Foreboding (Kiyoshi Kurosawa – 2017)

Depuis quelque temps, le quotidien d’Etusko montre d’inquiétants signes d’étrangeté : son mari semble souvent perdu dans ses pensées, son supérieur au travail agit bizarrement, une collègue est terrifiée par son père, ne le reconnaissant plus et voyant en lui une sorte de fantôme. Tout bascule lorsqu’un jour, alors qu’elle attend son mari infirmier à l’hôpital, elle tombe sur le docteur Makabe envers lequel elle ressent une vive répulsion…

予兆 散歩する侵略者 (Yocho Sanpo Suru Shinryakusha)

Suite ? Deuxième partie ? Deuxième essai ? Variation ? Pas facile de situer Foreboding par rapport à son prédécesseur, Avant que nous disparaissions. Et pas facile de situer non plus son intérêt puisque les deux films utilisent cette même histoire d’extraterrestres envahisseurs adeptes du procédé du « vol de concepts » afin de mieux monter en puissance et parvenir à leurs fins. Cela peut faire redite et pourtant, difficile de na pas être happé une nouvelle fois par l’histoire, d’autant que Kurosawa adopte ici un ton bien plus sombre. Mais avant cela, pour le cas où vous vous poseriez la question, faut-il absolument voir Avant que nous disparaissions avant Foreboding ? Eh bien je me suis en fait demandé si l’inverse n’était pas préférable. Le voir en premier doit donner au visionnage un aspect brumeux et schizophrène à la Rosemary’s Baby. Une séquence nous montre par exemple un rêve que fait Etsuko, rêve en rapport avec l’idée de fin du monde. Et cette scène est suivie d’une autre se déroulant à son lieu de travail, dans laquelle elle pose des questions à une collègue sur la fin du monde, montrant par là qu’un début d’obsession est en train de naître en elle. Du coup, voir le film sans connaître le précédent, sans connaître l’idée du col de concept, celle du « guide » humain servant de tuteur à tel ou tel envahisseur, doit plonger le spectateur dans un état d’hésitation proprement fantastique vis-à-vis du jugement qu’il doit faire quant à l’attitude d’Etsuko : est-elle en train de sombrer, de devenir un peu folle ? Ou bien a-t-elle de sérieux motifs d’inquiétude ? Bon, on commence sérieusement à pencher pour la deuxième option au bout d’une demi-heure, et on n’a plus le moindre doute dix minutes plus tard, lorsque intervient un flash-back montrant la rencontre entre Tatsuo et Makabe. Néanmoins je me suis dit que le visionnage des quarante premières minutes, sans avoir vu Before we vanish, devait constituer une expérience intéressante et témoignant finalement de l’habileté de Kurosawa, capable de concocter une sorte de suite mais sans en être une non plus, pouvant être visionné dans n’importe quel ordre avec à chaque fois un effet différent.

Cette fois-ci c’est Etsuko qui porte le fameux vêtement rouge kurosawaiesque puisqu’elle est perçue par les aliens comme une « anomalie » (elle est la seule capable de résister au « vol de concept »).

En ce qui me concerne, moi qui l’ai donc vu « dans l’ordre », j’ai été de nouveau captivé par l’histoire centrée cette fois-ci par le pouvoir d’Etsuko et la noirceur de Makabe. Pas besoin de gun fights, de scènes de violence comme dans Avant que nous disparaissions. Masahiro Higashide parvient pleinement à rendre très inquiétant son personnage qui, pour mieux voler les concepts dans l’esprit de ses proies, va jusqu’à monter de petites mises en scène passablement criminelles. La froideur, le détachement qu’il montrera notamment lors de la scène de « l’enterrement », rappellera assez le criminel de Cure.

Makabe, new king of the city.

Ajoutons que l’aspect maléfique de ces actions n’est pas uniquement le fait de Makabe puisque les victimes sont choisies par son guide Tatsuo qui en profite pour choisir tant qu’à faire des éléments qui ont pu dans le passé lui poser des problèmes (il choisit ainsi un ancien prof qui avait été autrefois infect avec lui). Si l’on peut avoir de la sympathie pour Tatsuo à cause de l’emprise (le film donne ici une explication sur le lien particulier qui unit l’alien à son guide) qu’à sur lui Makabe, tout cela est ruiné par ses réglements de comptes avec d’ancien fâcheux, règlements qui paraissent aussi injustes que disproportionnés.

Assez peu de personnages aimables donc, à part peut-être Etsuko, même si ce fragile chaperon rouge face au loup Makabe a le même défaut que la précédente héroïne d’Avant que nous disparaissions : privilégier la relation avec son mari au sort de l’humanité. Sauf que là, il n’y aura pas d’ultime scène salvatrice (mais une ultime réplique qui donnerait envie que Kuro s’attaque à un troisième volet).

Avec Creepy, Avant que nous disparaissions et Foreboding (il me reste à voir Le Secret de la chambre noire), Kurosawa est décidément en pleine forme, plus que jamais en pleine possession de ses moyens techniques et narratifs, avec toujours cette virtuosité à donner une aura d’étrangeté à des lieux ordinaires, ainsi que cette capacité à faire éprouver au spectateur un sentiment de menace uniquement avec un effet d’éclairage ou le frôlement du vent sur un rideau. De quoi donner envie de mettre la main sur la série dont Foreboding est (un peu comme Shokuzai l’a fait) un montage expurgé : à l’origine cette histoire d’envahisseurs se développait sur quatre heures.

7,5/10

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3 Commentaires

  1. « à l’origine cette histoire d’envahisseurs se développait sur quatre heures. »

    A ma connaissance, la série comporte 5 épisodes de 30 mn.

    (Je ne lis que ton dernier paragraphe pour le moment, pas encore vu le film)

  2. J’ai lu quelque part 40 minutes par épisode. Mais je m’aperçois que quand bien même, je m’enflamme un peu. 3H20 parait plus correct (ou donc 2H30 si c’est bien 30mn, ce qui relativise considérablement le travail de réduction pour le film).

  3. J’ai vérifié : c’est effectivement 30 minutes. Les 40 doivent s’expliquer par les coupures publicitaires qui s’ajoutent à l’épisode. Du coup pas besoin de s’enquiller la série.

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