Ryuzo and the Seven Henchmen (Takeshi Kitano – 2015)

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Ryuzo est un vieux yakuza old school qui a bien du mal à perdre ses vieilles habitudes. Un jour, il tombe au téléphone sur quelqu’un qui essaye de l’escroquer en se faisant passer pour son fils. Devant tant de déloyauté, Ryuzo décide de reprendre les gants pour partir en guerre contre le gang de Nishi, jeune yakuza à lunettes à qui il faut semble-t-il apprendre ce qu’est un vrai yakuza…ryuzo

Bon, par où commencer ?

Par ceci : après deux films sérieux, il fallait bien s’attendre à ce que Kitano nous livre une nouvelle pitrerie. C’est chose faite avec ce Ryuzo qui, dès la B-A aperçue en début d’année, m’avait laissé quelques craintes. Ces dernières sont hélas confirmées mais ne sont pas de la même nature que celles que la B-A faisait naître. Dans cette dernière, on avait l’impression d’un film qui allait être trop énergique et surchargé (après, c’est le problème de bien des B-A, c’est vrai). De ce côté-là, on est rassuré dès les premières minutes. Sans aller jusqu’à dire que l’exposition est aussi calme que celle d’un Jugatsu ou d’un A Scene at the Sea, on sent bien que ce film de 110 minutes ne va finalement pas être mené tambour battant et on se dit que c’est tant mieux. Après, d’autres défauts ne tardent pas à apparaître. On regarde poliment la première demi-heure, c’est Kitano quoi ! (gros plaisir au passage de revoir au début le logo de l’Office Kitano) mais arrivé au terme du premier quart, on comprend bien que le 17ème film du naître va être une petite chose.

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Petite, vraiment ?

Pas que c’est mauvais. Les acteurs vétérans sont assez bons et les situations font souvent sourire. Après, sourire hein ! pas rire. Perso j’ai dû attendre la 99ème minute pour rire franchement devant un gag lors de la confrontation entre Ryuzo et le gang de Nishi. Il faut croire que j’ai le rire moins facile que Mark Schilling qui s’est semble-t-il bien amusé devant le spectacle.

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Votre serviteur tenant le compte des gags qui l’ont déridé.

Pas mauvais donc, fait pour attirer les foules et leur procurer un divertissement de facture légèrement au-dessus de la moyenne (c’est d’ailleurs un des meilleurs Kitano en terme de recettes). Après, difficile de ne pas se départir de l’impression que l’on est face à du Kitano light. A l’image de ses yakuzas vétérans, le film semble lui aussi avoir un pacemaker. De temps en temps le film s’endort et une petite impulsion est donné, le temps d’une scène, pour rappeler que l’on devant un film du maître. Et c’est rageant car ces impulsions font à chaque fois espérer – mais en vain – que le film va enfin décoller et que l’on va retrouver le Kuitano de la grande époque. Ainsi lorsque Ryuzo va voir un ancien ami yakuza pour l’enrôler et qu’il apprend que ce dernier est remplacé par son fils qui ne veut plus entendre parler de yakuza. De yakuza ancienne manière s’entend, car pour lui, escroquerie et business passent non plus par la violence mais par un bagout et un clinquant très télé achat :

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Le mec qui fait amener sans crier gare un décor par assistantes, c’est du pur Kitano, celui de Getting Any ? J’en vois au fond qui à la mention de ce titre arborent un bon gros sourire sarcastique (si, si ! ne niez pas) et pourtant, ce film, loin d’être l’intrus à fuir absolument dans la filmo de Kitano, est totalement cohérent car établissant un pont avec Beat Takeshi, l’homme télévisuel, et utilisant à fortes doses un humour nonsensique qui constitue un ingrédient à part entière dans toute sa filmo. On retrouve donc un peu ce type d’humour tout comme celui jouant avec les ruptures ou les ellipses (gag de la voiture, je n’en dis pas plus). Mais voilà, dans la continuité, ça peine à décoller.

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Les cannes et les couteaux sont lourds à porter.

