« Excuse me, are you Jim O’Rourke ? »

« Tiens ?! Toi ici ? Ben merde alors !  Le monde est petit ! » Qui n’a pas clamé ce cliché au moins une fois dans sa vie ? Qui n’a jamais été surpris de tomber à la plage sur une connaissance en train de se faire dorer la pilule juste quelques mètres à côté de vous ? Effectivement, à chaque fois on se dit qu’il est petit, le monde, pour que de si faibles probabilités de rencontre se réalisent. Mais tout cela n’est rien par rapport à ce que j’ai expérimenté cet été.

Le premier exemple, sans aucun doute possible le high score de sa catégorie : j’étais à l’entrée du pont de Dotonbori. Je n’explique pas à nouveau ce qu’est Dotonbori, je l’avais déjà fait lors d’un précédent article. Je rappelle juste au passage le côté fourmilière de l’endroit, sorte d’équivalant osakesque de Shibuya. Bref, je me trouvais là, en plein milieu d’après-midi, à shooter des visages intéressants. A un moment un groupe de minettes approche et continue son chemin à ma gauche. Rien d’extraordinaire sauf que l’une d’elle a décroché de son groupe et me regarde, perplexe. Je la regarde aussi, perplexe aussi, me demandant ce que cette jolie fille me veut. Le scène où l’on se regarde ne dure que cinq secondes mais j’ai rarement eu l’impression d’un temps aussi suspendu où l’on sent que quelque chose est en train de se passer. Durant ce court instant elle se rapproche, je vois à certains mouvements imperceptibles de ses lèvres qu’elle brûle de me dire quelque chose mais qu’elle n’est pas encore assez sûre. Elle finit pourtant par la dire sa phrase, ou plutôt son mot : « Olrik ? » (vous aurez évidemment compris que c’est mon prénom qu’elle lâcha, la frêle enfant étant à mille lieues de se douter que je suis l’inénarrable autant que redoutable Olrik).

A ce moment j’étais pas loin d’avoir la mâchoire tombant sur le bitume façon Tex Avery. Je me contins cependant, rassemblai mes souvenirs et essayai de me rappeler qui était cette personne. Ce n’était pas si difficile car cette connaissance datait de l’année précédente. Mais il en va des Japonaises comme de la bonne foi d’une femme : en perpétuel changement. C’était le cas ici avec une nouvelle coiffure et une autre couleur de cheveux qui me mirent en difficulté. Mais l’identité de la personne faillit par me revenir : Il s’agissait de 篝, une étudiante japonaise qui avait séjourné une année durant dans ma ville pour étudier le français. La communauté japonaise y étant maigre, ma femme l’avait invitée plusieurs fois à déjeuner. A la fin de son année d’étude, elle s’en était retournée à son pays, à Tokyo.

Et là, vous voyez en quoi le monde peut effectivement paraître foutrement petit. Il y a même un peu de la Twilight Zone dans ce genre d’expérience. Comme nous, 篝 avait prévu de se rendre à Osaka avec ses amies uniquement pour cette journée du 22 juillet. Comme nous, elle allait passer à Dotonbori. Et comme moi, elle s’est trouvée dans sa déambulation forcément chaotique dans un tel lieu, à l’heure H, à la minute M, et à la seconde S à cet endroit :


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Tout petit décalage dans l’espace et le temps et je passais à côté du frisson de tomber sur cette sympathique personne. Frisson que je ne tardai pas à faire connaitre à ma femme, restée à siroter tranquillement au Lotteria juste en face, et à qui j’amenai 篝 sans tambours ni trompettes. Vous me passerez la description de la scène, truffée de grands cris de stupéfaction, de bouche grande ouverte et autres yeux exorbités.

Bref, après une telle rencontre, on se dit que dorénavant tout est possible. Même rencontrer Sarkozy dans un batting center vous paraît du coup du domaine du possible. C’est dans cet état d’esprit que je débarquai quelques jours plus tard à Tokyo. Après une matinée passée au Ghibli Museum (endroit sympathique mais qui a malheureusement tout de la purge du fait de la masse de touristes que l’on y rencontre. Cool pour les lardons, mais je suis bien décidé à ne plus y remettre les pieds), direction Harajuku pour humer l’air excentrique du lieu et surtout faire le portrait de quelques histrions ainsi que d’utiliser ma steadycam de poing dans la fameuse Takeshita dori.

