La Tragédie de W (Shinichiro Sawai – 1984)

tragédie de W

Une troupe d’acteurs à Osaka souhaite faire l’adaptation de la Tragédie de W, sombre histoire dans laquelle une riche famille se déchire suite au meurtre du grand-père, a priori tué par Mako, sa petite-fille. Shizuka Mita, qui souhaite par-dessus tout devenir une star, va devoir ronger son frein encore un peu car elle n’obtient que le rôle de la servante alors qu’elle pensait obtenir celui de Mako. Mais la situation tourne à son avantage lorsque la star du film, la chevronnée Sho Hattori, la fait un soir entrer précipitamment dans sa chambre d’hôtel. Alors qu’elle faisait des galipettes enfiévrées avec un riche protecteur de la première heure, ce dernier a cru bon de mourir d’une crise cardiaque, la laissant indécise sur la marche à suivre : appeler la police, révéler au grand jour et susciter un scandale risqué pour sa carrière, ou bien proposer à Mita de prendre le cadavre dans sa chambre et d’inventer une histoire sur une relation entre eux ? Evidemment, pour le cas où Mita accepterait cette dernière proposition, Sho s’engagerait à tout faire pour que le rôle de Mako lui échoie…

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Wの悲劇 (W no Higeki)

Pour moi, un titre avec un « W » est très évocateur. Que ce soit W de Pérec ou MW de Tezuka, cette lettre est dans mon imaginaire immédiatement assimilée à une symétrie (narrative ou autre) qui n’appelle rien de bon pour les personnages. Et comme cela faisait un certain temps que je n’avais pas vu un film Kadokawa de cette époque, c’était avec une curiosité certaine que j’entamai le visionnage d’un film sur le théâtre et les ambitions d’une actrice, thématique qui rappelait d’autres bons souvenirs, je pense évidemment à All about Eve de Mankiewicz.

Assez vite, la symétrie propre au W m’est apparue à travers différents aspects. « W », c’est avant tout Wasisuki, le nom de la riche famille de la pièce. Pour le metteur en scène qui s’occupe de la troupe, il peut aussi renvoyer à  « women » puisque l’intrigue de la pièce va mettre aux prises une mère et sa fille, toutes deux obsédées par l’idée de protéger l’autre des conséquences du crime.

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Shizuka Mita et Sho Hattori, auxquelles on pourrait opposer un autre couple de femmes, celui formé par Mita et sa concurrente Kikuchi.

Mais ce W peut aussi se voir dans sa symétrie comme le symbole d’un phénomène d’écho, de miroir, qui va complexifier l’intrigue. Mita est ainsi le doubletragedie w 4 juvénile de Sho qui se rappelle ses jeunes années de comédienne ainsi que les efforts, les sacrifices qu’elle a dû faire pour en arriver à son statut de star.  Années de vache maigre durant lesquelles il a parfois fallu faire des concessions peu reluisantes avec des hommes. Il n’en va pas autrement de Mita qui, malgré sa réputation de jeune femme encore vierge, est vue dès le début de film en train de coucher avec un acteur de la troupe. L’histoire se répète avec une actrice en devenir et l’on ne doute pas vraiment que Mita va se muer peu à peu en star, même s’il restera à déterminer la valeur, le degré d’authenticité de ce statut…

Après, au-delà du duo Mita / Sho,  le quotidien de la jeune femme lui-même va se mettre à jouer de certains effets de miroirs. Plus précisément avec l’intrigue propre à la vie de comédienne de Mita, intrigue qui va entrer en résonnance avec l’intrigue de la pièce. Pas de meurtre tragédie w 5mais au moins un mort avec cet homme d’affaires qui meurt en compagnie de Sho, et un accord entre les deux femmes, accord qui trouvera son écho dans une révélation de l’intrigue théâtrale. Après, on ne dira pas non plus que le spectateur est perdu entre les deux univers à la manière d’un film de Lynch mais le dédoublement est intéressant en ce qu’il annonce un autre, celui de la personnalité même de Mita. Alors qu’au début du film elle rencontre un jeune homme désireux de sortir avec elle, celui-ci, en apprenant qu’elle joue dans une troupe de théâtre, lui révèle qu’un de ses amis a autrefois décidé d’interrompre ses activités théâtrales dès qu’il s’est aperçu que le souci obsessionnel du jeu d’acteur contaminait ses émotions dans la vraie vie. Pleurait-il en apprenant latragedie w 8 mort d’un proche que tout de suite une voix intérieure lui chuchotait que tout cela était factice, pur produit d’un vieux réflexe de comédien. Dès le début du film, il y a quelque chose de fébrile dans la manière d’être de Mita. Alors qu’elle marche dans un parc, elle se met soudainement à déclamer à voix haute des répliques, comme inconsciente de la frontière entre monde réel et monde théâtral. Et plus tard, alors qu’elle doit s’exprimer face à des journalistes à propos d’une liaison supposée avec l’homme d’affaires retrouvé mort, elle se met à improviser en inventant une histoire et ce à grand renfort de larmes et de trémolos dans la voix. Comédienne achevée, Mita l’est certainement mais à quel prix ? Comme dirait Hamlet, that is ze questieune.

