Gyo (Takayuki Hirao – 2012)

GYO

Jusqu’à 2012, les œuvres horrifiques de Junji Ito n’avaient eu d’adaptations qu’en film live, avec des films assez cheap comme Uzumaki et la série des Tomie. Aucun réalisateur ne s’était risqué à faire une adaptation anime d’un de ses mangas. Il faut dire qu’ils font partie de ceux dont on se dit que le transfert en animation et en couleurs peut être risqué tant l’atmosphère malsaine et glauque trouve son plein épanouissement dans le N&B propre au manga. Après, on pensait la même chose des mangas de Taiyo Matsumoto et il faut bien reconnaitre que, tant dans les adaptations Live (Blue Spring, Ping Pong) qu’anime (Amer Béton), cette question de mangas supposés inadaptables est très relative.

Bref, c’est l’année dernière qu’est sortie une OAV de 70 minutes consacrée à Gyo, manga d’Ito en deux volumes :

gyo manga

qui ne se lit pas de 7 à 77 ans.

L’histoire est simple : on suit deux jeunes gens, Tadashi et Kaori, qui essayent de survivre face à une invasion de créatures (sortes de poissons insectes carnivores) sortis de la mer. Et quand on dit « invasion », croyez bien que ce n’est pas un vain mot. Présenté comme ça, on pense tout de suite à des films comme Gremlins ou Piranha. Mais ce serait être restrictif tant ces modèles sont bien inférieurs en terme de délire imaginatif. C’est le propre de Junji Ito : le goût pour inventer des scènes d’horreur 100% garanties jamais vues auparavant :

Junji Ito image

Avec  souvent l’impression que le mangaka prend un malin plaisir à mettre mal à l’aise son lecteur, à faire subir à sa santé mentale quelques affres en lui faisant jaillir à la gueule, au détour d’une planche, une situation ignoble parfois bien choquante.

Junji Ito

« Allons, allons, c’est pour déconner hein ! »

 Peut-être ici mieux vaut ne pas trop en dire pour réserver la surprise de la découverte de ces créatures qui tendent, au fur et à mesure qu’avance le film, à être de plus en plus barrées. Contentons-nous de ceci :

gyo 1

… en gardant bien à l’esprit que l’on se trouve face à l’équivalent d’une sardine par rapport à ce qui va suivre.

Techniquement, les bestioles sont assez convaincantes dans leurs mouvements, tout comme l’utilisation de l’informatique pour s’attaquer aux scènes où des milliers de bestioles défilent sous nos yeux. Evidemment, le mélange 3D/2D, comme d’habitude, jure un peu mais globalement on n’a pas l’impression d’être face à une OAV ratée dans ses effets.

Sur le plan graphique, le style de dessin d’Ito a heureusement été conservé. Ou du moins préservé autant que possible. Pas de N&B donc, mais le même style de dessin et parfois de petits détails tout simples qui sonnent comme du Ito, par exemple les petites hachures autour des yeux lorsqu’un personnage sent sa santé mentale en prendre un coup :

Gyo 2

Ou encore de ces scènes baroques et surchargées :

gyo 8

En revanche, gros changement en ce qui concerne le rôle des personnages. Dans le manga, c’est Tadashi le personnage principale, sa fiancée ne franchissant pas le cap du premier tome. Dans l’anime, c’est l’inverse : Tadashi, resté à Tokyo, meurt au but d’un quart d’heure tandis que Kaori, en vacances à Okinawa avec deux amies, va lutter tout le long du film. La raison de ce renversement est toute bête et a un nom :

 Gyo 3

FAN SERVICE

Avec un contenu aussi adulte que celui des mangas d’Ito (beaucoup de violence mais pas vraiment de sexe), autant ne pas se gêner et en donner pour son argent à l’otaku de base. C’est le rôle qui est dévolu à Erika, l’arrogante amie nymphomane de Kaori qui n’hésite pas, à peine arrivée à Okinawa, à rabouler sec dans sa chambrette. C’est pas non plus Urotsukidoji mais connaissant l’œuvre d’Ito plus axée violence que sexe, ça surprend tout de même un peu. On se retrouve ainsi avec des plans guère utiles à la narration, mais aussi avec des scènes soft, voire un brin hentaï.  Et évidemment, si je vous dit qu’à un moment il y a des créatures avec des tentacules, vous vous doutez bien que l’on se retrouve avec ce type de plan :

gyo 5

Pas non plus de gros plans sur certaines parties du corps mais on sent qu’il n’aurait pas fallu non plus trop chauffer Takayuki Hirao.