Le parcours n’avait rien de bien original :

Arrivée par la Yamanote à la station d’Harajuku. On marche un peu pour atteindre le haut de la Takeshita Street. On la descend avec le bain de foule voulu puis on tourne à droite pour rejoindre Meijijingumae. On remonte alors pour emprunter une nouvelle fois la Yamanote et partir pour d’autres aventures.

Cette petite heure passée fut mi-figue mi-raisin. Ma douce et tendre étant quelque peu agacée de devoir se trimballer une poussette dans un lieu qui a tout de l’accélérateur de particules avec des personnes tenant lieu d’atomes, j’ai senti que je n’allais pas pouvoir bénéficier de tout le temps voulu pour prendre des photos tranquillou et qu’il m’allait falloir une nouvelle fois shooter à l’arrache, quasiment sans prendre la peine de s’arrêter pour cadrer. C’est ce qui arrivé et, malgré quelques bonnes prises, c’est un peu morose que je remontai la Meijijingumae.  C’est alors que je vis ceci : 

Une touffe de poils attira en effet mon regard. Non, il ne s’agit pas de celle de la bijin au premier plan mais de celle se trouvant juste derrière elle. Au moment de prendre la photo elle se trouvait juste derrière la femme (on voit un bout du pantalon du gus à côté de la jambe droite de la donzelle), mais quelques mètre plus loin :

WTF ?!

Cette petite taille… cette corpulence grassouillette…. cette barbe… pas de doute, c’était lui ! Oui lui, Jim O’Rourke, LE Jim O’Rourke, l’ex-Sonic Youth, le compositeur de The Visitor, album que j’ai dû écouter une bonne centaine de fois depuis sa sortie, mais surtout le compositeur de Koji Wakamatsu pour United Red Army et l’homme qui fut à l’origine du morceau qui inspira Shinji Aoyama pour faire son Eureka. A cet instant j’avais le choix : ou bien poursuivre mon chemin jusqu’à la Yamanote Line pour clore sans gloire une heure somme toute assez décevante, ou bien rattraper le gars (qui filait à toute allure) pour faire ma groupie (en tout bien tout honneur bien sûr). J’optai pour la seconde. Jim avait pris de l’absence mais c’était mal connaître les capacités athlétiques d’OIrik (vous ai-je dit que j’avais remporté le championnat de course en sac à Chattanooga, Tennessee ?). Avec mon gros sac photo sur le dos, j’eus alors l’air de Tortue Géniale poussant un sprint mais n’importe ! j’arrivai à la hauteur d’O’Rourke et parvins à le stopper non pas par un tacle à la Cantonna mais par un « Excuse me, are you Jim O’Rourke ? ». La réponse ne fut ni un oui ni un non mais un « Oh ! excuse me but I hurt my back yesterday… » passablement essoufflé. C’est en substance ce que disait sa réponse (je cite de visu). Bien content d’apprendre que l’artiste s’était latté le dos la veille, je poursuivis malgré tout. Après l’Olrik en mode Usain Bolt, c’est l’Olrik en mode fanboy qui entra en jeu en bredouillant dans la langue de Vinnie Jones des paroles pleines d’enthousiasme et d’admiration pour l’oeuvre du bonhomme, bonhomme dont la mine fatiguée et soucieuse -sans doute à cause de ce maudit dos – s’éclaira et devint souriante, amusée devant ce grand flandrin à l’accent frenchy en train de lui confier qu’il était un « big fan » de son oeuvre. D’un autre côté, pas sûr non plus que ce genre de rencontre lui arrive souvent. A part des salamy men bourrés et cons comme des manches qui pourraient le prendre pour Jim Morrisson, on a du mal à l’imaginer se faisant alpaguer tous les quatre mètres pour être pris en photo ou se voir demander une dédicace. Il prit en tout cas les quelques secondes de cette rencontre avec simplicité, presque avec timidité. J’ai souvenir d’une voix très humble, finalement la même que l’on entend ici. Souvenir aussi de deux billes bleues perçant au milieu des poils et d’un visage un brin rougeaud. J’aurais aimé les avoir plus longtemps devant moi, avec une bière à portée de de main et un calepin à proximité pour noter des réponses à une interview improvisée que je me serais fait un plaisr de poster ici mais enfin, entre la famille qui attendait en haut de l’avenue et le musicien qui filait d’un pas rapide vraisemblablement à un rendez-vous, il fallait se résoudre à faire court de peur de passer pour un importun. Après d’ultimes paroles d’admiration, je lui tirai le portrait à la va-vite, lui serrai la pogne et repris mon chemin. Grâce à une poignée de secondes et aux mystères des probabilités, cette excursion à Harajuku avait tout de suite une autre gueule.

