Aniki, mon frère (Takeshi Kitano – 2000)

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Aniki mon frère, plus mauvais film de Kitano ? La question serait un terrible raccourci car mauvais, Aniki ne l’est pas vraiment. Il serait même plutôt bon, surtout pour quelqu’un qui découvrirait l’univers de Kitano à travers ce film. Mais voilà, pour l’habitué, difficile d’y trouver quelque chose de neuf. A l’époque, je me souviens être sorti de la salle plutôt séduit, on y trouvait tout ce qui faisait la patte Kitano : le spleen, l’humour, la violence et le montage elliptique.
Bien des années plus tard, avec le recul et avoir revu plusieurs fois ses principales œuvres, il faut bien avouer qu’Aniki a un peu trop du remake de ses œuvres antérieures, de Sonatine en particulier, notamment par son sujet : un chef yakuza doit effectuer une mission foireuse sur une terre étrangère (Okinawa pour Sonatine, les States pour Aniki) qui sera le terrain de son baroud d’honneur. Le tout agrémenté de jeux qui montreront les gangsters comme de grands enfants mélancoliques :

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Avec aussi l’inévitable scène de plage :

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Et  le personnage de Kitano, Yamamoto, aura aussi une petite amie un peu femme enfant qui se pliera volontiers à ses velléités de joueur :

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Jouée par Joy Nakagawa. Contrairement à Aya Kokumai, elle ne montrera pas ses seins.

Tous les ingrédients donc, y compris l’habituelle galerie d’acteurs (Claude Maki, Susumu Terajima…) et la musique de Joe Hisaishi, belle dans sa mélancolie mais moins onirique et variée que pour Sonatine.

Oui, normalement difficile de faire la fine bouche devant ce neuvième plat que nous sert Kitano et pourtant, c’est bien ce qui se passe. Pour la première fois, l’habitué à la nette impression du film de trop, du film qui n’apporte strictement rien à l’œuvre, du film seulement là pour essayer de pénétrer un marché étranger. Au moins, contrairement à d’autres, Kitano n’aura pas perdu son âme et sera resté fidèle à son esthétique. Mais après le charme de l’Été de Kikujiro, charme qui suivait trois films prodigieux, on tombe un peu de haut en retrouvant un remake de Sonatine qui apparaît sur beaucoup de points allégé.

Et finalement, on en vient à se demander si ce film n’est pas à l’image de ces personnages kitanesques qui cherchent à fuir la mélancolie en s’enfonçant le plus possible dans une activité. Que ce soit un surfeur (a Scene at the Sea), un joueur de baseball qui va tourner gangster d’opérette (Jugatsu), un crétin obsédé par l’idée de fourrer pour la première fois (Getting any ?), un boxeur (Kids return) ou un yakuza qui ne prend plus au sérieux l’énième mission qu’on lui confie (Sonatine mais aussi Aniki), on se trouve souvent face à des êtres qui semblent lutter pour ne pas sombrer dans le vide. Eh bien Aniki, mon frère, et à travers lui Kitano, c’est un peu ça : un film mélancolique sur un gangster qui n’a plus qu’à disparaître mais aussi, en filigrane, le film d’un réalisateur qui lutte pour trouver à chaque réalisation la petite originalité qui relancera sa filmographie. A ce titre, le film se plante dans les grandes largeurs et annonce la trilogie de la création à venir. Après une dizaine d’années ponctuées de films desquels se dégagaient une certaine insouciance et un certaine facilité, voici venu le temps du doute, du désabusement vis-à-vis d’un art pour lequel Kitano pressentait peut-être déjà qu’il en avait fait un peu le tour. Très tôt dans le film, Yamamoto et sa nouvelle bande nous sont montrés dans une limousine. La réussite a été fulgurante (et à bien des égard comme pour Kitano), très bien, mais après ? Que faire face à un succès qui peut être perçu comme une impasse ? Cette question, Kitano saura la surmonter, tant bien que mal, dans le diptyque qui allait suivre…

6/10

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8 Commentaires

  1. Je la trouve intéressante cette escale américaine de Kitano… Un peu comme Wong Kar-wai plus tard avec « My Blueberry Nights », il donne l’impression de proposer une version plus accessible de ses précédents films, moins lente…

    Peut-être l’idéal pour faire découvrir son oeuvre à quelqu’un qui n’a jamais vu un film japonais de sa vie.

    Même si, de toute évidence, il avait fait le tour de son style côté yakuza eiga (les « Outrage » ressemblent plus à du Fukasaku revisité qu’à du Kitano poétique).

