Audition (Takashi Miike – 1999)

Aoyama, un producteur de télévision, décide de sortir de son veuvage, gentiment poussé par son fils qui trouve depuis quelque temps qu’il s’est « décrépi ». Pour lui faciliter la tâche, son ami Yoshikawa, travaillant lui aussi pour la télévision, lui propose de participer à une audition pour le casting d’un film, qui lui permettra de dénicher la perle rare. Très vite son dévolu tombe sur une frêle et élégante jeune femme : Asami Yamazaki. Choix que n’approuve pas Yoshikawa…

Plus de deux cents critiques de films sur ce site et curieusement rien concernant Takashi Miike (enfin, presque rien, juste un truc sur Ryu ga gotoku). Etonnant quand on sait l’importance qu’il a pu avoir pour ceux (dont je fais partie) qui ont découvert le cinéma japonais contemporain à la fin des années 90. Certes, sa filmographie a depuis fait figure de gros soufflé indigeste qui a tendance à se dégonfler peu à peu. Mais en 1999, à l’époque de Cure, de Kurosawa, ou encore du Ringu de Nakata, voir Audition sur grand écran constituait l’attraction à ne pas rater pour l’amateur de sensations fortes et de pellicules japanisthanaises originales. Et cette expérience a souvent constitué une porte d’entrée à l’univers foisonnant et totalement WTF de Miike, pour le meilleur et pour le pire c’est vrai, mais toujours avec la garantie de voir quelque chose sortant des sentiers battus.

Bref, il me faut réparer cette absence car le visionnage d’Audition au cinéma a été un moment assurément marquant pour moi. Pour le besoin de l’article qui suit, je me le suis rematé il y a quelques jours et j’ai été surpris de voir combien l’empreinte visuelle et sonore qu’il avait laissée dans mon esprit avait été forte. On peut ne pas marcher au film mais je connais assez peu de personnes pour qui c’est le cas. La plupart du temps, on est pris par cette histoire et lorsque arrivent les vingt dernières minutes, il est bien difficile de ne pas s’accrocher aux accoudoirs de son fauteuil. C’est qu’Audition s’est taillé très vite dans les festivals à son époque une réputation de film train fantôme, avec un pourcentage de spectateurs quittant la salle avant la fin non négligeable. Toute la maestria de Miike étant de conditionner parfaitement le spectateur.

Scène de bonheur familial au début de film : une partie de pêche entre le père et le fils. Jusque là tout va bien. Cependant toute la suite est déjà inscrite en creux de cette scène. « Je ne m’intéresse qu’aux grosses prises! » clame le père. Paroles malheureuses… Et le fil de sa canne à pêche qu’il dévide annonce un toute autre type de fil…

Ce dernier se demande au début : « Putain ! Mais qu’est-ce que je suis en train de regarder, moi ? ». Le film commence en effet comme un drama familial banal : un père de famille veuf et un peu décrépi. Un fiston sympathique soucieux du bien-être de son pôpa. Une jeune fille pouvant être une nouvelle épouse et annonçant un cocktail familial à la fois touchant et peut-âtre annonciateur d’une situation triangulaire croustillante. Le ton devient léger, même comique, lorsque arrive la fameuse audition du titre, avec une musique toute en décontraction accompagnant les tentatives grotesques de cruches pour essayer d’être embauchées.

Miike y va de sa gentille satire de ce type de pratique, pratique qui permet sûrement de se rincer l’oeil gratis. Pas sûr cependant qu’Audition soit le film préféré de Weinstein.

Sauf que la plaisanterie ne dure pas. L’ami d’Aoyama le prévient : cette Asami qui semble tant lui plaire a un quelque chose d’indéfinissable qui ne lui plait. En cela le spectateur le croit sur parole : avant d’être entré dans la salle obscure il a vu l’affiche du film et sait que quelque chose ne tournera pas rond avec cette fille. Et quand arrive peu après la scène où on la voit attendre le coup de téléphone de son quinquagénaire charmant (avec une surprise lors de ce passage, mais chut !), on n’hésite plus : ce film n’est en fait pas rigolo du tout. Sueurs froides en perspective ! Et c’est là que commence réellement cette maestria de Miike qui donne  à son histoire un côté cauchemar acidulé et baroque, à mi-chemin entre le Suspiria d’Argento et un trip à la David Lynch, avec une perte de repère entre rêve et réalité. Les couleurs fades du début du film laissent la place à des couleurs plus criardes, que ce soit le rouge du restaurant, le jaune de la salle de danse ou le bleu de la chambre d’hôtel :