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La conférence de presse en question. A noter un certain nombre de plans-séquences permettant justement de restituer une certaine performance théâtrale. Particularité du film dans l’ensemble réussie.

Sur le papier, avec tous ces effets de dédoublements on se dit que le film doit être réussi, surtout lorsqu’en plus on sait que l’actrice dans le rôle principal n’est autre que Hiroko Yakushimaru. Pour peu que l’on s’intéresse à une certaine culture populaire japonaise issue des années 80, Yakushimaru évoque tout de suite cette l’idole iconique qui a joué dans la première version de Sailor Fuku to Kikanju, énorme succès populaire de 1981.

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Dans un rôle ici beaucoup plus adulte, il était intéressant de voir si l’idol allait avoir suffisamment de coffre pour prouver qu’elle était capable de jouer destragedie w 6 personnages moins manga. D’une certaine manière, l’histoire de cette Shizuka Mita peut être perçue comme la propre histoire de Yakushimaru, petite idole insignifiante qui, par quelques tours de passe-passe, va se voir propulsée comme actrice de talent. Après le visionnage de W, il faut reconnaître que sa prestation n’est pas sans qualités mais aussi qu’il y manque quelque chose pour être pleinement convaincante, du niveau de celle de Yoshiko Mita dans le rôle de Sho. Des plans nous la montreront à la fin avec des atours propres à la star (des lunettes noires, une robe robe élégante, une voiture avec chauffeur…) mais il subsistera à chaque fois une impression d’une image artificielle de laquelle est prête à jaillir à tout moment, celle de l’ancienne idole. Il ressort de tout cela un sentiment mitigé. Ce sentiment d’imperfection convient finalement si l’on voit dans l’ascension de Mita quelque chose de faux tournant en dérision aussi bien les trompettes de la renommée (Mita qui est quasiment sommée par les journalistes de s’expliquer sur ses relations sexuelles avec l’amant de Sho) que la méthode Stanislavski, discrètement raillée par le comédien avec qui elle fait l’amour au début du film et qui conseille à Mita, soucieuse de bien jouer ce rôle où il faut crier, d’aller se faire la voix sur les marchés.

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Pour le cas où l’on serait moins sensible à ces aspects (pas non plus très développés), on pourra très vite avoir l’impression d’un film mou qui avait tout pour être passionnant mais qui, enfoncé dans une certaine retenue, peut-être dans un certain respect de la petite personne de l’idol Hiroko chan, ne tient pas vraiment ses promesses. On espère de l’antagonisme entre les comédiens qui va leur faire révéler des zones sombres de leur personnalité, mais les quelques paroles un peu dures échangées pèsent peu face à la volonté du réalisateur de s’attarder quasi exclusivement sur le personnage de Mita. L’agressivité, une certaine bassesse d’âme, auraient pu donner plus d’attrait à cette troupe de comédiens dont l’immense majorité apparaît de manière trop discrète. Il faut croire que le réalisateur a plus été tenté par la lumière que l’ombre, comme le symbolise le plan final, plan cucul qui nous situe à des années lumière d’All about Eve.

Le film fit un flop et incita le producteur Haruki Kadokawa (déjà derrière le projet Sailor fuku to kikanju et qui allait bientôt être connu pour une sombre affaire d’importation de cocaïne) à ne plus produire de films pour le reste de la décennie. Conclusion ironique pour quelqu’un connu jusqu’alors pour vendre efficacement ses films de manière agressive. Il faut croire que les trompettes de la renommée, efficaces dans le film, jouèrent assez mal en dehors malgré la présence de Yakushimaru. Ultime effet de symétrie inversée qui n’a sans doute pas été prévu mais qui n’est pas sans saveur pour un film traitant de la difficulté à devenir un artiste reconnu et à le rester.

5/10

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4 Commentaires

  1. Ce film au titre en effet nimbé de mystère semble nouer plusieurs liens complexes et, d’après certains photogrammes, être empreint d’une précieuse esthétique nocturne, notamment pour les scènes d’intérieur. J’ose une digression : « W » est encore la lettre qui ouvre le mot « Wimbledon », dont Nishikori aimerait bien percer les arcanes 🙂

    • Bien vu.
      Mais quelle tragédie pourrait bien avoir lieu cette année sous les yeux de la reine ? J’imagine ceci : Murray l’Ecossais qui remporte la finale et qui, au moment de la remise du trophée, baisse son calbut pour montrer au public ahuri ces quelques mots écrits au marker sur le postérieur : « NOW EXIT SCOTLAND ». Ce serait grand, ce serait beau.

      • Tu écris juste : Murray a toujours été un fervent partisan de l’indépendance de l’Ecosse et il l’a fait savoir très clairement. Je vois sinon deux autres scénarios de tragédie possible : la défaite de Murray en finale après avoir gagné brillamment les deux premiers sets, sans hasard contre Djokovic ; ou bien encore – scénario je l’accorde presque impossible, uchronique avant l’heure – la victoire d’un Français. Un troisième scénario me vient, peut-être plus improbable encore que le précédent, c’est tout dire : une crise cardiaque de Lendl sur la balle de match de son protégé. Si j’écris cela, c’est pour dire combien il est d’ores et déjà flagrant que la trempe d’Ivan calme Andy, l’imprègne d’un désir de vaincre maîtrisé.

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