Hikaru no go ou le plaisir de ne pas comprendre

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Rares sont les séries de plus de cinquante épisodes qui peuvent se targuer de m’avoir donné envie de les visionner une deuxième fois. Encore plus quand il s’agit d’un Shonen, genre pourvoyeur d’un plaisir certain mais suivant des sentiers archi rebattus et faisant bien souvent la part trop belle à la baston. Mais avec Hikaru no Go, adaptation du manga des fameux  Hotta et Obata (Death Note, Bakuman…), c’est différent :

Hikaru Shindo est un collégien qui découvre un jour, dans le grenier de son grand-père, un vieux goban (plateau permettant de jouer au go) sur lequel est incrustée une tache de sang qu’il est le seul à voir. Immédiatement après avoir touché le goban, Hikaru est saisi par une force mystérieuse et s’évanouit. Au réveil, il s’aperçoit que l’esprit d’un maître de go de l’époque Heian, Sai Fujiwara, le suit dorénavant où qu’il aille. C’est le début d’une cohabitation qui va éveiller peu à peu Hikaru au go…

Pas de kamehameha, de chasses au trésor ou de combats sanguinaires au katana. Et pourtant il s’agit bien d’affrontements, affrontements se faisant par le biais de cette arme :

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 le goishi, petite pierre de quelques grammes.

Arme légère, en apparence inoffensive, et pourtant il s’agit bien d’une arme, avec ce que cela suppose de dégâts infligés à un adversaire. C’est la première réussite d’ Hikaru no go : saisir l’intense lutte psychologique d’un match, lutte qui rappelle la fameuse phrase d’Oscar Wilde sur les échecs : « Si vous voulez détruire un homme, apprenez-lui le jeu d’échecs ». Certes, la plupart des parties jouées dans HNG sont bien souvent exécutées avec une bonne entente entre les adversaires. Mais il en est d’autres dénotant aussi l’envie de détruire, d’humilier, de faire mal. D’autres aussi où l’enjeu est tellement important que la défaite est perçue comme un déchirement que le personnage aura bien du mal à surmonter (ici on songe à la phrase de Francis Spiner : « La solitude du joueur d’échecs à l’approche du mat est semblable à celle du condamné. »). Dans ce type de partie, la réalisation donne à voir des plans courts et utilise une musique volontiers épique :

N’imaginons pas avec cette musique que le sang coule, les joueurs étant moins des troufions au corps-à-corps que des généraux d’armées se livrant de loin à des stratégies de haute volée. En revanche, on sent bien le nekketsu, cette sorte de colère, d’irruption subite des émotions qui incite le personnage à se dépasser. Le nekketsu est ici plus contrôlé, moins exubérant que dans une série du type Saint Seiya, mais bien sensible et d’autant plus impressionnant qu’il est exprimé par un personnage en seiza (posture sur les genoux), quasi immobile, face à un goban. On ne comprend pas forcément ce qu’il se passe à l’écran, le haut niveau des coups joués étant franchement hiéroglyphiques, mais on est happé par ce que l’on voit, et on apprécie.

Exemple à 7:43

Ceci est d’ailleurs l’autre tour de force d’HNG. A priori, suivre une série tissant son intrigue autour d’un jeu dont on ne connaît pas les règles n’a rien d’engageant. Evidemment, les auteurs ont glissé au début de la série quelques éléments pédagogiques afin de donner au lecteur/spectateur quelques rudiments. Après, il faut bien avouer que cela reste bien insuffisant pour permettre au novice d’être à l’aise face à un jeu qui a la réputation d’être ardu particulièrement au début de l’apprentissage. J’ai souvent essayé de me mettre au go, j’ai à chaque fois abandonné devant la subtilité épurée et profonde du placement des pions. HNG nous fait comprendre que dans ce jeu il est question de territoires. Le gagnant est celui qui en a le plus. Simple, clair, efficace. Et pourtant il peut être assez difficile de saisir la progression des coups et surtout ce qui fait qu’à un moment donné, la partie est terminée, elle peut arrêter d’être jouée parce qu’un joueur n’a plus aucun chance de gagner. En cela le go n’est pas différent des échecs lorsqu’un joueur professionnel décide d’abandonner au grand étonnement du débutant qui pensait qu’il pouvait continuer. Mais face à ce goban où une multitude de pierres semblent tisser de complexes constellations cachant un sens quasi mystique, le cap à franchir pour en saisir les subtilités semble tout de suite plus important.

Au Japon, chaque épisode était suivi d’un court programme d’apprentissage intitulé Go Go igo ! et présenté par Yukari Umezawa, une professionnelle du jeu. Petit complément qui permettait de mieux saisir certains points.

