Jimbocho, le quartier qui fait transpirer le bibliophile

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Quand on aime le Japon, quand on aime Tokyo et quand on aime les livres, difficile de ne pas aller à Jimbocho. Jusqu’à présent je ne m’y suis jamais rendu, d’abord parce que lors de mes premiers séjours je ne connaissais pas, ensuite parce que avec femme et enfants ce n’était pas forcément la priorité. Mais avec le dernier séjour, libre de m’enquiller à volonté un nombre de bornes considérables à pinces, libre d’aller descendre plein de verres alcoolisés du côté de la Golden Gai (un échec, on s’en souvient), libre de passer le temps souhaité dans des zones pour prendre des photos, je me promettais bien de me rendre dans ce quartier que Café Lumière, le beau film de Hou Hsiaou Hien, m’avait fait connaître :

Je me trouvais alors à Akihabara. Un coup de métro plus tard, je débarque à Jimbocho station. D’habitude j’ai plutôt un bon sens de l’orientation mais il m’arrive comme tout le monde de bugger, de rester stupide devant un plan qui vous indique la gueule du quartier dans lequel vous avez décidé de vous rendre. Ça n’a pas raté avec le plan de la station intégralement en jap’. Essayant désespérément de choper le kanji (livre), je m’apprêtais à prendre la première sortie pour tenter ma chance en déambulant lorsqu’un bon monsieur en uniforme bleu, voyant mon embarras, vint me tirer d’affaire. Un « honya wa doko desu ka ? » (yeah !) et le tour était joué : la bonne sortie se trouvait… cinq mètres derrière moi. Je gravis l’escalier, tourne à droite, et tombe sur la Yasukuni dori, lieu de tous les dangers pour le portefeuille :


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A peine quelques pas plus loin, je tombe sur ça :

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Jacques et son maître dans un vieux Garnier-Flammarion ! La promenade commençait sous les meilleures auspices. Encore quelques mètres et j’aperçois ceci :

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Au moment de prendre la photo, le vieil homme qui farfouillait dans le bac se mit aussitôt à tourner les talons et à s’éloigner. Sans doute devait-il croire que j’étais porteur du Radjaïdjah, le poison qui rend fou. N’importe, tomber coup sur coup sur Diderot et Hergé m’amusait et je sentis que ce Jimbochô était un quartier lui aussi atteint d’une folie douce. Pas Shibuya ni Shinjuku, encore moins Akihabara, mais un quartier fait pour vous faire passer les heures aussi vite qu’un livre qui vous passionne. Tellement grisant que je m’aperçois que j’ai finalement pris assez peu de photos, tout charmé par ces alignements de librairie et tout occupé à faire de savants calculs du type « combien de livres je peux me permettre d’acheter ? Qu’est-ce que j’ai vu d’intéressant et que j’aimerais bien me procurer ? Est-ce qu’il est raisonnable de se trimballer cinq kilos en plus de bouquins sur le dos alors que je suis déjà bien crevé ? », questions essentielles et sempiternelles que les bibliophiles connaissent bien. Mais questions qui hélas se posent avec force au quidam de passage. Lors de mon article sur Golden Gai j’évoquais tout le plaisir que l’on devait avoir pour explorer petit à petit cette galaxie de bars lorsque l’on a la chance d’être sur Tokyo. C’est la même chose avec Jimbochô. Habiter à la capitale change évidemment radicalement la donne. Limité en terme de temps, d’argent et de volume pour transporter les livres, c’est mi-enthousiaste, mi-frustré que je contemplais ce genre de chose :

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À gauche, pas à droite.

Par endroits, les librairies dégueulent leurs livres jusqu’à l’extérieur. Passant devant une librairie consacrée au cinéma :

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J’y entrai pour tomber sur ceci :

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OMG !

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Seigneur, Marie, Joseph, priez pour nous !

J’aurais pu y passer deux heures, je n’y restai qu’une vingtaine de minutes. Livres, dossiers de presse, posters, photos d’exploitation, le tout par milliers, c’en était trop pour ma santé mentale, mieux valait se la jouer prudent et sortir, sagement mais un peu K.O., de cette antre de damnation pour tout cinéphile qui se respecte. Avant de partir, je regardai une dernière fois une belle affiche qui semblait me faire du gringue…

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1000 yens, mais me la trimbaler ne me disait pas du tout.

… et repris ma route pour explorer de nouvelles échoppes, toujours avec le même sentiment mêlé d’enthousiasme et de frustration.

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Bon, euh, je commence par quoi ?

J’étais cependant prêt à dépenser quelques billets et à supporter un poids supplémenaire dans mon sac à dos (note pour le prochain voyage : revendre toute une partie de mon barda photographique et me contenter d’un simple appareil hybride en bandoulière). Ce fut chose faite lorsque je vis cette librairie :


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La librairie Komimaya est consacrée à l’art, de la photographie à la peinture en passant par le dessin, la sculpture et la musique. Quatre ou cinq étages, je ne sais plus tant j’étais encore dans un état second face à l’avalanche de bouquins qui me tombaient sur le coin de la gueule. Je me concentrai surtout sur le rez-de-chaussée où se trouvaient de sympathiques pancartes avec dessus les noms d’Araki, Shinoyama et Moriyama. Là aussi, en comparaison avec les tarifs pratiqués sur le net pour des ventes à l’international, il était tentant de casser sa tirelire pour se procurer un max d’ouvrages. Je me contentai malgré tout de ces trois.

