Outrage Coda (Takeshi Kitano – 2017)

Afin de voir Outrage Coda dans de bonnes conditions, il convient d’abord de se remettre en tête les deux premiers opus. Ne perdez pas votre temps à essayer de le visionner si vous n’avez pas vu Outrage et Outrage Beyond, vous ne comprendrez rien aux luttes entre ces clans de yakuzas, luttes se faisant parfois dans leur propre clan. Ayant vu ces deux films il y a maintenant pas mal de temps, je me suis donc fait un début de semaine diablement « outrageant », avec l’ensemble des trois films.

J’ai pu donc mieux apprécier le dernier volet que si je l’avais vu uniquement avec mes souvenirs des deux premiers. Mais ce travail de bon élève a eu un prix : l’impression d’une certaine lassitude, Outrage Coda n’ayant finalement rien de neuf à apporter. Rappelons ici (pour ceux qui aimerait les voir, vous pouvez sauter les deux paragraphes à suivre) que le premier Outrage racontait le jeu de massacre entre différents clans, massacre organisé par un grand chef de clan manipulateur (le chef du clan Sanno) et ayant pour origine la ridicule punition du chef d’un clan secondaire. De fil en aiguille, cette punition déclenche d’autres punitions en représailles avec au milieu de tout cela le personnage joué par Kitano, Otomo, qui exécute impassiblement toutes les basses œuvres tout en veillant à ses intérêts. A la fin du film, Otomo va en prison et s’y fait poignarder par un ennemi, tandis que le chef du clan Sanno se fait assassiner par son n°2, Kato, qui allait pouvoir régner tranquillement au-dessus de clans passablement décimés.

Dans Outrage Beyond, Otomo sort de prison grâce à un policier véreux et machiavélique qui pense que Otomo peut être un électron libre intéressant afin de l’aider à se débarrasser du clan Sanno. Il le met en contact avec le clan Hanabishi, le rival du clan Sanno dans le Kansai, qui l’autorise à faire sa vendetta contre Sanno. Aidé par des hommes prêtés par Hanabishi, Otomo ne tarde pas à démanteler Sanno. A la fin du film, Hanabishi est devenu surpuissant, le policier véreux se fait dessouder par Otomo qui a compris son rôle manipulateur, et Otomo rejoint Chan, un chef de gang en Corée, pour l’aider dans ses affaires.

Otomo.

Dès lors que pouvait-il se passer de neuf dans Outrage Coda ? L’affiche japonaise suggérait un final explosif dans lequel la poudre allait méchamment parler. Final un peu convenu mais pourquoi pas ? Voir la fameuse violence kitanienne s’exprimer dans une furia encore jamais vue dans sa filmographie promettait d’être intéressant. En fait, si cette furia s’exprime lors d’une scène, il faut bien reconnaître que le film est tout aussi bavard que les précédents et que dans beaucoup de scène il ne se passe rien de croustillants. Si vous avez aimé les deux premiers Outrage pour cela, pour ce dosage de froideur bavarde et de scènes violentes qui jaillissent au moment où l’on s’y attend le moins, vous apprécierez Outrage Coda.

Une scène ordinaire : des yakuzas qui papotent.

Après, si donc comme moi vous avez fait la démarche de vous mater avant Outrage et Outrage Beyond, il peut être difficile de ne pas avoir une impression de redite. Dans le précédent opus, Otomo se fritait avec un gros poisson, le clan Sanno. Dès les premières scènes, qui se passent dans un hôtel de luxe situé dans une petite île coréenne, il ne fait pas un pli que le sujet du film va nous montrer comment Otomo va se frotter… à un autre gros poisson, cette fois-ci le clan Hanabishi.

Bis repetita donc, et si l’on tient grâce à la promesse d’un massacre promis par l’affiche, il faut avouer que l’on a un peu de mal à se sentir totalement motivé par ces gueules de yakuzas abrutis (pompon remporté par celui que joue Pierre Taki) ne songeant qu’à se tirer dans les pattes pour gravir les échelons de leur clan. Même retrouver ces vieux salauds de Nishino et Nakata (excellemment joués par les vétérans Toshiyuki Nishida et Sansei Shiomi) ne parvient pas toujours à sortir le spectateur de sa torpeur.