De même pour le côté vulgaire qu’affectionne souvent Kitano. On se souvient dans Jugatsu de cette scène hallucinante dans laquelle Kitano, jouant un yakuza, se met soudainement à sodomiser son lieutenant. Et je ne parle même pas de Getting Any ? etde son final pataugeant dans la merde. J’ai cru un instant qu’il allait jouer de cette corde lors d’une des premières scènes, celle où Ryuzo et Masa s’amusent dans un restaurant à parier sur ce que vont commander les nouveaux clients. Vexé d’avoir perdu de l’argent à cause d’un charmant petit couple, il demande alors à la jeune femme si elle ne pouvait pas commander autre chose, qu’après tout elle est invitée au restau par son compagnon uniquement pour aller à l’hôtel après et que franchement, ça ne vaut le coup de se faire troncher dans l’anus pour seulement un plat de soba froid. Consternant mais là aussi, typiquement Kitano. Eh bien cet exemple de comique trivial un brin sauvage sera un peu l’exception, tout sera par la suite beaucoup plus lisse, pour ainsi dire plus familial.

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Une scène avec des hôtesses à gros seins ? Pas de panique, inutile de planquer les enfants, il ne se passera rien.

Ryuzo émet ponctuellement quelques pets pour faire bonne mesure mais on sera loin du gateau de merde à la fin de Getting Any ? Quitte à jouer sur un comique lié à ces corps vieillissants, autant aller jusqu’au bout en faisant dans l’incontinence fécale mais Kitano se fait vieux lui-même et peut-être ce qui l’aurait amusé autrefois ne l’amuse plus tellement maintenant. En fait de dégradation des corps, Kitano n’ira pas plus loin qu’une scène où Ryuzo s’enfuira d’un immeuble déguisé en… vous verrez bien.

Pour résumer, Ryuzo à la couleur du Kitano, le goût du Kitano, mais ce n’est pas totalement du Kitano. Il lui manque ces précieux ingrédients qui ont pu faire de ses premières œuvres de véritables chefs-d’œuvre : une mise en scène minimaliste et pince-sans-rire, une grossière irrévérence et un goût pour la contemplation poétique. Et si les sérieux Outrage et Outrage Beyond me donnent l’impression d’être des films tout à fait capables de se bonifier avec le temps, j’ai le sentiment qu’il va falloir attendre bien longtemps pour qu’il en aille de même avec yuzo. Le temps sans doute de devenir soi-même des vieillards chenus comme les héros du film. Bon, maintenant que les caisses sont pleines chez Office Kitano, j’espère que le maître des lieux va se fendre d’une œuvre moins mainstream. Perso, je n’aurais rien contre un Outrage 3, promis depuis les calendes grecques.

PS : Ryuzo est annoncé « prochainement » en France. Mais il en avait été de même pour Outrage Beyond qui n’avait finalement pas été diffusé…

5/10

+

– Des comédiens qui sont bons, en particulier Tatsuya Fuji qui malgré ses 74 ans livre une prestation énergique et plaisante.

– Des gags qui auront peut-être plus de succès avec vous qu’avec moi.

– Du Kitano light.

– Kitano d’ailleurs présent lui-même dans trois misérables scènes. Il a beau se la jouer « violent cop » dans la dernière, ça ne prend pas, on reste sur notre faim.

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14 Commentaires

  1. Aïe ! Même si je ne me faisais pas d’illusion sur ce nouveau métrage du sieur Kitano, j’espérais tout de même le voir livrer un show comique qui le caractérise tant. J’ai donc l’impression qu’il a fait passer les impératifs financiers, ou peut-être oui qu’à son âge, certaines choses ne le font plus rire comme avant.

  2. Essaye quand même de le voir, peut-être seras-tu agréablement surpris.Mais la fantaisie marquée par la beauté et la tragédie reste à jamais associée à Sonatine. Dans Ryuzo on a la fantaisie, mais pour les deux autres, on repassera.
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  3. Quel dommage d’avoir tous les bons ingrédients, mais que la mayonnaise ne prenne pas quand même.
    Il me semblait qu’il voulait faire un film évoquant le tsunami de 2011 ou je me trompe ?
    Je me demande ce que va donner la prochaine génération de réalisateur japonais, on sent un petit vide actuellement avec les anciens sur une pente plutôt descendante.

    • Une évocation du tsunami ? Franchement je ne vois pas, ou alors c’est moi qui n’ai pas saisi les allusions mais là, ça me semble peu clair quand même.
      Sympa que tu aies fait une traduction. Si plus tard tu en fais d’autres, n’hésite pas à le faire savoir dans les coms du film correspondant.

      • Je ne voulais pas parler de ce film, mais d’un autre projet qu’il voulait faire.
        C’est clair que les Yakuza à la plage pour Kitano c’est déjà fait
        Voir au-dessus la bonbinette à mitraillette.
        Désolé pour mon manque de précision.

