Kandagawa Pervert Wars (Kiyoshi Kurosawa – 1983)

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Après les perfections formelles que sont Tokyo Sonata, Shokuzai et Real, forcément, se plonger dans un vieux pinku de Kurosawa, c’est l’assurance de se faire mal aux yeux. Sans être non plus des œuvres de jeunesse (Kurosawa à la trentaine lorsqu’il réalise Kandagawa Pervert Wars et the Excitment of the Do Re Mi Fa Girl, et a déjà réalisé des courts métrages), elles font figure d’œuvres maladroites encore mal dégrossies, des anomalies au regard de ce qui s’ensuivra, aussi bien formellement que thématiquement.

Ainsi ce Kandagawa Pervert Wars, film faisant le grand écart entre les roman porno de la Nikkatsu et le film hommage à la Nouvelle Vague française. Dès les premières secondes on sent le film fauché fait avec des acteurs amateurs et de désolants moyens techniques (les voix sont post synchronisés et l’on n’a pas vraiment l’impression que c’est un choix technique). Et les personnages (féminins surtout) sont tous d’une effroyable bêtise, à des années lumières des beaux portraits de femmes que Kurosawa a brossés dans ses films les plus récents. Quant à l’histoire…

Akiko et Masami, deux amies bien à l’air dans leur sexualité, s’aperçoivent un jour que dans l’immeuble d’en face, de l’autre côté de la rivière Kanda, qu’un jeune homme vit une relation incestueuse avec une mère possessive. Choquées, elles décident d’entrer en guerre en faisant tout pour enlever des griffes de la maman le cher enfant et lui donner le goût des corps de vraies et séduisantes jeunes femmes…

Hommage pas forcément intéressant à la Nouvelle Vague, pauvreté des moyens, actrices hystériques, histoire faible (même si dans un pinku tout ne se joue pas forcément sur la complexité du scénario), on se dit que l’on va souffrir durant 59 minutes. Et pourtant, sans crier non plus au miracle, le film reste tout à fait regardable, surtout si l’on a déjà une petite expérience de la filmo de Kurosawa. A priori rien de plus étranger à ses autres films que Kandagawa Pervert Wars. Mais au fur et à mesure que l’on suit l’histoire, difficile de ne pas se sentir en terrain familier. D’abord parce que Akiko porte une robe rouge, vêtement que l’on retrouvera nombre de fois dans d’autres films :

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Dans les histoires de Kurosawa, quand un personnage féminin porte ce vêtement, c’est que quelque chose cloche en lui. Dans le pire des cas, il est un fantôme. Bon, la petite Akiko n’a pas ce problème, sa chair, qu’elle a bien jolie, est bien réelle, qu’elle soit malaxée par son petit amie ou par ses propres mains. Mais il y a quand même un peu du fantôme en elle, fantôme en tant qu’être social. Se foutant d’aller travailler, elle préfère rester dans son petit appartement tout le jour durant pour faire l’amour avec son copain ou sa voisine de pallier, voire épier au télescope ses voisins d’en face.

A sa décharge (si l’on ose dire), il n’y a pas qu’elle à être ainsi car l’on serait bien en peine de trouver un seul être raisonnable. Tout l’univers semble être contaminé par l’absurde. Ainsi Ryo, le petit ami salary man, qui a sa manière bien à lui de rentrer du boulot pour aller rendre visite à sa douce :

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Le fils en proie aux pulsions libidineuses de sa maman est lui aussi sur une autre planète. Bossant son baccalauréat, il aime à jouer de la flûte à ses moments perdus :

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Mais l’irruption de cet instrument sonne étrangement à la vue et aux oreilles du spectateurs, un peu comme, dans License to live, la jeune Miki qui dégaine son ukulélé. Par ailleurs, il aime à s’entourer d’un monde de signes évoquant notamment des œuvres cinématographiques (notamment de Godard) :

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Il ira d’ailleurs jusqu’à s’inscrire des signes sur son propre épiderme :

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Comme pour donner plus de poids, plus de sens à son être dont on sent, à travers un énième bachotage pour obtenir son bac et les persécutions incestueuses de sa mère, qu’il aura bien du mal à trouver une voie sereine.

Quant à Akiko et Masumi, c’est leur façon hystérique d’afficher leur joie qui dérange. Rien dans leurs action n’est normal, que ce soit lorsqu’il s’agit de se faire un massage entre copines :

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… ou de siroter un whisky en s’en grillant une :

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Bouteille, verre et briquet seront balancés par la fenêtre derrière elle après leur utilisation.

Alors pour ce qui est d’entrer en guerre, on devine que ce sera forcément le grand n’importe quoi :

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Viol libérateur du fils sous les yeux de la mère bâillonnée.

En fait tout semble baigner dans la folie, folie qui a à voir avec cet univers urbain aseptisé, ces écrans TV qui diffusent des programmes débilitants. Symboliquement, un plan nous montre Akiko dormant juste à côté d’un poste :

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Akiko est quelqu’un de foncièrement bête, avec pas grand-chose dans le ciboulot, comme si son environnement culturel avait depuis belle lurette fait son œuvre dans son œuvre. Sans aller jusqu’aux fantômes, on peut au moins évoquer des êtres pantins aux réactions exagérées, s’agitant frénétiquement dans un univers où il n’y a rien à faire, à la recherche d’une guerre dérisoire pour donner un sens à leur vie. On s’en doute, la solution trouvée ne sera guère satisfaisante et, à l’image du personnage de License to live, tout s’achèvera sur une chute (dans tous les sens du terme) mortelle, qui annoncera là aussi un autre motif de l’esthétique de Kurosawa.

Kandagawa pervert Wars est certes un objet bizarre et mal foutu, mais c’est à tout prendre une entrée en matière dans l’œuvre de Kurosawa pas inintéressante. Les scènes de fesses sont évidemment loin d’être aussi glamour que certains roman porno nikkatsesques :

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Aussi vide qu’un gamer s’excitant sur les boutons d’un joypad.

… mais il en ressort malgré tout une fraîcheur qui vaut largement le sérieux – un brin ennuyeux – d’oeuvres ultérieures du maître.

6/10

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6 Commentaires

  1. Comme quoi : 1/ il revient de loin. 2/ C’est pas toujours mieux *au début*. Même si la bizzarerie qui suinte de ses films sérieux semble déjà être présente en filligrane.

  2. Et encore, ce n’est pas le pire. J’ai beaucoup plus de mal avec le second, the Excitement of the DO RE MI FA Girl. J’essaye d’en faire un article, franchement je galère.

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