Kids on the Slope

Moi qui croyais que l’anime le plus cool à voir actuellement était la dernière version de Lupin the 3rd, me voilà bien obligé de revoir ma copie. Après le rock dans Beck, après le classique dans Nodame Cantabile, il ne manquait plus qu’un anime se décidât à traiter du jazz. C’est chose faite depuis cette année avec ce Kids on the Slope et, comme un bonheur n’arrive jamais seul, ce sont Shinichiro Watanabe (Samurai Champloo, Cowboy Bebop) et Yoko Kanno (déjà à l’oeuvre pour les OST de Cowboy Bebop) qui se sont attelés à la tâche.

Le résultat ? A nouveau une pure merveille pour Watanabe, même s’il faut bien reconnaître que cette nouvelle production se situe un cran en-dessous en matière d’originalité par rapport à ses  prédécesseurs. Souvenez-vous donc de Cowboy Bebop :

Cowboy Bebop et son univers à mi-chemin entre Lupin et Cobra, son chara design classieux, son héroïne sexy, son ambiance polar douce-amère et son merveilleux ultime épisode. Sans aucune contestation possible LA série space opera des 90’s. Mais rappelez-vous aussi Samurai Champloo :

Peut-être une claque encore plus vigoureuse que la précédente. Ici, on laisse les vaisseaux spatiaux, les flingues et les fumées de cigarettes mais on reste dans un univers bariolé qui fusionne des ambiances qui n’ont rien à voir entre elles. Au programme : le bruit des guétas sur les chemins rocailleux de l’ère Edo, les katanas qui tranchent dans la chair et… le hip hop! Six ans après Cowboy bebop et sa bande son fleuve (quelque chose comme quatre ou cinq cd pour une série de 26 épisodes), Watanabe réaffirme l’importance de l’ambiance sonore au sein de ses anime. Elle devient un quasi personnage de l’histoire, participant au côté foutraque de l’anime tout comme à sa grande originalité qui parvient à échapper à toute impression de redite au fil des 26 épisodes. Dans d’autres séries de ce type on pouvait apprécier l’intrigue et les personnages (on pense par exemple à Kenshin), et ici aussi d’une certaine manière, mais c’est vrai qu’avec cette histoire d’improbable trio qui part à la recherche d’un samouraï qui sent le tournesol, on a plus l’impression d’avoir affaire à une intrigue prétexte. Seuls comptent le dépaysement et la surprise, tant narrative que graphique ou musicale.  A ce petit jeu, l’épisode 14 atteint des sommets avec ces 5 minutes dans lesquelles on entend la voix d’Ikue Asazaki accompagner l’esprit d’un Mugen alors aux portes de la mort :

Sans aucun doute la scène qui vous reste à l’esprit après vous être maté l’intégralité de la série.

Oui, la barre était placée très haut. Tellement haut dans ce style foutraque qu’on pouvait se demander s’il était forcément judicieux d’essayer d’exploiter à nouveau ce filon. Heureusement, le générique de Kids on the Slope ne laisse aucun doute de ce côté-là :

On le voit, du moins on le devine à travers le générique, ça a l’air beau, coloré, soigné et pleins de bons sentiments. Très conventionnel aussi. Est-ce aussi original que Samurai Champloo ? Non. Mais la question n’a pas d’intérêt puisque l’originalité de Samurai Champloo venait d’une univers qui cherchait systématiquement le décalage et la rupture de ton. Avec Kids, on est plus dans une certaine normalité, avec évidemment le risque de susciter un sentiment déjà-vu. Ne serait-ce que par l’histoire. Kids on the slope (titre original : Sakamichi no Apollon) est en fait à l’origine un josei (1) de Yuki Kodama. L’histoire commence à l’été 1966 et met rapidement en scène non pas un triangle amoureux mais un pentagone amoureux :

Kaoru Nishimi, jeune homme d’une famille aisée, se voit obligé de vivre dans la ville de Yokosuka (à Kyushu) auprès de sa bourgeoise de tante à cause du métier de son père qui ne lui permet pas de rester longtemps dans la même ville. C’est un personnage renfrogné et peu enclin à se tourner vers les autres. Il est par ailleurs un excellent élève et un non moins excellent pianiste (de formation classique). Très vite, il se découvre un penchant pour cette personne :

