Les derniers traits de Taniguchi

Et le voici donc le tant attendu ultime album de Jiro Taniguchi, décédé le 11 février dernier.

Si ses dernières œuvres ne m’avaient pas vraiment fait vibrer, j’attendais malgré tout avec curiosité cette Forêt Millénaire, fruit d’une collaboration avec les éditions Rue de Sèvres et destiné à couvrir cinq tomes. On le sait, Taniguchi n’aura eu le temps que de terminer le premier tome et de faire le découpage préparatoire du second. Du coup la lecture de cette histoire courte (une quarantaine de planches) a de quoi frustrer et de donner impression que la gigantesque carrière de Taniguchi s’achève sur une œuvre sans commune mesure avec ses précédents chefs-d’œuvre.

Et pourtant, il y a bien un certain charme à lire cette histoire destinée avant tout à un public d’enfants, en couleurs et disposée dans un format à l’italienne. Impossible de ne pas penser à Miyazaki devant cette histoire d’un garçon de dix ans, Wataru Yamanobe, devant vivre auprès de ses grands-parents à Kaminobe, « un village au fond de la montagne », en attendant que sa mère hospitalisée aille mieux. Assez vite, il ressent de la fascination pour une forêt mystérieuse et s’aperçoit qu’il est capable de ressentir certaines choses en contact avec elle. On songe ici à Totoro et à son duo de gamines découvrant la vie à la campagne avec leur père pendant que leur mère malade guérit à l’hôpital. Mais on songe aussi à Mononoke et à sa forêt peuplée de créatures issues d’un monde mythologique, et à d’autres films encore mettant en scène des personnages d’enfants pas comme les autres, disposant de pouvoirs leur permettant d’entrer en contact avec les forces vive de la nature. Les autres tomes auraient dû évoquer la rencontre d’une petite fille ayant les mêmes pouvoirs que Wataru et le début d’une collaboration entre les deux enfants pour empêcher un projet minier mettant en péril l’équilibre de la forêt (là aussi, on songe à Mononoke).

 

Taniguchi avait prévu à l’origine de faire cinq tomes avant que la maladie ne le frappe et lui fasse plutôt envisager un développement sur trois volumes. Le pauvre sera finalement très loin du compte mais peu importe, le maître a terminé sa carrière avec son désir de travailler selon les critères de la BD franco-belge. Connaisseur et admirateur de notre BD, Taniguchi avait de plus en plus pris ses distances avec le système de publication des mangas, ayant assez donné aux délais hystériques et à la production éreintante que les mangakas se doivent de tenir. Aspirant à plus de sérénité, à un travail lui donnant une entière liberté, il s’est donc livré à une histoire hybride, tenant à la fois du manga, de la BD et du livre pour enfant, histoire certes inachevée mais qui par son inachèvement donne l’envie qu’elle soit perpétrée. Pas forcément dans le sens qu’elle soit achevée par d’autres dessinateurs, mais dans celui que Taniguchi, en inventeur de nouvelles formes, soit suivi par d’autres mangakas fatigués par l’éternel format du tankobon. C’est en tout cas le souhait de Motoyuki Oda, l’éditeur chez Shogakukan chargé de la publication au Japon.

En attendant de voir peut-être cela, il reste les milliers de planches de Taniguchi à lire ou à relire, masse considérable qui trouve finalement une conclusion assez belle avec ce livre et ses toutes dernières planches formant un hymne à la nature éternelle. Formant un somptueux écrin chargé du vert de la forêt, on se dit que cela ne pouvait qu’être le meilleur tombeau pour accueillir Taniguchi sensei.

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5 Commentaires

  1. Merci pour cet article, j’ai hâte de le lire son ultime oeuvre.
    Pur hasard, mais je viens de finir le deuxième tome de « les contrées sauvages » et je ne sais pas trop quoi en penser. Comme d’habitude, les dessins sont fantastiques. Les scénarios par contre…
    Je n’ai apprécié aucune histoire, voir même le contraire, pour certaines j’ai dû m’y prendre à plusieurs fois pour les lire. Heureusement qu’il y avait les panoramas pour compenser.
    Bon, pour sa défense, les histoires ont plus de 30 ans, peut-être qu’il se « cherchait » encore.

  2. « Se chercher », je ne pense pas. Mais se faire plaisir en essayant un truc pas forcément fait pour connaître un gros succès, sûrement. C’est son côté touche-à-tout qui l’a parfois amené à commettre des titres dispensables. Bon, cela dit, j’aimerais bien jeter un oeil un jour à ses mangas érotiques. 🙂

  3. Pas évident de répondre car ce sont des histoires qui ont été publiées dans des magazines érotiques il y a longtemps, pas sûr que ça ait été édités dans des recueils. Dans son livre d’entretiens avec Benoît Peeters (excellent ouvrage) il y a une histoire intitulée Roses et sang qui est citée.Sinon tu as un aperçu de cette facette dans ses polars ou dans Garouden :
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    • Ok merci!
      Effectivement, ses polars contiennent pas mal de scènes assez osées.
      Si je trouve quelque chose de mon côté je te tiens au courant.

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