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D’abord Tokyo Nude de Shinoyama, livre en grand format ayant pour particularité d’avoir des photos extra larges à déplier, selon le principe du shinorama mis au point par le photographe. Ainsi cette vue aérienne :

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Et alors ? me direz-vous, la belle affaire que voilà ! Oui, sauf que le petit avion se rapproche très près de la surface de Tokyo pour permettre au photographe de capter des scènes d’un tout autre intérêt :

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Tokyo Nude, c’est le royaume d’un érotisme ultra sophistiqué de bon goût. Acheté 1100 yens (oui, ami lecteur, tu peux commencer à pleurer).

Puis arrive le deuxième achat :

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Un exemplaire du volume 3 de la série des Shashin Zenshu d’Araki. Sur le marché de l’occasion au Japon, ce sont des livres que l’on peut bien souvent trouver à moins de 1000 yens. Ce fut le cas ici, 800 je crois (pleure ! pleure !).

Enfin, attention les yeux, cette merveille :

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First & Last de Tad Wakamatsu avec la sculpturale Haruko Wanibuchi évoquée ici il y a quelque temps. Là aussi, 1000 yens (oui, tu peux pleurer mais pas la peine non plus de te passer la corde autour du cou).

Après avoir réglé la somme auprès de l’avenante vendeuse au rez-de-chaussée (et polie : assez curieusement, quatre fois sur cinq je n’ai pas eu droit aux tartines de politesse propres aux commerces japonais), je poursuivis ma route avec le sentiment du devoir accompli et me disant que mieux valait s’extirper de ce dangereux endroit. Je remontai donc en direction de la station d’Ochinamizu, croisant au passage une autre spécialité de Jimbocho :

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La bijin !

Euh… enfin non, je veux parler plutôt de ce qu’il y a sur la droite…

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Le magasin de guitares ! (d’ailleurs, quand je tombe sur ce genre de photo, je regrette aujourd’hui de ne pas y être entré)

Arrivé à la station, il ne me restait plus qu’à photographier la deuxième raison pour laquelle j’étais venu dans ce quartier. Me poster sur le pont Hijiri et enfin voir de mes propres yeux la vue d’une sorte de ville jouet, vue admirée dans maints films, notamment dans Café Lumière.

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Plaisir de découvrir un nouveau quartier, des avalanches de livres, de bonnes affaires et pour finir une jolie vue pas polluée par les touristes. Il faut parfois peu de chose pour qu’une journée à Tokyo soit réussie.

Lien pour marque-pages : Permaliens.

20 Commentaires

  1. Amusant. J’ai fait a peu près le même parcours.
    Hier à Paris Photo le patron de Komiyama me remettait dans les allées, contre quelques centaines d’euros quand même, le Kamagasaki de Seiryu Inoue.

    • Dis-moi, ta collection de photobooks japonais comprend combien d’ouvrages ? Juste histoire de rêver un peu avec ce beau temps de merde que j’ai au moment de taper ces lignes.

      • A côté de la collection de Martin Parr ou John Gossage (que j’ai eu la chance de voir) pas énorme 😉
        Quelques centaines.

        • « pas énorme 😉 Quelques centaines. »

          J’en ai failli avaler de travers mon café ! Palme de platine de la fausse modestie ! 😀
          La prochaine fois que je vais à Komimaya je dirai que je viens de ta part, je suis sûr que cela peut me faire bénéficier de quelques ristournes !
          Faudrait que tu nous fasses un blog sur les photobooks nippons, surtout sur les classiques comme ce Kamagasaki. Pas toujours évident de cerner l’importance de telle ou telle oeuvre à travers ton compte tumblr.

          Olrik, 56 pléiades.

  2. Merci pour cet article. Je suis à Tokyo dans 3 semaines et je comptais passer à Jimbocho. Là, maintenant, j’ai un beau visuel pour quelques magasins (dont celui consacré au cinéma, où je vais faire fumer mon compte en banque)

  3. Pour ne rien gacher Jimbocho est aussi un bon coin a boui-bouis fort sympathiques, comme Shichijo (specialite: Ebi Fry) http://tabelog.com/tokyo/A1310/A131003/13000223/ ou Kiwamiya (specialite: ramen) http://www.oreno-kiwamiya.com/ – je recommande les Aburi Chashu Ramen… – et bien d’autres.

    C’est aussi le quartier des magasins d’equipement de ski et de randonnee. Bonnes affaires potentielles en fin de saison… mais la compagnie aerienne risque vraiment de tirer la tronche.