    • « Peut-être l’idéal pour faire découvrir son oeuvre à quelqu’un qui n’a jamais vu un film japonais de sa vie. »

      Sûr que ce film est moins déconcertant et, partant, plus accessible pour découvrir l’oeuvre de Kitano et à travers lui le cinéma japonais. Mais ce serait tout de même bien dommage de commencer ainsi avec un film qu n’est pas le meilleur de son auteur et qui se passe au Japon durant seulement 20 minutes. Et pour ce qui est de la version « moins lente », faut voir, le 2ème heure a été un peu pénible à voir. Il est vrai qu’il n’y avait plus le plaisir de la surprise…

  2. On est presque synchro, j’avais décidé de le revoir hier soir et du coup :
    http://www.gutsofdarkness.com/god/objet.php?objet=17439
    Ouais, sans doute le moins bon à part Getting Any ? et Violent Cop. Ceci dit, je trouve qu’il va quand même largement au-delà d’une simple redite. Bien sûr il est déjà largement auto-référencé, et rétrospectivement on dirait presque le film qui annonce à la fois sa trilogie de la création et également le formaliste glacial de la série des Outrage. Bizarrement Kitano ne se heurte quasiment pas à l’Amérique (d’ailleurs le producteur est anglais, pas américain, et c’est pas anodin je pense), le seul WASP du film, bien raciste, on le voit pendant une courte scène. Je pense que ce n’est pas un hasard si on voit surtout des mexicains et des noirs, et des émigrés japonais. Même la mafia sont des anciens émigrés qui ont un lien fort avec le pays d’origine. Du coup, comme il remet la bulle à plat dans la scène de l’intro, c’est comme si le personnage transférait simplement son propre territoire dans un autre lieu. De l’amérique on ne sait rien sinon les quelques différences rituelles entre les élégants mais jusque boutistes yakuza, absurdes par nature (son « frangin » et son second qui ont une façon bien particulière de démontrer leur honneur) et les petits voyous à la langue bien pendus et à la cool du genre Denny. Finalement, le plan vraiment américain du film, c’est Kitano qui sort du « saloon » pour mourir en cow-boy, avec une ouverture sur les grands espaces ensuite, que finalement on aura jamais vu, même pas dans LA, ville pourtant ouverte par essence. D’ailleurs Kitano referme le cadre à la fin, restant sur Denny enfermé dans sa bagnole, vivant et en fuite certe, mais vers nul part. J’avais oublié le coup du vieux juste dans le dinner qui s’adresse à Kitano en Japonais, mais avec un accent, et dont on comprend dès la réplique suivante que lui n’est pas Japonais. Bien vu. Donc ouais, après les trois films précédents, c’est forcément un petit sentiment de déjà-vu. Idem pour la BO dont le thème principal reste quand même sublime. Heureusement Kitano va signer deux grands films d’affilés ensuite avant de perdre définitivement de la superbe tout en restant toujours très intriguant.
    Pour commencer avec Kitano, je recommanderais toujours avant tout Hana-Bi, Kids Return, Kikujiro ou Sonatine.

  3. As usual, de la belle ouvrage que ta critique. Dans la foulée j’ai exploré un peu plus tes articles, content de voir le bien que tu penses du sieur Lim Giong (à jamais associé au déhanchement de Shu Qi dans un certain tunnel) et tout le mal de the Final Cut. Décidément tu es un gars bien.

    « Pas manqué, mais plombé dès le début si bien que, dans le souvenir, ne reste plus que cette mélodie initiale, qui avait déjà tout dit de ce qui se jouait.  »

    Parfait résumé de ce que j’ai ressenti dans le premier quart d’heure, bravo !

    « [annonce]le formaliste glacial de la série des Outrage »
    Là aussi, c’est ce que j’ai pensé dans le flash-back au Japon expliquant comme le personnage de Kitano en est arrivé là.

     » Kitano va signer deux grands films d’affilés ensuite avant de perdre définitivement de la superbe tout en restant toujours très intriguant. »

    LE film que j’ai hâte de revoir : Takeshis. Souvenir d’un film audacieux qui m’avait vraiment enthousiasmé. j’espère que les retrouvailles ne vont pas être décevantes.

    « Pour commencer avec Kitano, je recommanderais toujours avant tout Hana-Bi, Kids Return, Kikujiro ou Sonatine. »

    Que non pas ! Il faut conseiller Getting Any ! Quelqu’un capable de survivre à ça :
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    … est forcément une personne qui n’aura plus à prouver son incomparable ouverture d’esprit.

    • Ah ah, merci. De Giong j’ai aussi l’album qu’il avait sorti chez MK2, avec le même genre d’ambiance (même si rien d’aussi magnifique que les morceaux de Millenium Mambo. Ahhhhh, cette intro avec Shu Qi sur la passerelle).
      Takeshis m’avait laissé un peu dubitatif à vrai dire, même si il y avait là-dedans plein de trucs intéressants. Notemment une scène cauchemardesque presque Lynchienne dans une voiture. J’ai surtout hâte de revoir Zatoichi, que j’avais trouvé jubilatoire et qui l’est resté au fil des visions (j’ai adoré Dolls, mais sur ma petite télé pourrie, comment dire… ça va pas le faire pareil).

    • Incroyable, je n’ai vu nulle trace de ce film dans mes recherches et un article récent lu sur le web était particulièrement pessimiste sur l’avenir de Kitano au cinéma. Superbe découverte donc, surtout que des vieux qui bottent le cul de p’tits cons, l’idée me plaît. Me rappelle de bons souvenirs pythonesques :

    • Génial !! Une comédie ! Ca va nous changer un peu. Bon, après, j’espère que ça ne sera pas du genre Getting Any ? quand même. Tatsuya Fuji, de l’Empire des Sens. Pas mal. Bon, maintenant, on espère que ça sera disribué en salle… (non parce que je doute que celui-là aille à Venise déjà)

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