  4. Non, c’est moi qui étais à l’ouest, je ne devrais pas répondre à des messages au saut du lit.
    Aucun souvenir d’un tel projet. Si c’est le cas, il a dû tomber aux oubliettes. Pas facile aussi de créer pour le cinéma quand on a 36 émissions à gérer pour la TV.

  5. J’ai eu du mal à ne pas ronfler devant celui-là… Faire un film sur des pépères, d’accord…

    Mais pas en mode pépère. A part le coup du cadavre qui s’en prend plein la gueule, je ne me suis pas marré. Que ce soit en tant qu’acteur ou réalisateur, là j’ai eu l’impression que Kitano faisait zéro effort.

    A moins d’un rabibochage avec Joe Hisaishi, je ne vois pas ce qui peut sauver son cinéma.

  6. Chut ! Tu spoiles l’unique moment qui m’a ait marrer aussi.

    On peut se poser la question si faire du cinéma ne commence pas à l’emmerder. Après, comme les deux Outrage étaient de bonne facture, je veux bien lui laisser le bénéfice du doute et guetter son prochain – si prochain il y a.

    Bon, next target : Shinjuku Swan.Je sens que ça va être chaud là aussi.

  7. Perso, j’ai beaucoup aimé ce Ryuzo et son casting de trognes aux petits oignons.
    On ne se tient certainement pas les côtes d’un bout à l’autre (mais avec de gros éclats de rire tout de même : le final, la raison de leur perte aux courses, le « On dirait Yuya Uchida » lancé à la volée quand Tôru Shinagawa débarque dans le parc…) mais ça n’est pas totalement le but non plus.
    Je vois surtout le film comme un gentil tacle glissé vers le Japon contemporain, un truc doux-amer, une projection ce que pense Kitano (dans la lignée de ce qu’il a fait avec les 2 Outrage). Le fait de prendre comme point de départ les arnaques par téléphone « ore, ore » (visant les petits vieux), véritable phénomène de société depuis le début des années 2000 et balancer sans avoir l’air d’y toucher sur l’hypocrisie des récentes lois anti yakuza n’est pas innocent.
    Essayer désespérément de retrouver le Kitano des années 90, c’est un peu vain à mon sens (en plus, ça lui serait surement reproché à coup « d’immobilisme »).

    Et si vous vous êtes toujours demandés ce que donnerait Kitano avec la boule à z, vous aurez la réponse bientôt dans l’adaptation d’un drama policier/action, Mozu.

  8. « en plus, ça lui serait surement reproché à coup « d’immobilisme » »

    Pour le coup ce serait un bon point donné à Ryuzo car c’est vrai qu’avec ce film on ne peut pas reprocher à Kitano d’avoir fait dans la redite. Et ce que tu dis sur les lois anti-yakuza est intéressant, je n’y avais pas du tout pensé. Reste que là, le souvenir que j’en ai est poussif et que l’idée de le revoir ne me tente pas du tout.
    Par contre, ce Mozu, faut voir. Un film adapté d’un drama policier me fait toujours un peu peur mais la B-A fait plutôt envie.

  9. Bah f*ck ! C’est carrément ça, du coup… P’tite déception tout de même parce qu’il y avait matière à.
    Le pitch, celui de ces vieux yak’ sur le retour était quand même sympatoche. Je me retrouve donc dans ta chro’. On sourit mais ne rit pas. Des passages mous du genou. Des gags passables. Y avait tellement mieux à faire. Bizarrement, le film me donne le sentiment d’un Kitano pas inspiré et pas plus investi que ça.

    La 99ème, c’est vraiment LE moment marrant.

  10. Et bien j’ai commandé le film en ne m’attendant pas a grand chose vu les commentaires, j’étais même inquiet (mais je ne voulais pas qu’il soit dit qu’un Kitano m’aurait échappé) et j’étais au final agréablement surpris.

    Certes le rythme est lent, mais Kitano a souvent eu des films un peu lents quand on y réfléchit : Sonatine, Kikujiro, etc. ont leurs lenteurs.

    Pour moi R. est un peu une autre facette de Outrage qui traite d’un même sujet : la fin du monde des yakuza à l’ancienne, des codes et principes. Les blagues ne font rire aux larmes mais justement ne sont pas excessives pour que le fond : le dernier baroud d’honneur de ces vieux ne soit pas effacé derrière la grosse blague. Au final je retrouve à titre personnel le même doux équilibre qu’il y avait dans Kikujiro : pas dans l’excès sur l’humour pour ne pas écraser le thème de fond qui lui est assez sérieux.

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