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18 Commentaires

  1. Sympathique, « The Visitor » est parfait pour une matinée ensoleillée histoire de se décrasser un peu les neurones (et les oreilles) avant d’aller bosser en tout cas !

  2. Whaou ! la classe !
    Quelle chance : rencontrer son idole dans une rue à Tokyo… la probabilité est certainement infinitésimale !!!
    La seule célébrité que j’ai croisé par hasard cet été, c’était Shohei Imamura, à Mutsu…
    Mais il n’était pas très bavard.

  3. PS : j’aime aussi beaucoup le portrait que tu as fait de Jim O’Rourke. Il y apparait avec beaucoup de simplicité comme tu le décris dans le texte.

  4. J’imagine un peu la frustration de vous rencontrer à un moment où vous étiez tous les deux pressés comme des tomates (couleur de ton visage à ce moment j’imagine), mais bon ça fait toujours un bon souvenir, tout comme lui doit être heureux de voir qu’on ne l’oublie pas, même dans un coin de France.

    La photo est très sympa en effet, il a une belle bouille très rassurante. 🙂

  5. @Egoka : ou le soir, au retour du travail, c’est pas mal aussi. Pour ce qui est de se nettoyer les neurones au moment des cornflakes, je préfère celle-ci :
    http://www.youtube.com/watch?v=m2gncMK2aio
    qu’on entend d’ailleurs dans un autre film d’Aoyama, Desert Moon.
    A part ça, j’allais oublier… yokoso !

    @Olivier :
    Une fois, j’avais croisé La Boule (de Fort Boyard) dans le centre de La Rochelle. Ça m’avait fait moins d’effet.
    Pour Imamura, peut-être aurais-tu dû essayer d’entrée un vigoureux « give me 5 ! » pour le décoincer. Tente la prochaine fois, tu nous raconeras. 😉
    Pour O’Rourke, ouais, on sent pas trop le mec qui va montrer son engin sur scène ou qui va dépouiller sa chambre d’hotel. Pas de fake attitude, juste un mec normal qui fait de la bonne – parfois de l’excellente – musique.

    @ Zoda : C’est exactement ça, le fait que ça a été très rapide est un peu frustrant mais d’un autre côté rend encore plus précieuses et magiques ces quelques secondes. Pas plus mal en fait.
    Pour la bonne bouille, ça reste tout de même étonnant de voir combien le mec s’est métamorphosé en quelques années. Je rappelle qu’autrefois il ressemblait à ça :

    … et qu’il a 42 ans, pas énorme en soi. L’époque où l’on prenait des airs de rock star avec les autres membres de Sonic Youth est bien révolue.

  6. La voilà enfin la fameuse rencontre inopinée qui m’a valu de gagner une Asahi.;) Je ne connais pas plus que ça le bonhomme en solo, ni même Gastr del Sol, pour moi ça se limite à sa participation à Sonic Youth, mais ce que j’entends là et bien intriguant.
    Bonne bouille le Jimmy, mais putain il a quand même pris sévère en quelques années. Y a de l’excès qui se paye cash (bon, c’est moins pire que Aaron « Gene Ween » Freeman qui a aussi 42 ans et c’est difficile à croire).