Ce type de sel ne doit cependant pas faire illusion : malgré ses qualités, Gyo décevra sans doute les inconditionnel du maître du manga horrifique tant cette version peut paraître finalement édulcorée, moins rêche, brute de décoffrage et partant moins terrifiante que le manga. Mais pour ceux qui ne connaîtraient pas, as usual, comme pour Gantz ou Berserk, on se trouve face à une entrée en matière dans son univers qui  aura forcément un goût de délire puissamment original. En attendant on l’espère d’autres incursions du monde de l’animation dans l’œuvre d’Ito, Gyo est une honnête OAV tout à fait recommandable aux fans de poiscailles molodorants et de boobs généreux.

6/10

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5 Commentaires

  1. ‘Tain à l’époque, j’avais ouvert un topic dessus. J’avais une certaine appréhension quant au résultat. La démarche est bonne. Comme tu dis, c’est cool qu’on s’intéresse à son taf et qu’il ait droit à une OAV. Ça change du live. Maintenant, ce que tu en écris me fait tirer la moue. Bon que le mec et la nana échange le rôle principal, pourquoi pas. Mais le rajout sexe, mouais. A l’occase, je dis pas non mais bon.

    Et si j’ai lu le manga y a un bout de temps, j’ai toujours cette odeur du poiscaille dans les narines.

  2. Le rajout sexe reste quand même ciblé sur deux-trois courtes scènes hein ! Vraiment pas de quoi fouetter un chat c’est juste que lorsque l’on est habitué à l’univers d’Ito, ça surprend.
    Plus que d’autres OAV, j’imaginerais bien une série où chaque épisode évoquerait une histoire d’Ito. Ça arrivera bien un jour.

  3. Etant fou d’Ito et n’étant pas au courant de cette adaptation, je me suis précipité sur youtube pour voir le film annonce. Mais grosse déception : les animateurs n’ont pas suivi Ito dans son cauchemar. Je trouve le trait froid et aseptisé. Le dessin des personnages est légèrement normalisé pour faire plus « anime » basique. La direction artistique semble anonyme.
    Peut-être qu’il s’agit seulement de la bande-annonce qui cherche à gommer l’étrange ambiance de l’oeuvre de Ito pour vendre le film comme un banal film catastrophe ?
    Je devrais voir le film pour me faire un vrai avis… Mais ce sentiment d’édulcoration dont tu fais état y est tellement prégnant que je vais sûrement passer mon chemin…

    Ayant toujours préféré les histoires courtes de Ito à ses longues, je souscris à ton idée d’une série animée. Cela pourrait être très impressionnant si c’était pris en charge par un studio ou un auteur avec une forte personnalité et un sens aigu de l’expérimentation.
    A ce propos, j’ai un faible pour Uzumaki que je trouve sublime : le réalisateur s’y amuse comme un fou furieux à tester des idées loufoques dans tous les sens. J’ai trouvé le film à la fois très personnel et très respectueux de l’oeuvre d’origine. Mon adaptation favorite d’une oeuvre d’Ito.
    Et je suis toujours curieux d’apprendre l’existence de nouvelles adaptations. Merci pour l’article !

  4. Essaye de le voir quand meme : on est deans le Junji Ito light mais franchement ca aurait pu etre pire. L edulcoration est surtout le fait du graphisme bien leche et des zolies couleurs. Il faudrait qu un real ait le courage d imposer une version anime en N&B et la, on aurait une adaptation qui tue. « un sens aigu de l experimentation » comme tu dis. J ai une petite pensee ici pour l equipe qui a fait les deux saisons de ‘Kaiji’ ou celle qui s’est occupe de reprendre Lupin the 3rd a travers le personnage de Fujiko.
    Les versions live me semblent vouees en revanche a l echec tant il y a une inadequation entre les delires d Ito et leur restitution a l ecran sans que cela prete a rire.

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