 


Ritsuko Mukae est la déléguée de la classe où débarque Kaoru. Extrêmement gentille, elle se dévoue pour mettre à l’aise Kaoru sans se rendre compte au début que ce dernier en pince pour elle. Et pour cause, puisqu’elle est avant tout attiré pour ce gaillard :

 


Sentaro Kawabuchi est son ami d’enfance. Fils d’un soldat américain qui retournera au pays sans lui, il a connu une enfance difficile. Et puis un jour il a trouvé la solution pour cesser toute velléité d’ijime : se laisser pousser les biscotos et éventuellement malaxer avec ses poings la gueule de ceux qui l’importune. A côté des crochets et des uppercuts, il aime aussi à laisser parler son talent et sa fougue à la batterie. Ses héros à lui, ce sont Gene Kruppa et Art Blakey. Ritsuko va évidemment le présenter à Kaoru et ces deux que tout oppose (l’un est riche, gringalet, bon élève et adepte du classique, l’autre est pauvre, costaud, mauvais élève et ne jure que par le jazz) vont devenir les meilleurs amis du monde (avec cependant quelques heurts, comme dans tout josei qui se respecte) et se mettre à jouer du jazz ensemble. Côté coeur, Sentaro est après cette personne :

 

Yurika Fukahori. Cette jeune fille élégante rencontrée et secourue par hasard sur une plage, alors qu’elle était sur le point de se faire agresser par des voyous, fait tout de suite une vive impression dans l’esprit de Sentaro. Hélas pour lui, la réciproque n’est pas vérifiée puisqu’elle est amoureuse de ce troisième larron :

 

Le complexe Junichi Katsuragi. Et l’idole de Sentaro puisque ce jeune homme qui travaille à Tokyo est un trompettiste et un chanteur de jazz qui transpire la classe et la facilité. Mais le personnage est un peu trop perturbé par quelque chose pour être sensible à l’intérêt de la magnifique Yurika. Ce « quelque chose » sera révélé au fur et à mesure des épisodes.



On le voit, on se trouve face à un scénario vu et archi revu. On devine que pour ces personnages tout sera à la fois simple et compliqué. Les moments d’intense complicité alterneront avec d’autres d’agacement, voire d’incompréhension ou d’animosité. Et on se rabibochera avant d’entrer dans une nouvelle mauvaise passe. Oui, tout cela sent le réchauffé et pourtant, l’histoire, portée par le chara design de Nobuteru Yuki et l’animation de Yoshimitsu Yamashita, se voit sans déplaisir, échappant même à toute mièvrerie tant les personnages sont bien campés et sans effusion inutile devant leur découverte personnelle de l’amour.

Ça vous paraît cependant un peu court ? Attendez un peu, car c’est là qu’intervient LE personnage de l’anime, je veux bien sûr parler de Mister Jazz. Après le délirant Nodame Cantabile et le bon Beck (sans hésitation le calembour de la semaine !), l’horizon semblait là aussi un peu bouché pour ce qui était de réaliser une nouvelle série où la musique jouerait un rôle primordial. Beck était statique et risqué dans sa volonté de faire entendre du rock supposé propulser un jeune groupe indépendant à la reconnaissance. Mais finalement, l’anime sut bien tirer son épingle du jeu dans la manière de donner à voir et à entendre les prestations scéniques des différents groupes de l’histoire. Même chose pour Nodame Cantabile dont le lyrisme loufoque accompagnant les performances scéniques décapait à la lampe à souder la musique classique.