Du coup on peut se demander quel est l’intérêt de voir des joueurs prodigieux à l’écran s’ingénier à sortir des coups de la mort, coups, que le simple néophyte ne peut évidemment saisir. Sûr que le connaisseur en go qui connaît les arcanes du jeu doit méchamment bicher mais pour les autres, l’intérêt doit être bien maigre. Et pourtant, un peu à la manière d’Akagi (série adaptée d’un manga de Nobuyuki Fukumoto et ayant pour sujet le mahjong), la connaissance précise des coups et de leur portée n’a aucune espèce d’importance puisqu’elle est compensée par une mise en scène immersive qui nous donne à sentir la tension de certaines parties, ou les sommets intellectuels que d’autres atteignent, et cela est largement suffisant pour éprouver du plaisir et avoir envie de continuer le visionnage de la série. D’autant qu’Obatta et Hotta ont dans cette série particulièrement excellé à imaginer toute une galerie de joueurs et à les rendre attachants dans l’esprit du lecteur/spectateur qui du coup fantasme sur ce que pourrait être la confrontation entre tel ou tel et jubile lorsqu’elle se produit pour de bon.

Ainsi Sai vs Toya Meijin, confrontation que l’on espère de voir dès les premiers épisodes et qui a bel et bien lieu, mais bien plus tard.

Enfin, HNG est tout simplement très bon dans son histoire et dans la vaste galerie de personnages qu’elle va développer, qu’il s’agisse d’adolescents ou d’adultes. Très vite, comme dans tout shonen qui se respecte, Hikaru va se trouver un rival en la personne d’Akira Toya, jeune prodige du go de son âge, et fils de Koyo Toya, l’actuel Meijin (sorte de yokozuna du go, Meijin étant un des titres les plus importants, si ce n’est le plus important).

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Hikaru et Akira

Hikaru le rencontre au début dans une salle de go et joue une partie contre lui en sa gardant bien de lui dire que les coups qu’il joue sont ceux que lui dicte Sai. Il le bat à plate couture et finalement suscite chez Akira une envie bien précise : connaître qui est cet Hikaru surgit de nulle part, qui tient ses pierre comme un manche et qui a pourtant un niveau de jeu équivalent à celui de son père. Inversement Hikaru, en voyant la ferveur qui anime un enfant de son âge envers un jeu qui lui ne l’intéresse pas, commence à se prendre d’intérêt pour ce jeu et avoir envie de commencer à jouer avec ses propres moyens. C’est véritablement le coup de génie du scénariste : doubler la traditionnelle rivalité entre deux personnages avec celle qui va peu à peu s’installer entre Hikaru, toujours plus désireux de progresser, et Sai, dépendant de la réalité physique de son disciple pour jouer et brûlant de se frotter aux joueurs extraordinaires qu’il rencontre dans ce XXème siècle. Et cette deuxième rivalité est d’autant plus forte que Sai apparaît très vite comme une sorte de père tutélaire. Le véritable père d’Hikaru existe, mais jamais il ne nous est montré. C’est que Sai l’a remplacé et va, sans s’en rendre compte au début, opérer un véritable travail de transmission dans l’esprit de son jeune disciple. Et la relation Sai-Hikaru va peu à peu s’étoffer et prendre de l’épaisseur. D’abord sorte de grand frère camarade puis, lorsque Hikaru aura progressé au point de devenir insei (étudiant en go qui s’apprête à passer pro), Sai deviendra un maître plus intransigeant. Avec une bascule dramatique qui va peu à peu devenir plus évidente : comme la raison d’être de Sai est le go (il ne « vit » que pour cet art qu’il n’a de cesse de perfectionner afin d’atteindre un jour ce qu’il nomme « le coup de Dieu »), ne s’aperçoit-il pas qu’en faisant travailler Hikaru dans ce domaine il risque un jour de ne plus pouvoir jouer du tout ? Quand Hikaru passera pro et fera comprendre à Sai que son travail de passeur est finalement achevé, ce personnage tout en noblesse aura une prise de conscience amère et la relation Sai-Hikaru touchera au sublime par le biais d’un événement tragique…

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Merveilleux Sai…

Au-delà de cette relation, notons aussi celle qui va se tisser entre les jeunes pros et les anciens, ces derniers étant à la fois fascinés et pleins de prudences vis-à-vis cette jeune génération qui progresse dangereusement. Là aussi, les personnages développés par Hotta (le Meijin, Ogata, Honinbo Kurawara, Kurata…) tiennent leur promesse et contribuent à parfois s’éloigner d’une ambiance ado monotone et un brin cucul.

En y réfléchissant bien, Hikaru no Go est le shonen le plus intelligent que je connaisse. Toutes les recettes du genre s’y retrouvent mais cela est fait avec un réel brio tant le sujet de base semblait en apparence peu adapté. Rendre dynamique et passionnant un jeu statique et austère, éveiller l’intérêt du néophyte tout en ne ménageant pas un réalisme et une technicité dans le jeu propres à satisfaire le connaisseur, tels étaient les paris à relever par le duo Hotta/Obata et les concepteurs de la série. Paris plus que tenus.

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