  7. ‘Tain mais perso’, je m’en bats les roubignoles d’O’Rourke, quoique la barbe ça change un homme. Par contre, la rencontre de cette étudiante venue par le passé s’aguerrir en langue de Molière beaucoup plus (mon côté pervers). Yep ! Décidément le monde est vraiment petit sans déc’. Ils ont une expression similaire les japonais au fait ?

  8. hasard aussi, je cherchais un mot japonais sur internet, et
    je tombe sur votre blog avec la photo de jim o’rourke.
    ça me fait chier un peu, surtout c’est le mec (surement) d’ une ex japonaise!

  9. @ N°6 : sa collaboration avec Loose Fur a aussi donné lieu à deux albums assez sympas.
    http://www.youtube.com/watch?v=OLMD6ECTiqs
    Un peu moins fana par contre des albums avec Gastr Del Sol.
    Si excès il y a eu, je veux croire que le bonhomme s’est bien calmé, ou alors il cache bien son jeu. Vraiment difficile d’imaginer que l’homme que j’ai eu devant moi sniffe le soir plein pot de la colle ou du Dom Pérignon.

    @ I.D. : Bas les pattes ! Et puis, tu n’as aucune chance : la jeune femme déteste par dessus tout les hongkongeries visqueuses que tu te mates à longueur de journée.
    Pour l’expression, c’est « seken wa semai ».

    @ neko san :
    « ça me fait chier un peu »
    Quoi donc ? De tomber sur mon blog ou de voir qu’O’Rourke ait pris un coup de vieux ? Pour le cas ou ce serait la première alternative, en vérité je te le dis, tomber sur mon blog ne doit pas faire chier mais au contraire donner l’impression d’avoir réussi ta journée, de jouir pleinement de l’instant présent ou encore qu’un grand Architecte veille assurément sur toi quelque part pour t’offrir un hasard porteur d’un si céleste bonheur.
    Pour le second cas, du moment qu’il continue de nous pondre des albums comme The Visitor, ça me va.
    Par contre, pour cette histoire d’ex-japonaise, s’il y a des infos je suis preneur.
    Olrik, carnet rosâtre.

  10. beh, non j’ai rien contre ton blog, plutôt sympathique. Juste que j’avais pas envie de penser à elle 😉
    une psychopathe qui brise le coeur des hommes.
    Oui,cette histoire est un roman hallucinant,
    mais je vais pas étaler ma vie privée ni celle des autres. Désolé. Elle ma souvent parlé de Jim, j’en ai un rayon aussi sur lui,mais je le connais pas perso. En tous les cas, il est mal barré je crois si son comportement reste le même..

  11. Putain, j’y étais pas du tout, c’est ça de faire 36 choses à la fois, et je réalise maintenant la portée du précédent commentaire. « Le monde est petit » jusque dans les commentaires de cet article, la boucle est bouclée, magnifique ! Dommage que ce soit dû à une Japonaise mais enfin, c’est notre lot à tous

    Pour le comportement d’O’Rourke j’avoue ne rien savoir et je reste sur une impression d’homme normal et paisible. Mais d’un autre côté, quand tu dis qu’il est mal barré, je te crois sur parole. Ça sent quand même un peu la déglingue, et pas que physique.

  12. Article court mais sympatoche, joli cri d’amour pour cette chanson qui de fait met l’auditeur en condition pour se laisser glisser tranquillement jusqu’à la fin de l’album. « raga-folk », c’est un peu ça en effet.
    Diantre ! Je m’aperçois qu’il y a même un lecteur qui me cite dans les commentaires (merci N°6). Y’a pas, c’est un article 100% bon goût !

  13. Il y aura une suite, en général, 2 ou ou trois articles bien sentis. Et une bonne centaine de commentaires…..
    Les voies du rock sont impénétrables

  14. Je ne connaissais pas du tout ce François Gorin. Bonne découverte grâce à toi car son blog recèle d’articles sur des artistes ou des albums qui me parlent. Largement de quoi faire oublier qu’il fait partie de la nébuleuse Télérama.

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