Après ces deux modèles, que pouvait apporter de plus Kids on the Slope ? Ceci :

L’anime va être à l’image de ce qu’est en train de faire Sentaro : une performance. Et le spectateur sera à l’image de Kaoru : figé, scotché, admiratif. Et chaque épisode sera ainsi porté par une prestation de ce type. Là où un Beck ne faisait que se débrouiller habilement dans la restitution de morceaux live, là où Nodame jouait la carte d’un lyrisme bouffon pour bidonner le spectateur, Kids on the Slope parvient quant à lui à submerger ce dernier d’un pur plaisir visuel et sonore, le faisant attendre avec fébrilité le moment de chaque épisode où il sait que les personnages vont se faire un boeuf. Pour un peu, on se foutrait de l’histoire sentimentale puisque l’on sait que l’on va avoir droit à une pépite :

… voire carrément un morceau de bravoure :

Mais l’on ne s’en fout pas puisque tout est lié, le josei devenant alors comme transcendé par la musique. L’histoire sentimentale compliquée, pour ainsi dire vouée à l’impasse, se met à respirer, à battre sur le même tempo que la musique des disques de jazz que vend dans son magasin le père de Ritsuko :

Autre petit plaisir de l’anime : repérer les authentiques pochettes de 33t.

Kaoru pourra bien avoir envie, parfois, de balancer son poing dans la gueule de Sentaro (on lui souhaite bien du courage), on sait que ces moments d’inimité seront balayés dès qu’ils se remettront à faire de la musique ensemble. L’épisode 7 est pour l’instant le plus extraordinaire. Les deux personnages sont alors fâchés à mort car Kaoru ne pardonne pas à Sentaro de prêter main forte à un groupe de rock pour midinettes (2). Et puis, lors de la fête de fin d’année de leur lycée, c’est le miracle : les guitare électriques tombent en panne, exit le groupe de rock, mais il faut meubler. Kaoru décide alors de passer à l’action :

A la fin de la prestation, les personnages sont à nouveau réconciliés, comme si leurs relations dans la vie étaient à l’image de celles de musiciens dans un groupe, avec parfois des couacs, des regards noirs lancés vers le copain qui a fait une mauvaise note, mais aussi des moments de communion, de jouissance d’être là à jouer avec des personnes que l’on aime, à vivre, à l’image de l’austère Kaoru lorsqu’il se met à jouer pour la première fois avec ses nouveaux amis :

Comme le dit Kaoru à la fin d’un épisode : « Parfois, la vie fait comme le jazz. Elle prend des tournants imprévus. » Phrase qui pourrait parfaitement résumer toute l’oeuvre de Watanabe. On peut être moins sensible à ce Kids on the Slope qu’à ses créations antérieures, mais on ne peut pas lui reprocher de manquer de cohérence dans sa volonté d’aller là où on ne l’attend pas. Ni manquer d’ambition : Lorsque l’on voit ses trois dernières œuvres, difficile de ne pas admirer son éclectisme et cette capacité à utiliser de vieilles recettes pour mieux les détourner et les magnifier. Après le space opera jazzy, le chambara hip-hopesque, voici maintenant le josei musical. En soi le genre n’est pas nouveau. Mais après cette perle, il sera peut-être difficile de s’y risquer à nouveau sans crainte de la comparaison défavorable. Aborder un genre, le pousser dans ses derniers retranchements pour en donner une version personnelle qui fera date, y’a pas, Watanabe est le Stanley Kubrick du dessin animé japonais format série.

(1) Pour faire simple, un josei est un shojo upgradé : le public visé est celui des post ados et des jeunes femmes. La thèmatique principale est toujours l’amour mais les histoires abordent volontiers aussi d’autre thèmes moins traités dans les shojo comme la drogue, la contraception, l’homosexualité, etc. Le ton se veut donc plus réaliste qu’idéaliste.

(2) Il y a dans Kids on the slope un arrière-plan bien vu qui évoque les premiers succès des Beatles. Avec la double perception qui accompagna leurs débuts : d’un côté ceux qui n’y voient qu’un groupe éphémère pour les midinettes, de l’autre ceux qui perçoivent derrière cette fausse façade quelque chose d’intéressant sur le plan musical. Ce sera le cas de Sentaro, même si cela ne l’empêchera pas de garder son culte pour le jazz.

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2 Commentaires

  1. Wow, merci pour cet article, je vais m’y jeter de ce pas !

  2. Idem, je vais jeter un oeil !

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