Mukoku (Kazuyoshi Kumakiri-2017)

Rage against the kendo

Toru est un lycéen féru de rap qui un jour, montre par hasard qu’il a d’incroyables dispositions pour le kendo. Sa route lui fait croiser celle de Kengo, autrefois prodige de Kendo mais désormais écorché vif ravagé par l’alcool, du fait d’un drame familial qui ne cesse de le ronger…

Moins connu internationalement que Sion Sono, moins festivalisé que Naomi Kawase, Kazuyoshi Kumakiri ne reste pas moins un réalisateur japonais parmi les plus intéressants à suivre. Son film de 2014, My Man, relatant une histoire incestueuse dans un Japon enneigé, m’avait saisi par la noirceur des relations familiale portée à l’écran par une photographie marquante. Aussi, ayant fait l’impasse sur son dernier film (Dias Police : Dirty Yellow Boys), adaptation d’un drama que je n’avais pas vu, j’attendais avec impatience son prochain, d’autant que l’histoire promettait de se dérouler dans le monde du kendo, univers que j’avais déjà fort goûté dans le Ken de Kenji Misumi, référence absolue (et peut-être unique, j’ignore s’il y a eu d’autres films sur le sujet) dès que l’on associe kendo et cinéma.

Le plaisir ressenti lors du visionnage a été à la hauteur de mes attentes : cela a été de nouveau une bonne claque, et ce dès l’ouverture du film. On y découvre le drame originel de Kengo (il a tué accidentellement son père lors d’une confrontation au kendo) ainsi que la personnalité de Toru, jeune chien fou épris de rap, ayant sans doute lui aussi à composer avec un drame personnel et semblant doté d’un don naturel pour le kendo.

Le débraillé Toru ne va pas tarder à subir l’influence de Mitsumura sensei.

Il serait intéressant de savoir si Kumakiri a puisé son inspiration dans le Ken de Misumi car la construction autour des deux personnages n’est pas sans rappeler celle des deux héros du film de 1964. On y avait une opposition entre Jiro, jeune homme anachronique dans le Japon des années 60, qui voyait dans le kendo un prolongement d’un esprit samouraï, une activité d’excellence permettant de parfaire à la fois le corps et l’esprit. A l’opposé se trouvait un jeune homme de sa génération, Kagawa, doué mais gâchant son talent dans les plaisirs de son époque. Dans Mukoku, en dehors de l’ingrédient du drame familial, l’opposition entre Toru et Kengo fait penser à celle entre Jiro et Kagawa. Si Toru a des allures de Kagawa au début du film, très vite (peut-être un peu trop d’ailleurs, le revirement vers une pratique sérieuse et assidue du kendo paraît un peu artificiel) il va s’adonner avec passion au kendo, polissant sa pratique sous la douce férule de son mentor, maître Mitsumura. Contrairement au rap qui, lors d’une des scènes inaugurales du film, n’est qu’explosivité et ne contribue qu’à faire resurgir un malaise enfoui en lui, le kendo permet à la fois de faire jaillir une certaine rage (fabuleux hurlements qui jaillissent dans le silence du dojo) tout en gardant un parfait contrôle de soi. En cela il finit par se rapprocher de Jiro. Le kendo devient pour lui un style de vie faisant partie de son quotidien et aussi bien lié à son intériorité qu’à son rapport au monde. Une pratique qui emprunte aussi bien au zen qu’à la mystique bouddhiste.

Pour Kengo, c’est différent. Ayant tué accidentellement son père lors d’un duel au kendo, il s’engouffre dans le désespoir et dans les vices du monde moderne, vices qui lui détaille un jour une vieille au cimetière où repose sa mère. Dans son cas, c’est essentiellement l’alcool et les femmes. Kengo reste cependant un adversaire quasi invincible quand il s’agit de se frotter avec quelqu’un le bokuto à la main. Mais son art est devenu celui d’un possédé, d’un enragé à la Ashita no Joe qui a oublié depuis longtemps ce qu’est la maîtrise de soi intérieure et qui n’en est que plus malheureux. Double inversé de Toru, mais fasciné par ce dernier, tout comme Toru l’est d’ailleurs par ce « grand frère » annonciateur de ce que pourrait être son futur s’il ne prenait pas garde à se maîtriser par la voie du kendo, Kengo va devoir trouver un chemin pour tenter de s’affranchir de ses démons intérieurs et du spectre de ce père autant haï que vénéré, désormais réduit à un légume sur un lit d’hôpital.

Cigarette, alcool, cheveux longs et bijin : le quarté gagnant de Kengo.

Le cinéma japonais nous abreuve à longueur d’année d’anime, de dramas et de films puiisant leur sujet dans les supokon, ces mangas de sport exaltant des valeurs telles que la ténacité et le fighting spirit. C’est parfois très bon (Kuroko no basket, Ballroom no youkoso), mais parfois creux et irregardable. Avec Mukoku on se retrouve avec un titre à mettre à côté de l’excellente adaptation cinématographique du Ping Pong de Matsumoto (film de Fumihiko Sori sorti en 2002).  On troque la petite raquette contre le bokuto qui fend l’air et aussi la gueule si l’on est sans protection. Dans les deux cas l’effet est le même : le plaisir d’avoir suivi l’évolution de deux êtres que tout oppose mais aussi que tout contribue à associer inextricablement. Sorte de yin et de yang de dojo qui, lorsqu’ils seront réunis lors d’une ultime scène, fusionneront pour achever de donner un sens à leur existence. Si Mukoku peut ressembler à Ken, il en est aussi la réponse plus radieuse, quoique plus enragée aussi.

8/10

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2 Commentaires

  1. Merci pour l’article Olrik, j’ai passé un excellent moment avec ce film !
    J’ai trouvé que les scènes de maniement de bokuto, ou de shinai dans le dōjō, sont rudement bien fichues. Je n’ai pas eu l’impression de regarder de jolies chorégraphies bien répétées, mais d’authentiques face à face, avec tantôt de la puissance, tantôt de la grâce, de la confusion aussi, et surtout de la spontanéité, bref, ça sonne vrai et ça m’a plu ! La caméra sait où se placer et quoi montrer (j’ai même apprécié certains plans de mouvements et placements de pieds dans le dōjō par exemple).
    J’ai également trouvé intéressant le personnage de Kengo dans son parcours depuis l’incident face à son père; peut être davantage que celui de Toru dont la glissée dans le monde du Kendo se fait de façon en effet plutôt artificielle, trop rapidement, là dessus je te rejoins entièrement.
    Très content de ma séance !

    (Sinon, je me demande s’il existe de bons films de ce genre, bien réalisés, tournant par contre autour du thème du kyūdō ?)

    • Oui, j’ai eu aussi le sentiment que les acteurs principaux avaient soit pratiqué, soit subi un entraînement avant le film pour que ça « sonne vrai ». Plutôt appréciable effectivement.
      Pour un film sur la kyudo, là, ce serait un sacré challenge. Aucune idée si un tel film a été fait. Je me souviens juste que dans « 5 cm par seconde » (de Makoto Shinkai), il y a une ou eux jolies scène de Kyudo avec l’un des personnages féminins…

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