’un autre, et du coup je finissais à le reporter aux calendes grecques, puis à l’oublier. Ce qui est ballot car si j’avais davantage tenu compte au titre original, je crois que cela aurait fait belle lurette que ce film aurait été maté. En effet, aruitemo, aruitemo, pour ceux qui connaissent un peu certains classiques musicaux de la fin des 60’s, cela doit évoquer ceci :

Et oui, le titre est une référence à la divine chanson d’Ayumi Ishida, chanson que l’on entend subitement dans le film lors d’une scène particulièrement touchante. Ce mot, « aruitemo », que l’on peut effectivement traduire par « still walking », « je continue de marcher », reflète parfaitement ce qui se trame dans l’ « intrigue » du film. Intrigue entre guillemets car il s’agit moins d’histoire au sens de structure narrative avec des péripéties que d’histoire au sens le plus commun et général du terme. C’est l’histoire qui accompagne la vie de tout un chacun, celle qui consisté à continuer de marcher, à s’adonner à son métier, à ses occupations, à sa vie familiale malgré le poids des années qui s’accumulent.

Dans un joli générique, c’est ce que comprend le spectateur lorsqu’il voit le patriarche de la famille (Kyohei) faire sa marche matinale dans sa petite ville aux environs de Yokohama. Avec déjà quelques restrictions : alors que la mer est à portée de jambes – il faut juste traverser la route en empruntant un de ces ponts suspendus très courants au Japon -, il se contente de la regarder de loin et de faire demi-tour. Passer par le pont est sans doute trop difficile pour ses vieilles jambes. N’importe, il continue de marcher, tout comme sa femme, Toshiko, petite grand-mère qui en a vu d’autres et qui n’a pas sa langue dans sa poche. Ce duo de petits vieux a de quoi réjouir le spectateur. D’un côté un vieillard un peu ours et capable de se vexer pour des vétilles, de l’autre une vieille vive d’esprit parfaitement capable d’avoir toujours le dernier mot. Coincé à table entre ces deux-là, Atsushi, le beau-fils de Ryota, a de quoi s’amuser.

Un que cela n’amuse pas, c’est justement Ryota. Pour lui, venir à la maison pour la mémoire de son frère, c’est l’assurance d’être comparé forcément à son désavantage à son frère, et de subir des évocations pénibles et indiscrètes de son passé ainsi que des interrogations pesantes sur son présent (comme il ne veut pas révéler qu’il est au chômage, il fait croire qu’il a un travail de restaurateur de tableaux). Il sourit bien de temps en temps, mais c’est un sourire un peu crispé d’où ne peut jaillir la moindre nuance de tendresse vis-à-vis de parents qu’il connait par cœur et qui, par leur attitude parfois un peu brutale, semblent avoir étouffé au fil des années toute velléité d’effusion.

Et pourtant, ces parents, les connait-il si bien que cela ? Lorsque sa mère va chercher un vinyl qu’elle a acheté un jour et qu’elle avoue avoir gardé précieusement, lorsque retentit sa musique (Blue Light Yokohama donc) et que la petite vieille chantonne les paroles amoureuses avec un air de béatitude, on découvre alors une autre Toshiko. Une Toshiko lointaine, plus jeune, celle qui a un jour pris le bras de Kyohei pour marcher amoureusement à ses côtés. Car oui, des parents ont eux aussi un jour été jeunes, ils n’ont pas toujours été ces deux êtres qui semblent parfois s’irriter de la présence de l’autre, incapables de la moindre parole attentionnée.

De même, lorsque Ryota demande à son père où en est son équipe de base-ball préférée et que ce dernier lui répond qu’il suit à la place une équipe de football, Ryota est étonné. Son père n’est pas forcément aussi immuable qu’il le pensait. Lui aussi évolue, lui aussi « continue de marcher », lui aussi a encore une richesse personnelle qu’il ne tiendrait qu’à Ryota de découvrir. Pour cela il faudrait venir plus souvent, respecter ses engagements, comme celui d’acheter une voiture pour venir ensuite se balader en famille, ou encore venir avec Atsushi pour aller assister ensemble à un match de football. Mais cela, bien sûr, Ryota ne le fera pas. C’est là le principal sujet du film, cette incapacité que l’on peut avoir, de par la marche forcée des événements de notre quotidien, à prendre un peu de notre temps pour nous tourner vers ceux qui marchent moins vite que nous, les parents. On sait que cela ne durera pas éternellement, que les parents s’arrêteront bien un jour de marcher, qu’il faut en profiter en faisant provision de moments partagés ensemble et pourtant, rien n’y fait : l’agacement d’entendre toujours les mêmes choses et de leur sacrifier leur temps alors que l’on a tant de choses Ô combien plus intéressantes à faire, tout cela l’emporte.

A cela Kore-eda ne trouve rien à redire. Nul jugement, nulle amertume. A la fin du film, le famille de Ryota, quelques années plus tard, a évolué. Une petite fille a transformé le trio en quatuor et le père de famille a désormais une voiture avec laquelle il ne pourra plus faire des promenades avec ses parents puisque ces derniers ne sont plus. De quoi regretter le passé et pourtant, on ne ressent rien de tel. Les enfants sont devenus les parents, ils seront trop occupés à commencer leur nouvelle marche pour trop s’embarrasser de regrets. Et puis, les dernières images baignant dans des couleurs estivales du fait qu’on voit la petite famille venir commémorer la mémoire du frère Junpei au même moment de l’année qu’au début de film, on se dit que la mémoire supplée finalement aussi bien à toutes les occasions manquées. Elle est à l’image du petit papillon jaune qui fascine l’esprit de la grand-mère à un moment du film, fragile mais bien réelle, et c’est peut-être là le plus important.

9/10

Lien pour marque-pages : Permaliens.

5 Commentaires

  1. Je crois que ça reste mon Kore-Eda préféré. En tout cas celui que j’ai le plus revu.

  2. Un beau texte sur LE chef-d’œuvre de Kore-eda (avec le duo de « Kekkon Dekinai Otoko » ^^).

    • Merci. Avoir le duo Abe/Natsukawa n’était pas le moindre des petits plaisirs. Du coup, comme j’ai envie de retrouver les fossettes de Yui Natsukawa, je vais enchaîner avec « Distance ».

  3. @N°6 : Moi qui en suit à mon premier visionnage, c’est rassurant, ça laisse augurer de prometteuses revoyures.

  4. une belle critique pour ce qui est, pour moi, le plus émouvant des Kore Eda. Tous ses films valent le détour mais celui-ci me touche plus que d’autres….

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.