Petite exception ici. Une scène de Kodoku no gurume ? Non, on est bien dans Outrage Coda avec ce bon vieux Yutaka Matsushige. La scène a tout du clin d’oeil, le personnage de Goro Inogashira étant devenu plus connu depuis Outrage Beyond.

C’est aussi que le monde présenté par Kitano semble usé jusqu’à la corde. Cinq années séparent Outrage Beyond d’Outrage Coda. Les personnages ont vieilli et se posent pour eux la question de l’intérêt de continuer ou non. En cela Outrage Coda a un regain d’intérêt si on le regarde comme un film d’un réalisateur qui a l’essentiel de sa carrière derrière lui, et surtout si on le compare avec Sonatine, le premier coup d’éclat dans la filmo de Kitano. Rien de plus dissemblables que ces deux films. Sonatine présentait des yakuzas s’ennuyant à la plage et qui retombaient en enfance, succombant à des facéties de gosses, le tout n’étant pas sans déboucher sur une certaine poésie à laquelle la musique de Joe Hisaishi n’était pas étrangère. Rien de tel dans la trilogie des Outrage, et encore moins dans l’ultime opus. Dans l’imagerie des mises à mort distillées tout le long des trois films, on pouvait sourire (de manière crispé certes, mais sourire quand même) devant l’incongruité de ces exécutions présentées comme une blague sanglante souvent très imaginative. Mais les films ne sont jamais allés jusqu’à nous présenter des yakuzas potaches plongés dans des activités sans rapport avec la criminalité. L’unique exception est au début d’Outrage Coda, lors d’une scène de pêche.

On commence la film avec un sourire, mais ça ne va pas durer.

On a alors l’espoir que Kitano retrouve in extremis la voie de ce qui avait fait son succès. Mais cet espoir est rapidement balayé par le vent glacial de ces luttes intestines qui se prennent au sérieux : décidément on ne rigolera pas beaucoup dans Outrage Coda. Il y a quelque chose de pourri dans cette époque. Des vieux comme Nishino s’accrochent et ne font plus marrer, tandis que les jeunes pousses sont singulièrement ineptes et ridicules (la grotesque tentative d’assassinat de Chan). Entre ces deux extrêmes, Otomo aura la consolation de s’octroyer quelques sympathiques exécutions et surtout de donner un vigoureux coup de balai parmi les yakuzas du clan Hanabishi. Avec cependant une question : quel programme pour la suite ? Car l’atmosphère crépusculaire, qui est certes un peu un topos du genre depuis les film de Kinji Fukasaku mais qui apparaît dans cette trilogie et surtout dans ce troisième volet particulièrement sensible, a des allures de fin de carrière pour Kitano, du moins pour ce qui est de sa casquette de réalisateur faisant ses choux gras de la représentation de la violence. L’ultime scène du film, choquante et morbide (et faisant écho à une scène emblématique de Sonatine) n’est en effet pas sans apparaître comme le point final à cette violence toute kitanesque que les avatars de Kitano à l’écran incarnaient avec plus ou moins de brutalité. Symboliquement, le prochain film de Kitano, prévu pour 2018, sera une pure love story adaptée d’un de ses romans. Au moins, de ce côté-là on est rassuré. La « fin de carrière » est toute relative chez cet homme qui, quoique âgé de 70 ans, apparaît encore aussi coriace que ses personnages à l’écran.

Si vous vous posez la question, sachez qu’Outrage Coda est visible en France sur le nouveau site d’E-cinema. J’ai testé, le visionnage est de qualité, avec de bons sous-titres (malgré quelques coquilles) et une image de 1080p maximum. Et comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, sachez que le site propose aussi le visionnage de Ryuzo and the seven hanchmen, jusqu’à présent inédit en France.

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