Hazard (Sion Sono – 2005)

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Shin, jeune étudiant de Tokyo, décide de larguer les amarres et d’aller découvrir le monde dangereux de New York, la vie au Japon lui apparaissant lénifiante et dépourvue du moindre intérêt. Très vite son séjour tourne au cauchemar car il se voit dépouiller de ses affaires par deux racailles profitant de son incroyable naïveté. Mais alors qu’il se trouve sans ressources et se demande ce qu’il pourrait bien faire, il fait la connaissance d’un étrange duo : Lee et Takeda. L’apprentissage commence…

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Je crois avoir lu quelque part (sans doute l’interview de Sono sur Tomblands) que Sono considérait Hazard comme une sorte d’œuvre matricielle de son travail. On le croit volontiers tant le film fait figure de trait d’union entre d’un côté les premières œuvres et l’implication de Sono dans le collectif Tokyo GAGAGA, de l’autre les œuvres de la maturité dans lesquelles des personnages sont plongés dans un maelstrom d’événements. Vu il y a longtemps, Hazard m’avait laissé une image de film hystérique. Normal me direz-vous pour un film de Sion Sono, mais là, il s’agissait vraiment d’une hystérie puissance dix. A la revoyure, cette impression était largement confirmée notamment par le jeu outrancier de Jai West dans le rôle de Lee. On pourra trouver les scènes dans lesquelles il apparaît parfaitement insupportables, limite irregardables et pourtant, si vous êtes in ze mood, il est probable que vous trouviez cette hystérie réjouissante et fascinante, comme une sorte d’émanation logique d’un monde fantasmatique que le héros s’est créé.

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Takeda, Lee et Shin.

Car il y a au début un côté Magicien d’Oz dans Hazard. Peut-être est-ce l’insistance sur le mot Hazard au début du film et la lettre Z qui le compose, mais il y a dans l’apprentissage de Shin quelque chose de celui que connaît Dorothy. Les deux personnages ont en commun de trouver un ailleurs qui correspondent à leurs rêves. Cet « over the rainbow », Shin le découvrira par hasard dans la bibliothèque de son université : un ouvrage présentant les destinations les plus dangereuses et sur la couverture duquel apparaît une statue de la Liberté armée d’un fusil mitrailleur :

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Flanqué d’une petite amie insignifiante, englué dans une société japonaise présentée comme à la fois soporifique et ne laissant aucun répit, Shin décide aussitôt de larguer les amarres. On le voit courir hilare sur le parc du campus, sous les yeux médusés des autres étudiants : le « décollage » (voir plus bas) pour le voyage over the rainbow commence.

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A New-York, le jeune homme tombe amoureux d’un T-shirt sur lequel le mot « Hazard » est écrit en gros. Il l’achète et se met en tête qu’en fait Hazard désigne un quartier particulier dans New York. C’est le début d’un mini-périple durant lequel il ne recontrera pas l’homme de paille, l’homme machine et le lion, mais un taximan qui le vire au bout de cinq minutes, deux racailles qui vont le dépouiller et tout à la fin, deux histrions, deux François Villon, deux bandits poètes de la vie, Lee et Takeda qui vont d’emblée l’initier à l’art du braquage de supérette improvisé. Et mine de rien, Shin aura avec ces deux gus véritablement trouvé son « Hazard ». Antithèses absolues du salaryman japonais, les deux jeunes hommes ont une manière de vivre ravageuse et laissant libre court au hasard, à l’improvisation, transformant les scènes de la vie quotidienne en saynètes incongrues et parfois poétiques. Entrer dans une supérette avec eux est donc prendre un risque, celui de voir l’achat de quelques bidules se transformer en un braquage tout en cabotinage franchement drôle. Les coups pourront partir, mais magiquement ils ne causeront aucun dommage. Quant à les accompagner dans leur tournée de glace dans la camionnette (précision : Lee possède une entreprise de vente de crème glacée), revient à vendre une glace « speedball » et à faire monter avec eux en cours de route deux jeunes femmes amies avec lesquelles ils se gaveront de glaces et de baisers avant de faire une halte improbable sous la pluie, dans une déchetterie, sur un monticule de détritus dans des K-way colorés :

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Très loin de l’apprentissage japonais de la vie professionnelle, Shin est à l’apprentissage du n’importe nawak poétique et salvateur, du fay ce que voudra qui va transformer Shin en un homme nouveau (sens de son prénom).

Il serait intéressant de savoir ce qui a pu pousser Sono à modifier un projet original assez sombre (de mémoire, je crois qu’il projetait de faire une histoire sur un meurtrier faisant dans le SM) pour ce film beaucoup plus lumineux avec des accents autobiographiques. On se gardera bien de dire que dans Hazard Sono=Lee ou Shin, mais lorsque l’on apprend que Lee a pour passe-temps d’éructer de la poésie à demi nu dans les rues de New York…

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… impossible de ne pas faire le lien avec Tokyo GAGAGA. Pour rappel il s’agissait d’un collectif qui se répandait spontanément dans des rues fréquentées de Tokyo pour hurler de la poésie au milieu d’une foule de Tokyoïtes à mille lieues de ce genre de préoccupation artistique. Le documentaire de Beinex (le fameux Otaku) est devenu particulièrement précieux du fait qu’il donnait un exemple de cet aspect du passé de Sono :

