Antiporno (Sion Sono – 2016)

Descente dans la psyché d’une jeune femme (Kyoko)  s’imaginant tour à tour modiste, actrice dans un film érotique (ou porno, on ne sait pas très bien), et ressassant ses traumatismes liés à un viol quand elle était lycéenne, au suicide de sa sœur ou encore au puritanisme hypocrite de ses parents. L’ensemble est balancé dans un shaker et servi frais par un Sono, bien décidé à ne pas servir une boisson comme les autres dans le cadre de l’opération Roman porno Reboot.

アンチポルノ (Anchiporuno)

En effet, comme le titre l’indique, il ne s’agit pas ici de proposer un roman porno comme les autres, bien dans les clous, avec une ou plusieurs actrices girondes, une intrigue limitée et une scène de sexe toutes les dix minutes. Si on visionne Antiporno dans cette optique-là, on en est très vite pour ses frais. Certes, c’est mignon de voir Ami Tomite danser en nuisette sous un air de Chopin, mais on comprend assez vite qu’en dehors de sa nudité ponctuelle, Sono ne cherchera pas vraiment à exploiter un potentiel érotique lié à la plastique des actrices. En dehors des formes de Tomite (dont les rondeurs contrastent avec les formes plus élancées des actrices vues dans White Lily et  Wet Woman in the wind), on ne peut pas dire que les actrices d’Antiporno correspondent aux canons du roman porno. Témoin Mariko Tsutsui, 55 ans et pas vraiment connue pour des rôles dénudés, ou encore les horribles personnages secondaires (l’éditrice, la photographe et ses deux assistantes affublées d’un gode michet).

Bref, Antiporno se veut un film moins sensuel que cérébral. Ou alors, si sensuel il y a, c’est moins à rattacher à la libido qu’à une orgie plastique de formes et de couleurs comme Sono en est capable. A ce titre, le film a un côté barnum qui rappellera aussi bien Strange Circus, Guilty of Romance et Tag. La couleur rouge des toilettes de l’appartement de Kyoko n’est pas non plus sans rappeler le décor d’un des tout premiers courts métrages de Sono, Keiko desu kedo. C’est coloré, alternant le chromatisme criard de l’appartement de Kyoko avec des flashbacks renvoyant au passé de la jeune femme, flashbacks visuellement plus doux. On retrouve le petit truc de la peinture qui gicle (vous ne vous souvenez pas ? Comment avez-vous pu ?) mais cette fois-ci puissance dix, puisque l’héroïne se retrouve aspergée de plusieurs pots qui se déversent sur elle du plafond :

Certes, c’est assurément du jamais vu au cinéma. Après, on peut être mesuré face une scène qui semble n’être là que pour justifier une esthétique du « toujours plus ». Et puis, le problème avec la peinture faite d’une multitude de coloris, c’est qu’à un moment cela devient une bouillie infâme :

Sans aller jusqu’à dire qu’Antiporno est faite de la même boue, je dois bien reconnaître que le film m’est parfois apparu comme une resucée plus ou moins digeste d’autres films de Sono, dans son esthétique donc, mais aussi dans son propos puisque, comme Tag avait pu le faire, on se retrouve avec un personnage à travers lequel le spectateur va avoir droit à un propos sur la condition féminine au Japon, avec une liberté pour elle qui n’est qu’apparente. La petite originalité est de montrer que les femmes peuvent être complices de la domination masculine en se comportant comme des violeuses, aussi bien physiques que psychologiques (ainsi le personnage joué par Tsutsui, tout à tout victime du sadisme de Kyoko puis bourreau, n’hésitant pas à humilier Kyoko devant un public d’hommes – on évitera ici d’expliquer comment ce retournement est possible). Mais pour le reste, on se sent beaucoup trop en terrain connu pour ressentir de l’originalité. A noter tout de même un dialogue savoureux lors d’une scène familiale mais là aussi, la représentation de la famille comme un lieu pudibond et déviant n’est guère originale dans le discours de Sono.