L’horreur se fait surtout plus présente. Alors qu’il passait une nuit dans l’hôtel bleu avec sa nouvelle conquête, Aoyama se réveille le lendemain seul dans son lit. Asami s’est purement volatilisée dans la nature. Il décide alors de mener son enquête pour essayer de la retrouver. Pour cela il se rend à ce qui était supposé être son lieu de travail ou encore au club de danse classique où elle allait lorsqu’elle était petite. A chaque fois il plongera dans un univers avec sa propre tonalité colorimétrique donc, des cadrages cassés mais aussi des visions horrifiques peu rassurantes (et empruntant volontiers au grand-guignol, mais un grand-guignol fugitif qui ne donne pas le temps au spectateur de rigoler). Le malaise culminera avec la scène du rêve dans laquelle se retrouve dans l’appartement d’Asami. A cet instant, le spectateur est prêt à être cueilli comme une nashi bien mûre. Ce que ne manque pas de faire le père Miike avec la scène suivante :

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Le plan ne paye pas de mine. Mais ceux qui ont vu le film le savent : à cet instant on ne se sent pas très bien, on regarde sa montre et on de rend compte que merde ! il va falloir souffrir durant quinze minutes ! On peut bien sûr décider de quitter la salle. Mais si on choisit de rester, c’est une petite épreuve qui nous attend. Avec finalement rien de sanguinolent, très loin des effets de SAW (Miike avait d’ailleurs participé comme acteur au premier opus). Encore une fois, la spectateur a été tellement conditionné que ce qu’il voit suffit largement pour lui faire grincer les dents. Pas besoin de musique dramatique : juste la voix posée d’Asami, les geignements d’Aoyama et surtout une exclamation inoubliable que le spectateur va associer à vie au film.

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Visuellement, très peu de gros plans sur les blessures, Miike préférera se focaliser sur le visage du pauvre Aoyama ou sur la posture désarticulée d’Asami…

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Quand arrive la fin, on est dans le même état qu’un lardon à la fin de son premier train fantôme (ou de sa première scary house s’il est japonais) : dans tous ses états mais finalement ravi d’avoir franchi l’épreuve. Plus de quinze ans après l’avoir revu, Audition reste un film qui n’a rien perdu de son efficacité et de son originalité. Et il constitue plus que jamais LA porte d’entrée à l’univers Mikeeien, même si on ne peut que rencontrer par la suite des déconvenues. Mais ça, avec un réalisateur qui a atteint le chiffre de cent films tournés, difficile de faire autrement.

8/10

Pas de bande annonce à proposer, elle montre bien trop de choses ! Audition est à découvrir avec le moins d’images en tête.

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3 Commentaires

  1. Ahhh, Audition, tout un souvenir d’une époque bien révolue pour moi. La scène du sac qui sursaute, inoubliable. C’était un peu la version crado-B des films de K.Kurosawa, que j’avais découvert un peu avant. Miike était alors « à la mode » et ses films sortaient régulièrement en salle. Du coup je m’en étais tapé un certain nombre, sans jamais retrouver le frisson de celui-ci, me suis assez vite lassé d’ailleurs de ces production trop nawak dont il ne me reste pratiquement rien 15 ans après (alors que K.Kurosawa, toujours un cinéaste passionant). Mais bon, c’était la vague des films d’horreur japonais dans la lignée de The Ring. Pour moi le plus grand souvenir de toute cette période reste « Dark Water », qui lm’avait fait flipper ma race en salle et que j’avais voulu faire partager autout de moi le plus possible après-coup.

  2. « Du coup je m’en étais tapé un certain nombre, sans jamais retrouver le frisson de celui-ci »
    Même chose. Et effet identique avec Ringu. J’ai beaucoup apprécié de voir Dark Water en salle mais voir Ringu aussi en salle obscure avait été un grand moment. Jamais retrouvé le même impact ensuite dans la filmo de Nakata.

    • J’avais vu Dark Water avant Ring, du coup j’avais trouvé Ring en dessous (faut dire que pour moi Dark Water est un bijou). Nakata n’a vraiment rien fait de très bon depuis. Je me souviens d’un film en anglais avec une histoire de harcèlement par Internet ou un truc du genre. C’était pas top mais ça se laissait voir comme curiosité. Pour Miike, le côté Nawak m’a simplement saoûlé super vite en fait. Ca gesticule, ca provoque, mais y a pas grand chose derrière. C’est un peu un Gaspard Noé qui se prendrait pas pour un cinéaste, ce qui au moins le rend sympathique. (le fait de pas se prendre pour un cinéaste, pas la comparaison avec la baudruche favorite de Cannes 😉 )

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