    Une de mes librairies preferees est Natsume Books, specialisee art&photo (pas donne en general par contre) et dont le second etage est specialise lithographies / tableaux / photos modernes et contenporains. Pour ceux qui vivent au Japon leur compte Yahoo Auctions est une mine, actualise tous les samedis. http://www.natsume-books.com/

    • Natsume fait partie des incontournables quoiqu’accueil impersonnel et chois moins importants que Komiyama.
      Les vrais perles ne sont pas à Jimbocho mais à chercher vers Shibuya ou Setagaya…

  4. Culture et bouffe, impossible qu’il en aille autrement. Ce qui me donne envie d’y retourner la prochaine fois et de faire ce combo gagnant.

    Sinon j’ai dû passer devant Natsume books mais je ne crois pas y être entré. Je me fixais surtout sur l’allure de ce que je voyais derrière l’entrée pour savoir si ça valait le coup de s’aventurer plus avant. En gros, si ça ne sentait pas trop le cinéma, le photobook ou le heibon punch, je n’entrais pas. Si j’avais su… mais le tuyau de Yahoo auctions m’intéresse. S’il y a des choses valables et pas trop onéreuses, des livraisons chez beau-papa risquent de s’imposer.

    Bref merci pour ces infos et welcome aboard.

  5. La vache, la librairie ciné, il y a effectivement de quoi devenir dingue !
    (Le speed poster de Goyôkin :'( )

  6. Avec beaucoup de retard voici mon retour sur photobooks de Japonie.
    Alors je poste ça ici car c’est cet article sur Jimbocho le quartier qui donne chaud qui m’a permis de trouver mille trésors.
    En vrac j’ai ramené :
    – le livre somme du travail de Takuma Nakahira; Magazine Work 1964-1982.
    – tjrs de Mr. Nakahira son livre Degree Zero (qui est surtout une compilation de certains de ses travaux à l’occasion d’une exposition il me semble).
    – le livre Diary Sentimental Journey / Winter Journey de Araki. Autant dire que c’est la plus belle chose que j’ai ramené (ne serait ce que sa fabrication avec sa couverture toilée et embossée). Le livre m’a tiré des larmes.
    – d’Araki j’ai ramené deux trois autres livres et fascicules plus anecdotiques. Mais bon hein c’était pas cher.
    – Myojo de Kotori Kawashima dont il me semble tu avais fait une chronique du premier livre. Assez pop, à consommer à doses homéopathiques mais très beau par moment.
    – un livre de Shoji Ueda sur les dunes de Totori.
    Plus quelques livres plutôt décevants avec le recul. J’ai aussi cherché en vain le livre Shojokan de Shinoyama mais impossible à trouver.
    Je regrette énormément de ne pas avoir pris plus de livres tant les tarifs (même neufs) sont dérisoires par rapport à ceux pratiqués en France ou via internet.
    Au delà du pur photobook j’ai ramené des artbooks et pleins d’autres livres fantastiques. Mon capital geek était à son paroxysme.
    Quand aux sources où s’abreuver, à la librairie Komiyama j’ai préféré les Mandarake. Ceux de Shibuya et de Nakano sont de véritables mines d’or. Et aussi le Junkudo de Ikebukuro qui recèle plein de trésors (mais que du neuf). Les prix sont les mêmes et j’ai trouvé le choix peut être plus vaste encore. A Nakano il faut impérativement visiter la librairie Tako Ché (qui travaille souvent avec le Dernier Cri et plein d’autres fanzines et illustrateurs français et qui serait l’équivalent nippon de la librairie Un regard moderne à Paris). On y trouve pêle mêle fanzines, éditons alternatives, subversives, photobooks, bande dessinée, du cul, etc…
    Voilà post promis post dû ! J’espère que ça te donnera envie d’écrire à nouveau sur les photobooks !
    Merci à toi en tous cas pour cet article qui un phare dans ma nuit.

    • La liste est impressionnante et pourtant, magie de Jimbocho, j’imagine que tu t’en est tiré pour une somme pas si astronomique. Cela me donne des regrets de ne pas y être resté plus longtemps. Ce sera pour la prochaine fois, avec une nouvelle incursion à Nakano. J’y était allé il y a 10 ans pour le Mandarake mais je ne connaissais pas ce Tako Ché.
      Très sympa ton retour en tout cas. Il complète mon article et me permet de découvrir des choses.
      PS : je n’ai rien écrit sur Myojo mais c’est marrant que tu en parles, je me souviens avoir vu la couverture lors de mon dernier voyage et avoir hésité à l’acheter.

  7. Oui magie de Jimbocho mais magie du Japon tout court. Même neufs la majorité de ces livres coûtent deux ou trois fois moins cher qu’en France ou en import. C’est vraiment troublant. Donc oui je m’en suis tiré pour pas grand chose en regard de tout ce que j’ai ramené.
    Nakano c’est vraiment fou comme endroit, ce truc qui s’étale sur plusieurs étages et qui est labyrinthique.
    En passant tu dois déjà être au courant mais exposition Moriyama à la Fondation Cartier, majoritairement des travaux couleurs réalisés au numérique. Et plus petite expo de lui à la galerie Taka Ishii!
    Sur ce bonne année du Singe!

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