Papa et maman font des choses.

De même celui sur l’industrie du sexe. Pourtant on pouvait espérer que Sono allait avoir quelque chose d’un peu plus neuf à formuler dans sa vision de l’esthétique du roman porno, notamment dans ce qu’il permet artistiquement. Mais non, c’est très flou en fait. Sono ne semble pas faire la distinction entre un film érotique et une JAV, et on se retrouve donc avec une scène d’audition dans laquelle Kyoko parle face à un public d’hommes forcément antipathiques et dominateurs. Quand on songe à certains romans pornos qui s’étaient essayés à représenter des tournages de films érotiques (comme Black Rose Ascension, avec Naomi Tani), il y avait peut-être moyen de faire quelque chose de plus nuancé. Mais pour cela aussi, le titre du film annonçait finalement la couleur.

Finalement, je pense que je préfèrerais Whispering Star, film qui pourrait apparaître comme un « anti-Antiporno ». Les deux présentent un personnage féminin coincé dans un espace (un vaisseau spatial pour le personnage de Megumi Kagurazaka, un apprtement pour Kyoko). L’une est quasi muette, l’autre hystérique. L’une est tout le temps habillée, totalement désexualisée, l’autre n’hésite pas à déballer une plastique faite pour satisfaire l’amateur de roman porno. Whispering Star est lent, étiré dans sa quasi absence d’intrigue, Antiporno est condensé et rythmé par ses succession de séquences et ses flashbacks. L’un est en sépia, l’autre arbore un univers chamarré et agressif. Deux esthétiques différentes, deux tentatives de se renouveler mais des deux, celle concernant Whispering Star apparaîtra comme la plus courageuse et la plus authentique car ne faisant penser à aucune des précédentes œuvres de Sono. On se posera la question de l’ennui car Whispering Star n’apparaît pas vraiment comme un film trépidant, c’est vrai. Néanmoins j’en arrive au point où je commence à ressentir un peu d’ennui face aux films dans lesquels Sono « fait du Sono », c’est-à-dire en nous balançant à la gueule un pot de peinture accompagné des cris hystériques des personnages et d’un enrobage de musique classique, le tout pour un discours féministe déjà entendu.

Bref, vous l’aurez compris, petite déception en ce qui me concerne que ce Antiporno. Et petite déception jusqu’à présent pour l’opération Roman Porno Reboot, même s’il me reste à voir Dawn of the felines et Aroused by Gymnopedies. Pour l’instant, mon classement par ordre d’intérêt suit celui de mes visionnages :

  1. White Lily (le plus académique et finalement celui que je reverrais le plus volontiers)
  2. Antiporno (surtout parce que Ami Tomite en tenue d’Eve, c’est quand même quelque chose).
  3. Wet Woman in the Wind (un peu foiré dans sa recherche d’originalité, avec un érotisme rappelant les tentatives absurdes de Kiyoshi Kurosawa dans ce domaine).

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2 Commentaires

  1. On n’a pas encore parlé de Mariko Tsutsui, mais entre son rôle ici et celui dans « Harmonium », je commence à m’inquiéter pour sa santé mentale.

    C’est rare de voir une actrice, surtout à son âge, enchaîner des rôles aussi durs…

    Et sinon, comme toi, déception pour le moment avec ce reboot… A croire que je vieillis, mais je vote également pour le classicisme.

    • « On n’a pas encore parlé de Mariko Tsutsui, mais entre son rôle ici et celui dans « Harmonium », je commence à m’inquiéter pour sa santé mentale.

      C’est rare de voir une actrice, surtout à son âge, enchaîner des rôles aussi durs… »

      Ne pas oublier non plus son rôle dans Minna Esper dayo où elle joue la mère du héros, avec t-shirt estampillé « Tenga girls » et mari à la langue frétillante :
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      Pour les deux films qu’il reste à visionner, je parierais bien une pièce sur Dawn of the felines, avec ses trois bijins et son Ikebukuro nocturne.

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