A la tête du cortège bariolé, on voit un jeune Sion Sono demandant à un moment : « où est notre piste de décollage ? », phrase qui interpelle celui qui aurait vu Hazard car le motif de la piste de décollage y est bien souvent évoqué, notamment lors de cette scène où Shin « décolle » de son campus mais aussi dans ce plan figurant un Shin enfant s’élançant sur une piste en battant des bras, décollage métaphorique qui permet à ceux qui le tentent avec conviction de s’évade, voire de transformer leur vie :

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Quand on à la fin Shin retrouvera ses pénates tokyoïtes, il n’aura plus aucun rapport avec celui qu’il était au début. Débarquant au carrefour de Shibuya il regarde l’endroit d’un air émerveillé, chose qu’il ne faisait probablement pas auparavant, englué qu’il était dans un quotidien qui ne lui faisait plus remarquer l’extraordinaire apparence de certains endroits. D’où ce besoin de découvrir de nouveaux horizons comme New York pour rêver de nouveau. Mais après la découverte de New York et surtout la formation concoctée par maître Lee, Shin n’a plus besoin d’exotisme. Pouvant dorénavant transformer n’importe quelle banalité en rêve (cette petite pièce d’un penny qu’il transforme en pièce d’un million de dollars), il va pouvoir faire de Tokyo son nouveau terrain de jeu poétique. Habillé en clochard, il se fait immédiatement repéré par une bande de jeunes qui l’agressent. Le scénario de New York semble alors se répéter. Sauf que Shin est bien alors un homme neuf et à tôt fait de retourner l’agression contre ses assaillants :

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Devenu un avatar de Lee, on peut supposer qu’il va parvenir à embringuer avec lui d’autres âmes peu faites pour le métro-boulot-dodo de Tokyo. Le film n’ira pas jusqu’à nous expliquer que Shin fera par la suite des films où la noirceur côtoiera boobs et petites culottes du meilleur effet, mais il s’en faut de peu. En attendant, on ne doute pas que Shin ne va pas tarder à remplacer le noir et blanc de Tokyo lors de cette scène par les couleurs de ses rêves et de ses fantasmes.

De par sa nature outrancière et liée à certains aspects du passé de Sono, Hazard est un film à conseiller en priorité à ceux qui connaissent déjà un brin la carrière de Sono, même si débarquer en pleine terra incognita, un peu comme Shin à New York, pourrait constituer aussi une expérience intéressante. Bref, à vous de voir. Ce qui est sûr, c’est que Hazard propose un voyage dans les rues de New York totalement vivifiantes et originales, porté par des acteurs remarquables dans leur registre (curiosité de voir aussi un Joe Odagiri relativement jeune), avec des scènes survoltées filmées caméra à l’épaule qui annonce le dynamisme enivrant de films à venir.

7,5/10

 

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9 Commentaires

  1. Si Sono Sion a fait ce projet plutot que celui du sérial killer, c’est qu’en allant aux état-unis avec son équipe et ces acteurs, il a eu le malheur d’apprendre que le producteur s’était barré avec l’argent de la production. Et s’est donc dis que quitte à être aux Etat Unis, autant faire un film, sur un scénario qu’il avait déjà écris.

    • Oui, je savais qu’il avait alors un producteur malhonnête mais je me demandais si Hazard avait été du coup réalisé de manière plus ou moins improvisé ou s’il avait alors un scénario préparé dans ses cartons. Dans les deux cas le lien avec le passé d’activiste de Sono saute aux yeux et j’aimerais bien trouver une trace d’une interview de Sono dans laquelle il s’expliquerait sur la genèse de cette histoire.

      • Je pense que Sion a des milliers de scénarios en stock ne demandant qu’à être mis en boite. Why don’t you play in hell entre le jour où il a été écris et réalisé, il s’est passé 10 ans. Il a du se dire que son scénario correspondait aux acteurs présents et au lieu où il était. ^^

  2. Je suis tombé là-dessus par « hazard ». Un bout du making-of du film.

  3. A propos de tournage, mais pas de celui-là, ai vu passer aujourd’hui la news selon laquelle avait commencé celui des premiers épisodes de… l’adaptation de Love Exposure en « dorama ».
    D’où la question que je me suis illico posée: mais que Sono Sion cherche-t-il là? Autrement dit: peut-on vraiment réussir à faire mieux en feuilleton télévisé que ce qui, en version ciné, était déjà une oeuvre plutôt pas mal aboutie – voire culte, pour certains? Ou est-ce juste pour faire rentrer du cash?
    (mais peut-être que BdJ a déjà évoqué cette sérialisation à venir et donc que cela m’a échappé, auquel cas sorry d’avoir dérangé 😉

    • Tu m’apprends cette nouvelle. Vérification faite il s’agirait d’une version longue de Love Exposure utilisant une heure de rush supplémentaire et qui sera saucissonnée en 10 épisodes de 30 minutes. Ce qui est déjà mieux qu’une version qui aurait tout repris à zéro avec de nouveaux acteurs. Mais oui, je suis d’accord, ça paraît difficile de faire mieux que le film et son flux narratif infernal.

  4. J’étais pas au courant non plus, merci! Etrange concept mais intrigant…

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